Démissionner pour un job mieux payé : une bonne stratégie face à l'inflation ?
09 nov. 2023
6min
Journalist & Content Manager
Alors que nos passages en caisse n’en finissent plus de nous donner des sueurs froides, nous pouvons être tentés d’aller voir ailleurs pour gagner plus. Mais le timing est-il vraiment judicieux ? Comment s’assurer que sa prise de risques est mesurée ?
Sophie (1) a la trentaine et occupe un poste de responsable marque employeur au sein d’un groupe industriel basé dans les Ardennes. Avec son salaire de 3000€ nets mensuels, elle fait partie des hauts revenus dans son bassin d’emploi. « J’ai très bien négocié il y a deux ans. Sauf qu’aujourd’hui, j’ai du mal à boucler mes fins de mois avec l’inflation. J’en suis arrivée à me restreindre sur l’achat de paquets de biscuits ou une simple sortie au cinéma. J’ai l’impression qu’avec mon conjoint, on vivait mieux quand on était jeunes avec deux SMIC », nous confie-t-elle. Il faut dire que Sophie assure le haut revenu du foyer, son mari s’étant lancé dans le coaching sportif avec un statut d’auto-entrepreneur, générant entre 1500 et 2000€ de revenus mensuels. Entre l’emprunt immobilier et toutes les factures à honorer, c’est bien simple : tout le salaire de Sophie y passe. Il reste alors peu de place pour les petits plaisirs.
C’est pourquoi la mère de famille est en recherche active d’emploi, d’autant que son entreprise est quelque peu old school en matière d’avantages salariés : elle travaille plus de 50 H par semaine… sans RTT à la clé ! Quant au télétravail ? Il est encore très mal perçu par son employeur. « Ce serait pourtant un vrai soulagement pour moi de travailler au moins un jour par semaine de chez moi. Cela me permettrait de souffler mais aussi de payer moins d’essence, et moins de frais de garde », analyse-t-elle. Malheureusement, Sophie ne parvient pas pour l’heure, à décrocher une offre d’emploi plus avantageuse que la sienne : « Tout le monde me dit que je suis déjà très bien payée, et qu’ils ne peuvent pas s’aligner. » Notre interviewée s’est également tournée vers les start-ups. Leurs offres sont alléchantes car elles sont souvent basées à Paris (avec les salaires qui vont avec), tout en proposant du travail à distance. « Mais il y a non seulement la période d’essai à passer, mais surtout, j’ai peur du manque de solidité économique de ces jeunes entreprises. Dans ma boîte, ce n’est pas parfait, mais l’entreprise est centenaire et je sais que je serai toujours payée à la fin du mois. Or, étant le seul CDI de la famille, je ne peux pas faire n’importe quoi », analyse-t-elle.
Un marché en faveur des candidats
Coach et DRH externalisée, Léna Basile voit passer de nombreux travailleurs qui, comme Sophie, ne se sentent pas assez récompensés par rapport à leur investissement au travail. « Dans ce contexte inflationniste, toutes les entreprises n’ont pas pu suivre en termes d’augmentation, ou n’ont pas compensé via d’autres avantages pour assurer la rétention de leurs salariés », analyse-t-elle. En face, le marché de l’emploi est plutôt porteur pour les candidats, ce qui encourage les travailleurs à plus de mobilité. « Nombreux sont ceux qui se disent que c’est le moment de changer pour “gagner plus”, car il est vrai que l’on fait rarement des gaps de salaire aussi significatifs en restant dans la même entreprise », poursuit la coach. Changer d’emploi permet aussi de progresser dans sa carrière en matière de reconnaissance de ses compétences.
Mais dans le même temps, l’inflation crée des inquiétudes légitimes chez les aspirants au changement : et si la période d’essai n’était pas concluante, d’un côté ou de l’autre ? Et si le job n’était pas épanouissant ? Et si la bonne ambiance n’était pas au rendez-vous ? Pour Léna Basile, il est vrai qu’un changement de job n’est pas à sous-estimer en termes d’énergie à déployer et d’efforts d’adaptation à consentir. « Cela peut avoir un réel impact psychologique, notamment sur la confiance en soi », affirme-t-elle. Et puis, notre interlocutrice émet immédiatement une mise en garde : il faut se méfier de l’appât du gain. En tant que coach, elle a croisé la route de nombreux salariés qui ont quitté un job dans lequel ils s’épanouissaient pour des emplois plus rémunérateurs, mais qui ne leur ont pas apporté la satisfaction escomptée. Certains ont même sombré dans le burn out, ayant perdu le sens de leur travail. En revanche, elle se veut rassurante sur les ruptures de période d’essai du fait des employeurs : « Il est vrai qu’elles sont un peu moins rares qu’autrefois. Toutefois, c’est un risque mesuré car en face, on a des entreprises qui ont vraiment du mal à recruter et qui souhaitent attirer et garder leurs talents ! » Tous secteurs confondus, 19 % des CDI ont été rompus durant la période d’essai selon la DARES (chiffres 2019). Le principal motif étant la démission.
Alors, quels critères prendre en compte avant de quitter son employeur actuel en période d’inflation ?
Cinq points à mettre dans la balance avant de changer de job :
1. Identifier son levier prioritaire d’engagement
Il est vrai que l’argent peut être un moteur, et même le principal pour certains profils. Mais est-ce votre cas ? Souhaitez-vous placer le salaire au sommet de la pyramide ? Ou vos moteurs d’engagement sont-ils différents ? « C’est important d’être au clair là-dessus car la rémunération apporte une satisfaction très court-termiste si elle n’est pas le moteur n°1 », pointe Léna Basile.
2. Croiser tous les canaux de communication
Pour s’assurer que l’on rejoint la bonne entreprise. Il est intéressant de contacter des salariés ou alumnis sur LinkedIn, de regarder les avis sur les plateformes, ou encore d’entrer en contact avec les clients de l’entreprise. On peut aussi regarder sur quel type d’événement la boîte s’engage, ou encore les labels qu’elle détient. « Il est toujours difficile d’avoir une vision précise de ce qui se passe en interne, mais en multipliant les sources d’informations, on peut dégager des tendances », explique notre interlocutrice.
3. Mettre en balance le package global
Bien sûr, il y a un socle de rémunération au-dessous duquel il n’est pas possible de descendre, et qui est corrélé à son niveau de charges afin d’avoir un reste à vivre correct. Mais il est important de mettre dans la balance tous les avantages comme le télétravail, la mutuelle, les tickets-restaurant, la semaine de 4 jours, les forfaits mobilité, etc. qui peuvent changer la donne et vous faire économiser sur certains points.
4. S’assurer de la viabilité économique de l’entreprise
En période de crise, il est important de vérifier que l’on rejoint une boîte avec les reins solides. Ex Chief People Officer chez Cafeyn, Lou Pratali - qui exerce en parallèle en tant que coach - nous suggère quelques questions à poser en entretien, notamment pour les entreprises de type start-up : le modèle de la boîte est-il basé sur la croissance ou la rentabilité ? Des actionnaires sont-ils en place ? S’agit-il de banques ou d’investisseurs ? Quel est le taux de turn-over et prend-t-il en compte les stagiaires (s’il tourne autour de 30%, il y a des questions à se poser) ? Les salariés cooptent-ils des proches (ce qui suggère qu’ils se plaisent dans la boîte) ? Les fondateurs ont-ils eu une expérience salariée auparavant (si la réponse est négative, il faut s’assurer qu’ils soient prêts à se remettre en question et ne fondent pas leurs prises de décision sur des croyances) ?
5. Quand il y a un doute, il n’y en a pas !
Cet adage vaut autant pour les candidats que les recruteurs. « En 2023, on a la chance de pouvoir être plus authentique, franc et direct en entretien. Alors, si quelque chose vous chiffonne pendant le process de recrutement (les fameux signaux faibles), n’hésitez pas à poser les questions qui vous taraudent l’esprit », recommande Léna Basile. Il est essentiel d’éclaircir le maximum de points avant de vous engager.
Soufflez, ne soyez pas pressé.e !
Lorsque l’on souhaite changer de travail, on a souvent envie que les choses aillent vite. « Mais changer d’emploi pour gagner 5K€ de plus à l’année n’est pas toujours un bon calcul, surtout si la contrepartie est de ne plus dormir la nuit six mois plus tard parce que l’on se sent mal dans son nouveau travail », pointe Léna Basile qui insiste sur l’importance de bien construire son projet. Alors, prenez votre temps. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle est parvenue Sophie. « Je vois qu’il est difficile de trouver un job mieux rémunéré que le mien. Je vais donc essayer de trouver un travail où les conditions d’exercice seront meilleures, avec du télétravail notamment pour faire des économies sur les coûts d’essence et de garde. Surtout, il faudra que la mission me plaise vraiment », confie-t-elle.
Même son de cloche du côté de Lou Pratali, qui, après avoir lâché son CDI, est également convaincue que l’on peut troquer l’argent contre de la qualité de vie. « Je préfère prendre mon temps pour trouver la bonne opportunité en CDI. J’étais très bien payée dans mon précédent job, mais en tant que maman solo habitant sur Paris, j’ai dû consentir à des efforts comme mettre mon appartement sur Airbnb quand c’était possible pour m’aider à amortir mon prêt immobilier. C’est d’ailleurs mon conseil : avant de se pressuriser pour trouver un job qui paie mieux, on peut réfléchir à son plan de charges et essayer de diminuer ce qui peut l’être (abonnement téléphonique, optimisation des courses, des déplacements…). Bout-à-bout, ces économies peuvent permettre de gagner 200 à 300 euros par mois. Une fois sécurisé sur cet aspect financier, on peut prendre des décisions avec plus de discernement. »
Tout comme Léna Basile, elle invite donc les salarié.e.s qui se questionnent à ne jamais perdre de vue leur objectif final. Parfois, ce seront finalement de menus ajustements qui permettront de (re)trouver l’équilibre et l’harmonie. Quant au contexte particulier engendré par l’inflation ? Il n’a pour l’heure pas d’impact sur le recrutement. Comme le souligne Pôle Emploi, « en 2023, nous sommes toujours dans un marché de pénurie de talents, et cette tendance va perdurer, avec un marché orienté vers les candidats ». Alors, si les feux sont au vert après avoir passé en revue les critères cités plus haut, foncez ! L’inflation ne doit pas vous couper les ailes.
(1) Le prénom a été modifié
Article édité par Aurélie Cerffond, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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