« Je dépeins la culture américaine à travers le scope du burger », George Motz
22 sept. 2022
6min
Journaliste indépendante
Le new-yorkais George Motz mord la vie à pleines dents, comme il dévore ses burgers et sa carrière. Reconnu comme expert international de ce plat emblématique de la junk food, il a accepté de nous raconter les dessous de ce métier hors du commun qui l’a conduit à sillonner la planète, à écrire de nombreux ouvrages et à animer plusieurs émissions parmi lesquelles « Burger Scholar Sessions ». Sa mission ? Partager la culture et l'histoire du burger américain avec curieux et gourmands. Bon appétit.
Vous donnez des « cours d’appréciation du burger ». Peut-on vous appeler « maître », ou encore « professeur » de la culture du burger ?
Ne m’appelez pas « maître » ni « professeur » ! Expert en burger, ou encore puriste du burger, sont peut-être les appellations qui conviennent le plus.
Connaissez-vous des personnes qui font le même métier que vous ?
Je crois que nous ne sommes pas très nombreux. Celles et ceux qui s’intéressent de près au burger dans leur cadre professionnel ne se préoccupent peut-être pas autant de l’aspect historique des burgers. En tout cas, pas de manière aussi approfondie que moi. D’ailleurs, j’aime dire que j’ai mangé plus de burger dans plus d’endroits que n’importe qui (rires).
Comment en êtes-vous arrivé là ? Était-ce un rêve d’enfant ?
Si vous entendiez un enfant vous dire : « Plus tard, je voudrais être un expert en burger ! », vous ne trouveriez pas ça bizarre, vous ? D’ordinaire, quand on est jeune, on veut être astronaute, médecin, pompier, gravir des montagnes… Non, clairement, ma carrière est un accident.
Quel a été l’élément déclencheur ?
Durant la première partie de ma vie professionnelle, j’ai été caméraman et directeur de la photographie pour des publicités, mais j’ai fini par m’ennuyer. J’avais besoin d’un projet un peu différent, alors j’ai décidé de faire un film sur le hamburger qui pourrait également dépeindre une partie de la culture américaine à travers le scope de la cuisine. Il y a vingt-deux ans, ça n’avait jamais été fait. Personne ne filmait la cuisine à cette époque. C’est après que la food culture s’est démocratisée pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui.
« Le burger fait partie de l’histoire et de la culture des États-Unis et mon rôle est de le transmettre au reste du monde », George Motz
Votre succès a-t-il été fulgurant ?
Absolument pas ! Si on veut faire de l’argent, mieux vaut laisser le monde des burgers de côté (rires) ! Financièrement, j’ai mis du temps à m’en sortir. Heureusement, aujourd’hui et depuis une dizaine d’années, mon travail est bien plus reconnu. De plus en plus de monde apprécie le burger américain à sa juste valeur.
Pourquoi les hamburgers sont-ils devenus si importants pour vous et que symbolisent-ils ?
Le burger fait partie de l’histoire et de la culture des États-Unis et mon rôle est de le transmettre au reste du monde. Rien que ce matin, on m’a envoyé un email à propos d’un type de burger pour me poser tout un tas de questions, notamment sur son origine. J’ai eu l’occasion d’expliquer à mon interlocuteur comment le burger a traversé différents états du pays. Cela devient presque une question sociologique. Aussi, durant la réalisation de mon premier film sur les burgers, j’ai réalisé qu’en manger était une manière de profiter de la vie sans prétention. On peut partager avec ses proches un produit historique qui se cuisine très facilement et rapidement. Et puis, rien qu’avec une bouchée de burger, beaucoup de vos besoins basiques nutritifs sont remplis, ce qui est rare. J’essaye d’enlever l’étiquette junk food du burger. Il n’y a pas que le Big Mac ! On peut aussi responsabiliser les gens à cuisiner leur propre burger avec amour.
Justement, le burger est devenu un plat de plus en plus premium ces dernières années. Quel a été votre rôle dans cette évolution ?
J’ai toujours eu envie que le burger soit accessible au plus grand nombre, sachant que je m’adresse aussi bien aux restaurateurs qui souhaitent faire évoluer leur offre ou créer un restaurant, qu’aux particuliers. Depuis le début de ma carrière, je dirais que j’ai en quelque sorte participé à sauver le burger américain (rires). « Sauvons le burger américain ! », c’est même le titre de mon Ted Talk à venir… C’est pour ça que l’on peut aussi dire que je suis une sorte de « gardien » d’un pan de l’histoire de la gastronomie américaine.
C’est ce qui vous fait vous lever le matin ?
J’aime me lever avec le devoir de répondre à de nombreuses questions et, surtout, de donner les bonnes réponses… Rien que ce matin, j’ai déjà répondu à quatre questions… et il n’est que 7h ! (rires). Bon, cela ne m’empêche pas non plus de dormir, mais ça me donne clairement envie de me mettre en action chaque jour. Je m’amuse et je me sens utile, même si je ne sauve pas des vies. Divertir, participer au plaisir des autres, c’est également important.
« Si je ne publie pas de photo pendant un ou deux jours, certains followers de mon compte Instagram me demandent si je vais bien… ! », George Motz
Votre travail semble idyllique. Qu’en est-il en réalité ?
Même lorsqu’on adore son job, on est parfois obligé d’apprendre à dire non tout simplement parce qu’on ne peut pas tout faire. C’est facile de se perdre dans cette émulation. Entre les voyages, l’écriture des bouquins, l’ouverture de mon premier restaurant et mes deux enfants, je ne chôme pas ! Et aussi étrange qu’il y paraît lorsque je me repose enfin, il m’arrive de culpabiliser. Même durant le peu de vacances que je m’octroie, je pense « burgers » tout le temps, je prends des photos des plats que je découvre, je partage de nouvelles recettes… En fait, je ne fais pas partie des personnes qui aimeraient apprendre à bosser plus, mais plutôt à bosser moins. Si je ne publie pas de photo pendant un ou deux jours, certains followers de mon compte Instagram me demandent si je vais bien… ! Oui, je suis influenceur burgers. Chez moi, ce n’est pas « outfit of the day » (tenue du jour, ndlr.), mais « burger of the day » (burger du jour, ndlr.). Tout ça pour dire que je ne changerais de job pour rien au monde.
Vous parlez de followers, d’Instagram… vous arrive-t-il de couper malgré la pression ?
J’adorerais… ! Mais comment y arriver de nos jours ? C’est presque impossible ! Je comprends très bien pourquoi certains prennent une « pause d’Instagram », mais je n’arrive pas à saisir comment ils ne se font pas dépasser par la « concurrence », s’ils s’absentent trop longtemps des réseaux. Mon travail s’appuie énormément sur ces derniers, d’où la difficulté à couper. Le pire, c’est quand je lis quelque chose d’incorrect à propos des burgers : dans ce cas, il est de mon devoir d’intervenir et je me dis « heureusement que je n’ai pas coupé » (rires).
Vous reproche-t-on d’avoir un travail qui va à l’encontre des enjeux environnementaux en faisant l’apologie d’un régime carné ?
Le hamburger est clairement identifié comme un problème pour l’environnement, notamment par les médias. Et pourtant, ils ne parlent pas d’autres types de nourriture qui pourraient être problématiques. Selon moi, de nombreux médias utilisent le fait que la plupart des Américains adorent les burgers pour attirer leur attention, alors que selon moi, le danger du burger pour l’environnement est minime, contrairement au risque que représentent celles et ceux qui prennent des avions privés… Donc non, je ne pense pas que cela soit une raison d’arrêter de parler de burgers. En revanche, je prône la modération et l’appréciation du hamburger, même si j’en mange presque chaque jour, pour des raisons professionnelles (rires).
À quoi ressemble une journée type d’un expert du burger ?
La plupart du temps, je travaille depuis chez moi. Je me lève assez tôt, je bosse (je lis, fais des recherches, je réponds à des demandes), je déjeune et je me remets à bosser. Rien de très original en somme ! Après, il m’arrive de casser cette routine en voyageant, dans le cadre de mon travail. Avant la pandémie, je dirais que j’étais sur la route 65% du temps, aussi bien aux États-Unis qu’en Argentine, au Brésil, en France, en Angleterre, au Japon… pour donner des « cours d’appréciation de burger ».
Qu’est-ce que vous auriez fait si vous n’étiez pas devenu un expert du burger ?
Je serais probablement photographe, comme ma mère… et on pourrait enfin me foutre la paix (rires). J’adore ça, et je m’amuse déjà beaucoup en photographiant mes coups de cœur culinaires.
« Si les autres vous disent que vous faites mal, il y a de grandes chances que vous fassiez justement bien les choses… », George Motz
Quel serait votre conseil aux personnes qui souhaitent entreprendre, notamment dans des projets peu communs comme le vôtre ?
Si les autres vous disent que vous faites mal, il y a de grandes chances que vous fassiez justement bien les choses… Le seul moyen de savoir où ça vous mènera est de continuer, de ne pas lâcher. Ce n’est pas parce que ce n’est pas facile tous les jours que vous n’êtes pas sur le bon chemin, que vous n’allez pas y arriver. J’ai mis du temps à m’en rendre compte, car personne ne m’a transmis cette philosophie. Après avoir intégré cela, il vous suffit d’additionner passion et connaissance, pour obtenir une certaine expertise !
Et pourtant, vous arrive-t-il d’avoir des doutes ?
Je doute chaque jour ! Je pense que rester pragmatique est très important pour garder les pieds sur terre. Il faut sans cesse penser aux manières de s’améliorer. Alors, doutez, sans aucun doute !
Vous semblez avoir atteint de nombreux objectifs (écrire des livres, créer et animer des émissions de télévision, voyager dans le monde entier, …) : avez-vous encore des rêves professionnels ?
C’est vrai que quand j’y pense, j’ai déjà accompli beaucoup de choses. Je crois qu’un de mes goals serait de prendre de vraies vacances ! À part ça, je vais bientôt faire un Ted Talk. J’ai l’impression que c’est une une étape importante à passer. Et puis, je suis en train d’ouvrir un restaurant, c’est un rêve qui prend vie. Une fois qu’il sera ouvert, j’y serai tous les jours. Enfin, quand je ne serai pas sur la route. Un autre rêve serait de continuer les « burgers scholar sessions » en mode travelling show (spectacle ambulant, ndlr.) ! J’aimerais donc continuer ce que je fais… mais en mieux.
Article édité par Romane Ganneval
Photo par Bess Adler
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