Le parcours de Nicolas Roginski, Senior Game Designer
19 janv. 2018
6min
À 20 ans, Nicolas Roginski décide de quitter son job de barman pour rentrer dans l’une des premières écoles de game design en France. Quelques années plus tard, il devient Game Designer et depuis ne cesse de se challenger en multipliant les expériences dans le milieu : il a travaillé sur la production et la conception de jeux renommés et a apporté son expertise à de nombreux studios. À 37 ans, il est aujourd’hui Senior Game Designer chez Gameloft et joue toujours avec autant plaisir.
Nicolas, te souviens-tu de la première fois que tu as joué à un jeu vidéo ?
Oui, j’ai un souvenir très précis d’être resté devant une borne assez longtemps, à l’âge de quatre ans ! Je vois encore ma mère qui vient me récupérer une heure et demi après. Je n’avais pas bougé, je trouvais ça magique et d’ailleurs, c’est resté magique très longtemps.
Tu jouais beaucoup à la maison ?
Oui, mais tout en continuant à faire autre chose. Avec le recul j’ai eu beaucoup de chance car ma mère ne s’est pas bloquée et a compris que ça n’avait rien d’idiot. Parfois, elle essayait même des jeux avec moi. Tant que je ne faisais pas que ça, que je continuais à voir des amis, à faire du sport et à avoir des activités en extérieur, il n’y avait pas de problème pour que je joue.
Je m’étais fait à l’idée que c’était une passion et que je n’en ferai pas mon métier.
Il t’a semblé naturel d’en faire ton métier ?
Non, au début, je ne pensais pas pouvoir travailler dans l’industrie parce que je n’étais pas assez bon en dessin et je ne savais pas coder… Et c’était il y a 20 ans donc il n’y avait pas encore de formation spécialisée. Je m’étais fait à l’idée que c’était une passion et que je n’en ferai pas mon métier. Et puis j’ai eu un petit coup de bol.
Alors que travaillais à Londres en tant que barman, je suis tombé sur un article dans un magazine qui parlait de l’ouverture de la toute première école de game design en France. Je suis donc rentré et j’ai tenté le concours à l’Isart Digital. C’était la deuxième promotion et j’étais en alternance. La première année je faisais du web design, c’était au tout début de la bulle internet ! Ensuite en deuxième année je suis rentré chez Ubisoft où j’ai pu avoir une première expérience en édito.
On organisait des playtests pour des jeux en cours de développement, on faisait venir des joueurs type (non professionnels) pour essayer le jeu en cours de développement et on avait une grille d’analyse pour que ce soit objectif. On mesurait le temps de jeu, le nombre d’échecs, la compréhension de l’interface… Par exemple : sur huit joueurs, six ont compris comment recharger leur arme ou comment donner un conseil à leur coéquipier, par contre 7 ont échoué à cette mission, puis trois fois d’affilée, etc.
Gameloft
Par la suite, ton parcours a été très riche et diversifié dans le domaine du jeu vidéo, quel était ton état d’esprit ?
J’étais ouvert aux opportunités car le marché évolue énormément, je me suis nourri continuellement. Je suis passé par la production et la conception de jeu, l’enseignement, le jeu console, j’ai fait aussi un peu de capture de mouvement et d’animation, du jeu mobile, de l’édito…
Je suis passé par la production et la conception de jeu, l’enseignement, le jeu console, j’ai fait aussi un peu de capture de mouvement et d’animation, du jeu mobile, de l’édito…
Qu’as-tu retenu de ces expériences ?
Ça m’a permis de travailler dans des domaines différents, avec des gens que j’admirais, et de toucher à plein de choses. Par exemple, j’ai travaillé chez Vector Cell, une boîte fondée par Paul Cuisset, un grand nom du jeu vidéo puisqu’il avait fait Flashback et MotoGP. Dans ma tête je me disais que c’était dingue, j’allais bosser avec une légende !
Chez Asobo Studio à Bordeaux, j’ai travaillé sur un grand jeu Disney Pixar basé sur la détection de mouvement, que j’ai adoré. J’ai aussi fait un peu de capture de mouvement. C’est le fait de travailler avec un comédien que l’on habille d’une combinaison avec des marqueurs et des caméras spécifiques pour enregistrer des mouvements qui vont être ensuite intégrés aux jeux.
Aujourd’hui en édito, comment interviens-tu dans la construction d’un jeu ?
J’arrive après le gameplay, c’est à dire une fois que la mécanique de jeu a été validée. On part du pitch et à partir de là, on va accompagner les studios jusqu’à la sortie du jeu.
On a vraiment un rôle d’accompagnateur, comme un architecte pour une maison. Si on prend l’exemple de Mario par exemple c’est à nous de voir quel va être l’amplitude de son saut, quel type d’ennemis il va rencontrer, le type de bonus, le nombre de niveaux.
On a vraiment un rôle d’accompagnateur, comme un architecte pour une maison.
Quelles sont tes missions principales ?
Un game éditorial a trois missions. La première, et la plus importante, est le suivi du projet. On est là pour l’accompagner, apporter une expertise et un regard extérieur à la production sur les mécaniques de jeu, le rythme, la difficulté, l’expérience. On se concentre vraiment ce que va vivre le joueur.
La deuxième est la partie recherche et développement. On travaille avec des développeurs et des artistes, et il nous arrive aussi de proposer un projet et le développer en parallèle. Une fois l’idée retenue, on conçoit un prototype avec lequel on doit prouver et démontrer l’attractivité et le potentiel de fun du jeu.
La troisième mission est plutôt un travail de veille approfondie sur une domaine, un thème…
Quels sont les challenges quotidiens d’un game designer ?
Le plus gros challenge est de rassembler toutes les bonnes idées tout en gardant une cohérence dans l’expérience de jeu. Dans la conception, il faut savoir interpréter la vision ou l’intention d’un client et la transformer en mécanique de jeu. Il faut créer quelque chose à partir d’une intention simple donc il faut beaucoup de créativité.
Et ce qui est très important, c’est de bien savoir communiquer, avoir la capacité de transposer tous ces éléments à l’oral, à l’écrit. Il faut se faire comprendre et être synthétique pour que quelqu’un qui soit à la programmation, à la conception artistique ou au marketing puisse bien comprendre et avoir la même vision globale.
Il faut se faire comprendre et être synthétique pour que quelqu’un qui soit à la programmation, à la conception artistique ou au marketing puisse bien comprendre et avoir la même vision globale.
Comment le marché a-t-il évolué depuis tes débuts ?
Quand j’ai commencé, le jeu mobile était très très anecdotique, il y avait un bouton à la fois, avec de tout petits écrans, il n’y avait pas un gros marché. À l’inverse, on était tous fascinés par les triples A, ces gros blockbusters sur console, et le marché du PC était vraiment en déclin. Aujourd’hui, le marché du mobile a pris beaucoup de place.
Ce que j’aime chez Gameloft, c’est qu’il y a une expertise sur le jeu mobile qui est unique. C’est du « free to play ». Le VP création travaille là-dessus depuis 14 ans donc il a une culture et une expérience folle dans ce domaine là.
Dans ta manière d’appréhender la conception d’un jeu, as-tu aussi changé de point de vue ?
Personnellement, je suis un peu moins fou. Avant, j’osais plus de choses mais elles étaient du coup un peu moins cadrées. L’âge aidant et avec l’expertise, l’innovation se fait plus sur des éléments précis, dans les détails réalistes. Aujourd’hui, je peux mieux mesurer ce qui va vraiment être une source d’innovation intéressante et je comprends mieux l’attente des joueurs. Je pense que l’expérience m’a fait comprendre que je ne faisais plus un jeu pour moi mais pour les joueurs. Pour le reste, je touche du bois, la créativité et l’envie sont toujours les mêmes.
80% de la créativité est alimentée par le fait de continuer à jouer.
Comment alimentes-tu cette créativité ?
Il faut jouer. 80% de la créativité est alimentée par le fait de continuer à jouer. Parfois il y a moins d’envie mais il faut essayer de trouver l’inspiration partout, même dans des jeux que l’on connaît par coeur.
Ensuite il y a les talks, les conférences qui m’ont vraiment aidé à rebooster ma créativité et à me confronter à d’autres visions. Les échanges que l’on peut avoir avec les pairs qui partagent leur expérience de conception sont riches. Et ensuite je regarde tous les supports qui apportent une expérience à un public, culturelles ou ludiques : lectures, ciné, séries, BD… Faire un escape game, jouer à des jeux de rôles ou de cartes, ça vous nourrit !
Après plus de 10 ans de carrière, qu’est-ce qui t’anime particulièrement ?
Ce que j’aime énormément, c’est la partie recherche et prototypage. Des idées naissent dans la tête d’une ou plusieurs personnes et on va les mettre en scène, on va les voir prendre vie. C’est ce passage de l’abstrait au concret qui m’a toujours fasciné dans le métier.
Et quand à la fin d’un proto, on voit les gens s’amuser alors que le proto n’est pas forcément très beau et n’a pas toutes les qualités d’un jeu final, c’est un moment magique ! Qu’importe le jeu, à la fin, il y a toujours quelque chose qui est sensé donner du plaisir à quelqu’un.
Photos @Gameloft
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