Voyages d’affaires : la pandémie vue du ciel
23 mars 2021
7min
Journalist
Voyager pour le travail ? Aujourd’hui, l’idée ne va plus de soi. La présence physique en réunion n’est plus un prérequis et l’époque où l’on s’installait confortablement dans l’avion, ordinateur portable sur la tablette, semble presque révolue. Surtout dans un monde qui se veut plus vert. Malgré cela, les compagnies aériennes ont bon espoir de voir revenir des jours meilleurs, mais est-ce seulement réaliste ?
Niamh Donoghue, responsable marketing dans une multinationale de la tech à Londres, partait cinq fois par an à San Francisco retrouver son équipe américaine. « J’en profitais pour voyager, en enchaînant sur des vacances », se souvient-elle, évoquant ses escapades à la Nouvelle-Orléans, à Porto Rico et au festival de Burning Man dans le Nevada. La pandémie a stoppé net ses habitudes. « J’ai vécu à San Francisco et mes amis me manquent, mes collègues aussi. Je ne peux plus aller les voir comme avant. Et il y avait aussi l’excitation du départ, le voyage, les nouvelles expériences. Ça laisse un grand vide dans ma vie. » Aujourd’hui, tout se passe en ligne chez Soundboard, la plateforme de mise en relation entre professionnels via des événements, des ateliers et du mentorat qu’elle a fondé.
Niamh Donoghue est loin d’être la seule à être privée de déplacements. Sur notre planète confinée, des millions de voyageurs d’affaires sont passés du tarmac à Zoom, Google Hangouts, Microsoft Teams ou d’autres technologies pour échanger avec leurs collègues et partenaires. L’impact du Covid-19 sur l’industrie du voyage d’affaires s’est fait réellement sentir au deuxième trimestre 2020, précise la Global Business Travel Association (GBTA), après un premier trimestre plutôt bon. À l’échelle mondiale, les revenus liés au tourisme d’affaires devraient passer de 1,1 billion d’euros à 582 milliards d’euros en 2020, soit une chute de 52 %.
C’est un effondrement sans précédent, explique l’Association internationale du transport aérien (IATA). « L’année dernière a été catastrophique. Il n’y a pas d’autre mot », a déclaré son président-directeur général, Alexandre de Juniac. Le secteur aérien a davantage souffert de la pandémie que du 11-septembre ou de la crise de 2008.
Nicola Cox, directrice générale de l’agence de voyages londonienne Midas Travel, rappelle que 2019 avait été une année record pour le tourisme d’affaires. « Juste avant la pandémie, les entreprises avaient conquis de nouveaux marchés, accéléré leur développement à l’international. Les décisions prises par les gouvernements du monde entier pour endiguer la pandémie ont mis un cran d’arrêt à notre activité. Entre les quarantaines, les pays sur liste rouge, les tests, les confinements en chambre d’hôtel, il est devenu bien compliqué de voyager. Pour le moment en tout cas. » Les voyages d’affaires restent un impératif pour certaines entreprises et organisations, mais s’accompagnent de beaucoup de paperasse et de logistique, précise Nicola Cox.
Et le monde découvrit la Business Class
Le voyage d’affaires est presque vieux comme le monde, plus vieux que Marco Polo et ses expéditions sur la route de la soie. Mais c’est une compagnie australienne qui se targue d’avoir inventé la Business Class telle que nous la connaissons. En 1979, Qantas annonce des sièges plus larges et confortables, pour un tarif rehaussé de 15 %. Les passagers peuvent aussi bénéficier d’un embarquement prioritaire, d’un plateau-repas upgradé et de boissons gratuites. Le concept de VIP n’est pourtant pas neuf à cette époque : il y a bien longtemps qu’un rideau sépare les passagers de la classe économique et de la Première classe. En déboursant une poignée de deniers supplémentaires, les passagers pressés de Japan Airlines, KLM, Pan Am, Air France et British Airways peuvent aussi jouir de quelques privilèges, quand Thai Airlines cible exclusivement des voyageurs d’affaires. Mais Qantas est la première compagnie à packager une offre complète et à la baptiser « Business Class ».
Le concept fait le tour du monde. En 1984, Virgin décolle avec son Upper Class, qui promet le service de la Première pour le tarif de la Business. En 1988, British Airways lance Club Europe pour les vols courts et Club World, une offre VIP pour les longs courriers. Tout y est pensé pour aider le voyageur à se concentrer sur son travail, avec des technologies dernier cri comme des cabines aux lits toujours plus confortables.
Être ou ne pas être voyageur d’affaires en 2021
Aujourd’hui, les offres sont en berne et n’apportent plus autant de satisfaction aux voyageurs d’affaires, juge Michelle Tanaka Chingoka, blogueuse londonienne et organisatrice de voyages chez Tanaka Travels. En septembre 2020, elle s’est rendue à Positano, en Italie : « Ce n’était pas l’expérience à laquelle je suis habituée. L’accès aux salons est restreint, les duty-free sont fermés, seules les parapharmacies Boots sont ouvertes. » L’annonce du deuxième confinement l’a contrainte a annulé un voyage à Cuba, où elle devait accompagner un groupe. « Ça m’a fendu le cœur de devoir tirer un trait sur ce chouette périple à Cuba. Je le préparais depuis des mois, nous avions tous très hâte de nous plonger dans la culture cubaine. Tout est tombé à l’eau du jour au lendemain. »
Michelle Chingoka n’est pas la seule à espérer pouvoir bientôt repartir. Avant l’arrivée de la pandémie, Niki Webster officiait plusieurs fois par an à l’étranger en tant que cheffe dans l’hôtellerie de luxe. De ses voyages, en Indonésie, en Thaïlande ou en Inde par exemple, elle tirait ses inspirations pour des livres de recettes. « Beaucoup de choses me manquent, mais ce qui m’affecte le plus, c’est la privation d’expériences culinaires. Mes recettes sont inspirées de mes voyages aux quatre coins de la planète. J’aime découvrir de nouvelles saveurs, partir à la découverte de traditions. Et ce sont aussi des aventures humaines, des lieux, des défis. Toute une expérience de l’ailleurs. »
Voyager pour le travail n’est cependant pas toujours une partie de plaisir. « Les gens ont souvent une image glamour, très classe, du voyage d’affaires. C’est pourtant loin d’être le cas. Quand je travaille en tant que cheffe, je ne compte pas mes heures, ce sont des missions éreintantes. Mais elles en valent la peine malgré tout. » Pas de nouvelle aventure en vue pour Niki Webster. Cela ne l’empêche pas de rêver à de nouvelles destinations, le Mexique et l’Éthiopie en tête : « Je vais voir comment ça se passe dans les prochains mois. »
Et il y a les autres, ceux qui sont bien décidés à bouder les portes d’embarquement. Alan Spurgeon travaille pour Hedgehog Digital, une agence marketing avec des bureaux près de Cambridge en Angleterre, en Cornouailles et à São Paulo, au Brésil. Il avait l’habitude de voyager au Royaume-Uni et partout dans le monde. « Depuis le début de la crise sanitaire, je suis resté chez moi, dans le sud de l’Angleterre. Ça ne me plaît pas forcément d’être coincé, j’aimais bien aller à la rencontre des gens. Mais maintenant, le management et les rendez-vous à distance sont entrés dans les mœurs professionnelles. Alors je suis vraiment pour qu’on calme le jeu sur les voyages d’affaires. Je dois avouer que ça m’a libéré du temps pour mes dossiers, et nous n’avons plus aucune dépense liée aux déplacements. Donc si j’ai les choses peuvent se faire à distance, je préfère clairement dire stop. »
Des professionnels dans les starting-blocks
Chez Midas Travel, Nicola Cox constate elle que ses entreprises clientes sont nombreuses à attendre la reprise. « Les entreprises ont été contraintes de s’adapter et de gérer tant bien que mal ce contexte de télétravail généralisé. Mais beaucoup estiment qu’il ne s’agit pas d’une solution à long terme. Les échanges en ligne ne datent pas de la pandémie. Si nous avons tous adopté les outils digitaux, c’est contraints et forcés, et non par choix. »
Pour elle, les bonnes raisons de monter en avion ne manquent pas, que ce soit pour aller voir des clients ou des collègues. « Ce qui était vrai avant la pandémie l’est toujours aujourd’hui. Nouer des relations, favoriser les échanges au sein de l’entreprise, faire de la prospection, se lancer sur des nouveaux marchés : certaines activités fonctionnent beaucoup moins bien à distance. Ils sont nombreux à penser que Zoom a fait son temps et que les appels vidéo ne suffisent plus. Et les entreprises n’ont plus envie de perdre du temps. »
Quel avenir pour le voyage d’affaires ?
Pour certains, l’industrie du voyage d’affaires ne retrouvera jamais les chiffres de 2019. Selon Bill Gates, le fondateur de Microsoft, elle devrait désormais se préparer à une perte définitive de 50 % de son activité. Tout le monde n’est cependant pas du même avis. Dans un rapport de Citibank, on peut lire au contraire que le voyage d’affaires n’a pas dit son dernier mot. La reprise s’annonce toutefois lente, variable d’un pays à l’autre et fortement liée à la courbe du Covid, explique la banque américaine. Mis à mal après dix ans de croissance continue (5,1 % par an selon un rapport de la GBTA), le secteur aérien devrait connaître un retour à la normale en 2025.
Ses acteurs y œuvrent déjà : le Travel Pass de la IATA, un « passeport numérique » permettant de vérifier la conformité d’un test ou d’une vaccination avec les exigences du pays de destination, devrait ainsi être lancé dans quelques semaines. International Airlines Group, qui détient British Airways, Aer Lingus, Iberia et Vueling, a annoncé des pertes à hauteur de 7,4 milliards d’euros en 2020. Chez British Airways, les ventes de billets ont bondi depuis l’annonce, par le gouvernement britannique, d’une reprise progressive des vols internationaux à compter du mois de mai. De son côté, Air France-KLM évoque une « visibilité limitée » sur la reprise du trafic, avec quelques espoirs liés à la campagne de vaccination.
Nicola Cox, Alexandre de Juniac, eux comme d’autres croient en la technologie pour apporter des solutions : « Avec le passage au digital pour l’enregistrement des bagages ou la commande des repas, par exemple, les interactions humaines seront très limitées. Mais quoi qu’il en soit, les voyageurs devront montrer patte blanche sur le plan sanitaire avant de pouvoir partir pour l’étranger. »
Si un espoir demeure, c’est avant tout celui de voir la société dans son ensemble bénéficier de la réduction du trafic aérien. Durant le pic de la pandémie en 2020, les avions sont largement restés au sol : à la clé, une baisse des émissions de CO2, comme l’a souligné Global Carbon Project. Selon son rapport, le secteur aérien n’est responsable que de « 3 % du volume de CO2 émis dans le monde » – mais chaque bonne nouvelle compte. « Mon impact sur l’environnement s’est largement amélioré », se félicite Alan Spurgeon. En matière d’éco responsabilité, c’est la somme des efforts individuels qui compte, surtout si elle se mue en vraie lame de fond.
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Photo d’illustration by WTTJ, traduit de l’anglais par Sophie Lecoq
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