Entretien : 10 phrases qui font fuir vos talents
10 janv. 2022
6min
Journaliste
Ils sont bons, ils sont talentueux et ils sont à la recherche d’un emploi. Eux, ce sont les talents que vous voulez pour votre boîte. Oui, mais les perles rares ont le nez creux pour détecter les « red flags » qui feront d’eux des employés corvéables à merci. Et si vous arrêtiez la langue de bois en entretien d'embauche ?
Vous parlez flexibilité ? Ils / elles entendent horaires à rallonge. Vous parlez motivation ? Ils / elles entendent faible rémunération. Vous parlez babyfoot (vraiment ?), ils / elles s’enfuient par la fenêtre. Bref, les employé·es que vous voulez recruter sont malin·es. Ils / elles passent vos attentes au détecteur de mensonges et slaloment, c’est de saison, entre les grosses entourloupes. Avec eux / elles, évitez la langue de bois et jouez-la franco dès l’entretien d’embauche. Pour vous y aider, nous avons passé au crible 10 phrases qui leur font prendre leurs jambes à leur cou et les conseils pour rectifier le tir en profondeur.
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« Pouvez-vous travailler sous pression ? »
Level de tue-l’amour : Pshiiit
Traduction : C’est le rush constant dans notre boîte, vous pouvez dire adieu à votre zen attitude, à vos week-ends, à vos soirées. On connaît le coup de pression exceptionnel de la startup qui, à deux mois d’existence, se voit déjà comme la future licorne française. Sauf que le talent n’est pas bête et comprend que le rush n’a rien d’exceptionnel.
Pourquoi ça dérange ? Parce que les employé·es ne veulent plus travailler sous pression et cherchent l’équilibre entre vie pro et vie perso. En France, certain·es prônent même l’anti-ambition, pendant qu’en Corée du Sud, d’autres sont prêt·es à payer pour passer une journée… en prison plutôt que de bosser. Ce serait dommage d’en arriver là.
Résolution : On axe davantage l’entretien sur les bénéfices à travailler pour l’entreprise, mais on insiste dès le départ sur les challenges avérés du poste. On n’hésite pas à citer des exemples concrets de missions sous pression et on énumère les temps de récupération ou les avantages qui contrebalancent la prise de risque et donc de stress. On oublie la variante « bonne résistance au stress ». Personne n’est dupe… Et en parallèle, on prend du recul sur ses pratiques : on optimise l’organisation interne, on favorise le management bienveillant et on se rappelle que culture de la charrette ne rime pas avec productivité, au contraire.
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« On a un babyfoot ! »
Level de tue-l’amour : Et un, et deux, et trois zéro
Traduction: On se prend pour une boîte cool, mais on ne l’est pas car le babyfoot a cessé de l’être à la fin des années 2000, en même temps que Thierry Ardisson.
Pourquoi ça dérange: Parce que passé 15 ans, tout le monde s’en fiche ; parce qu’on en a marre de la novlangue importée des startups californiennes et reprise par Jean-Patrick qui parle en « -ing » ; parce que l’open space vous a tué·e ; parce que de bonnes conditions de travail avec des horaires, une fiche de poste et un salaire clairs, c’est quand même vachement plus sexy qu’un baby’.
Résolution : On est transparent sur l’ambiance détendue des lieux, tout en étant très clair sur les missions. On ne fait pas passer un jeu d’ado pour un avantage de carrière en nature. Mieux, on balance le baby par-dessus bord et on investit dans une table de ping-pong. Car, selon les analystes du Wall Street Journal, il y aurait un lien entre les ventes de tables de ping-pong et l’évolution du financement des startups.
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« А ты говоришь по-русски? »
Level de tue-l’amour : 6 shots de vodka caramel
Traduction : Parlez-vous russe ? (littéralement)
Pourquoi ça dérange : Parce qu’on a tou·tes fait allemand ou espagnol LV2.
Résolution : On n’oublie pas de bien noter les langues et le niveau demandé sur l’annonce. Et on se montre tolérant et rassurant face à un·e candidat·e qui n’est pas 100% bilingue car les hard skills, ça se perfectionne vite. Et si investir dans la formation du personnel était la clé ?
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« Nous sommes une grande famille »
Level de tue-l’amour : Et ta mère ?
Traduction : En plus de la sienne, de famille, il va falloir se taper une nouvelle « fratrie », des codes et des valeurs propres à la boîte, et le tout avec le sourire. Sous peine d’être grondé·e par le / la boss ? Chouette.
Pourquoi ça dérange : Le lieu de travail n’est pas l’extension du domaine familial. Le / la manager doit vraiment veiller à ce que la limite entre sphères professionnelle et privée soit respectée. Exit, donc, le recours à l’infantilisation et la culpabilisation si les collaborateur·rices ne répondent pas aux attentes, comme un enfant avec ses parents.
Résolution : Oui, il est attendu du nouveau ou de la nouvelle employé·e une bonne capacité d’adaptation et un esprit d’équipe en phase avec l’ADN de l’entreprise. Il est d’ailleurs de bon ton de détailler ces valeurs (solidarité, bienveillance, échanges informels…) lors de l’entretien. Elles peuvent coller ou non à celles du talent que vous essayez de recruter. Mais parler d’une grande famille pour vous arranger avec le code du travail, c’est bof bof. N’oubliez pas que votre futur·e chouchou n’est pas idiot·e : en cas de conflit, il ne mettra pas les pieds sous la table parce que « mercredi-c’est-ravioli », même si vous êtes « une grand famille ».
« Prêt·e à vous donner à 200% ? »
Level de tue-l’amour : 200%
Traduction : « Prêt·e à travailler 70 heures payées 35 ? »
Pourquoi ça dérange : 100% c’est déjà pas mal, non ?
Résolution : Mettre par avance la pression à son futur talent, est-ce vraiment raisonnable ? Partez du principe que s’il ou elle passe l’entretien d’embauche, c’est qu’il ou elle est déjà très motivé·e. Demandez plutôt à cette personne les missions qu’elle préfère ou qu’elle trouve les plus valorisantes, ce qui la motive dans la vie et comment elle aime être récompensée. À vous d’en tirer les conclusions pour un match ou non avec le poste.
« Supportez-vous les personnalités difficiles ? »
Level de tue-l’amour : Docteur House
Traduction : Vos collègues, votre manager ou votre boss ont manifestement des problèmes pour travailler dans une ambiance saine et il faudra prendre sur vous.
Pourquoi ça dérange : Quand vos équipes ne sont pas assaillies par le « brown-out » (le manque de sens), le « bore-out » (l’ennui) ou le « burn out », l’hyper stress des conditions de travail qui changent au gré des vagues de Covid… Faut-il vraiment en rajouter une couche avec la promesse d’un management toxique ?
Résolution : Même si certain·es apprennent de leurs managers toxiques, l’entente au sein des équipes reste un levier de rétention incontournable. Pourquoi ne pas vous lancer dans un grand ménage et assainir l’ambiance de l’entreprise avant d’embaucher ? Pour repartir sur de bonnes bases, on commence par faire son introspection : est-on soi-même passif·ve-agressi·ve (« Sauf erreur de ma part, tu t’es bien planté sur le dernier bilan / Peux-tu m’envoyer ça ASAP, bien cordialement ») ? Ne faudrait-il pas faire le bilan avec le / la big boss sur son attitude si toute l’organisation en souffre ? Ces mauvaises habitudes de communication ne peuvent-elles pas aussi être changées ? Etc.
« C’est vous qui définirez le contenu de votre mission ! »
Level de tue-l’amour : La Solituuuudine
Traduction : « La boîte est complètement désorganisée, votre référent direct ne sait pas ce que vous faites et nous nous octroyons le droit de changer les missions quand bon nous semble. »
Pourquoi ça dérange : Dans le code du travail, un job est l’échange de compétences contre un salaire. Et la fiche de poste définit les missions demandées à l’employé·e. C’est ce document auquel on se réfère lorsqu’il y a conflit avec l’employeur·e. L’absence de fiche de poste n’est pas une preuve de confiance : c’est une faute professionnelle et c’est puni par la loi.
Résolution : Quel est le réel besoin de l’entreprise ? Quelles sont les compétences que vous recherchez ? Si justement vous avez du mal à mettre le doigt dessus, n’auriez-vous pas besoin d’un petit renfort côté RH, ou d’un·e consultant·e qui viendrait vous aider à mieux cerner vos possibilités ? Vous pouvez déterminer les objectifs avec le / la collaborateur·rice, mais c’est à vous de définir le socle de la collaboration.
« Vous avez des enfants ? Ils ont quel âge ? Ah, ça va, ils sont grands. »
Level de tue-l’amour : Notre Belle Famille
Traduction : Maintenant qu’ils vont à la crèche-école maternelle-collège-lycée, vous allez pouvoir bosser soir et week-end.
Pourquoi ça dérange : Parce que demander à une femme ou un homme s’il / elle a des enfants (a fortiori leur âge) en entretien est illégal – et discriminatoire. Point barre.
Résolution : En tant que recruteur·se, vous pouvez annoncer que des déplacements, permanences ou horaires décalés sont à prévoir et laisser l’employé·e vérifier la compatibilité avec sa vie personnelle.
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Variant pour les célibataires : « Pas marié·e, pas d’enfant… Vous êtes donc corvéable à merci. Haha. »
Level de tue-l’amour : Bridget Jones
Traduction : Pas marié·e, pas d’enfants… Vous êtes donc corvéable à merci.
Pourquoi ça dérange : Car ceux / celles qui n’ont pas d’enfants n’ont pas à se sacrifier pour la boîte. Spoiler : ils / elles ont aussi une vie, des loisirs, le droit à la déconnexion et au respect. Donc ce n’est pas à eux / elles d’assumer la permanence pour laisser les jours de télétravail aux autres, de bosser systématiquement pendant les fêtes ou de faire les nocturnes.
Résolution : On fait attention à l’équité (et au CE qui semble ajuster les règles internes selon son point de vue) et on offre aux célibataires les mêmes avantages (et la même reconnaissance) qu’aux autres, en le revendiquant dès l’entretien d’embauche !
« Ici, c’est moi qui donne les ordres. On me suit ! »
Level de tue-l’amour : Au revoir président
Traduction : Zéro latitude ou prise d’initiative (et possible problème d’égo du / de la boss).
Pourquoi ça dérange : La posture de patriarche / de la matriarche pour un·e manager peut fonctionner pour les profils les plus juniors parce qu’ils ont besoin d’un cadre et de se sentir guider. Mais elle est contre-productive pour les seniors qui se sentiront vite limité·es. Bref, ce n’est pas viable pour une relation de long terme et votre talent l’a reniflé.
Résolution : Définissez en amont les besoins de l’entreprise. Si, en effet, c’est vous qui donnez les ordres un-point-c’est-tout, alors cherchez des débutant·es et des personnalités qui seront (vraiment) heureux·ses d’être au garde-à-vous, mais n’en n’abusez pas. Souvenez-vous que l’on reconnaît un·e bon·ne boss à son autorité certes, mais surtout à sa souplesse et sa capacité de remise en cause… À bon entendeur.
Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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