« Ma timidité, c’est ma force. Arrêtez de vouloir me soigner ! »
29 sept. 2020
5min
Journaliste - Welcome to the Jungle
Lorsque je perds le contrôle d’une conversation et que celle-ci s’étire, grandit et s’impose à moi, je compte souvent trois à cinq secondes avant d’intervenir. Pour me laisser le temps de formuler une réponse appropriée. Lorsqu’on m’interroge à la pause-café sur mon programme du vendredi soir ou si la discussion bascule vers l’intime, j’élague en un classique « et toi ? » (très pratique quand l’interlocuteur aime parler de lui). Et si par malheur on me convie à un pot auquel je n’avais nullement prévu d’assister, il y a de fortes chances que je ne puisse pas m’y rendre, faute de n’importe quelle excuse qui fera l’affaire. Bref, disons que d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été timide.
L’inconfort dans les petits moments du quotidien
Mais ce papier étant l’occasion pour moi de faire le point sur ma timidité, je pousse ma réflexion un peu plus loin et me remémore des sensations inconfortables, pour délimiter au mieux ses potentielles limites. Il y a bien eu, par-ci par-là, de longues minutes pendant lesquelles un collègue m’a interpellé malicieusement (puis avec regret), avec une bonne blague en poche, tout ça pour finalement se retrouver confronté à mon visage impassible en manque de répartie. Ces fois où je répète mes interventions entièrement rédigées à la virgule près et ensuite apprises par cœur pour plus de fluidité (peu importe qu’il s’agisse de pitcher un sujet en conférence de rédaction ou simplement de demander à poser mon après-midi, c’est kif-kif). Ou encore, quand arrive l’heure fatidique des velléités d’afterwork, véritable scène de guerre pendant lesquelles je me bats en duel avec moi-même-pour aligner, bredouille, quelques plates excuses contrant chaque invitation (Gab, si tu me lis, ce n’est pas ce que tu crois).
L’open space : l’enfer du timide
Quand j’y pense, toutes les scènes qui me reviennent en tête ont pour la plupart eut lieu dans le cadre de mon travail. Rien de très étonnant jusque-là quand on sait que les interactions sociales y sont favorisées par ce sympathique espace collectif qu’on appelle l’open space. Mais quitte à être honnête, sachez que chaque gêne ressentie n’a jamais duré plus d’une poignée de secondes (celle que j’inflige sans le vouloir par mon silence à ce boute-en-train de collègue est pire, qui sait…) et sert souvent même de parfaites anecdotes à raconter pour faire rire ma famille et mes amis.
Pas un manque de confiance
Voilà, pour ma part. Mais revenons sur ce que semble être la timidité d’un point de vue plus général. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la timidité ne relève pas nécessairement d’un manque de confiance en soi. C’est davantage un problème de représentation. En ce qui me concerne, j’ai du mal à me représenter car performer une image de moi-même est un exercice désagréable qui me demande beaucoup d’énergie. Le superficiel étant le lieu par excellence où ma timidité se manifeste, j’ai tendance à fuir ce que je considère être “creux”, et rien ne me paralyse plus que de parler pour ne rien dire (autant dire que je gère donc très très bien l’usage du small talk, véritable maître des lieux dans toute entreprise qui se respecte). Alors certes, je peux donner l’impression d’être distante, notamment au travail, car je ne risque pas d’être à l’initiative d’un cercle de parole animé à la pause cigarette et je n’organiserais sans doute pas de pot de départ rocambolesque. Mais en réalité, je m’investis énormément dans toute forme relationnelle dès lors que je me sens en confiance, car ce poids de la représentation s’allège à mesure que la bienveillance en face de moi grandit. Cela ne fait pas de moi quelqu’un de moins sociable pour autant, je transpose simplement cette énergie affective ailleurs. Ou du moins dans des relations mûrement choisies par mes soins. Rien d’invivable en somme.
« Le superficiel étant le lieu par excellence où ma timidité se manifeste, […] rien ne me paralyse plus que de parler pour ne rien dire. »
Je vais bien ne t’en fais pas
Alors non, quand j’y pense, être timide n’a jamais été un poids pour moi. Certes, pour ceux qui ne le sont pas, cela peut (de très, très loin) s’apparenter à un noeud de soucis, contretemps, inconvénients et embarras au quotidien. Ceux-là, rassurez-vous. Tout va bien. Être timide ne m’empêche ni de rire à en avoir des crampes d’estomac, ni de faire la fête jusqu’à ce que le ciel soit rose, ni de faire mes huit heures de sommeil par nuit (oui je sais, c’est beaucoup), ni de me tenir fièrement debout au boulot. Être timide ne me condamne absolument à rien en fait. Mais dans ce cas, pourquoi ai-je l’impression que la timidité me définisse autant, et parfois même me dépasse un peu ? Sans doute car c’est ainsi que j’apparais au plus grand nombre et, loi du plus fort oblige, ce nombre finit souvent, voire toujours, par me surpasser par sa force de persuasion. Voilà pourquoi, aux yeux des autres, mon reflet prend la forme tape-à-l’oeil d’un néon dont on pourrait apercevoir à des kilomètres la mention “ATTENTION TIMIDE”. Mais en fait, si moi ça va, où est le problème ?
Une force à mes yeux
Je crois que je viens de mettre le doigt sur quelque chose qui me tient à cœur : je ne suis pas problématique, mais l’imaginaire autour de la timidité l’est. Déjà parce que tous ceux qui ne le sont pas finissent par y projeter à peu près tout et n’importe quels maux sous prétexte de vouloir remédier à la timidité. Et puis, car ce trait de caractère se retrouve souvent déformé, amplifié par notre société du spectacle, à la manière d’un miroir grossissant. Parler le plus possible et de plus en plus fort est subtilement encouragé au détour des réseaux sociaux, et parler de soi (si possible en bien, c’est mieux) est devenu une norme fièrement établie. Si bien que, lorsqu’on parle avec moins d’assurance, on finit par avoir l’air de ne plus parler du tout. Pourtant, si l’on a tendance à valoriser l’extraversion, la timidité est loin d’être une faiblesse (au risque de vous surprendre). Au contraire, elle réunit des qualités très précieuses qui en font sa force. Alors pour tous ceux qui assimilent le fait d’être timide à un manque de parole spontanée, à une forme de solitude, à une passivité jugée inhabituelle, je vous invite à chérir autant que moi une aptitude rare à l’écoute, à créer des relations fortes, souvent cimentée par une sensibilité particulière et surtout une tendance à la contemplation qui s’oublie.
« Je vous invite à chérir autant que moi une aptitude rare à l’écoute, à créer des relations fortes, souvent cimentée par une sensibilité particulière et surtout une tendance à la contemplation qui s’oublie. »
Finalement, dans le fond qu’est ce que la timidité ? Après tout, rien de plus qu’une étiquette qui, à un moment donné, découle du regard des autres. Arrêtons donc une bonne fois pour toute de la considérer comme un dysfonctionnement, et acceptons l’idée qu’il puisse s’agir d’une manière différente d’appréhender le monde. D’une perception de la réalité parmi une infinité d’autres selon moi. Alors, pourquoi essayer de vaincre sa timidité quand on peut la brandir fièrement sous couvert de légèreté et d’une bonne dose d’autodérision ? Car si le tempo de la timidité est avant tout une question de positionnement dans un espace-temps, il demeure important, en tant que timide, de mesurer l’importance qu’on accorde aux regards des autres. Ne pas le subir pour en faire ce qu’on veut. Être capable de le contrôler pour ne jamais le laisser prendre le dessus. Et pour tous ceux qui continueraient à l’avenir de me prodiguer conseils, articles et alternatives médicales en tous genres pour essayer de me guérir : moi ça va, et vous ?
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Photo d’illustration by WTTJ
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