« Je ne me sentais pas à la hauteur et j’ai refusé le poste » Témoignages

20 mars 2025

5min

« Je ne me sentais pas à la hauteur et j’ai refusé le poste » Témoignages
auteur.e
Pauline Allione

Journaliste independante.

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C’est une jolie proposition de poste, qui se révèle de plus en plus effrayante. Peu à peu, l’enthousiasme laisse place à une avalanche de questions et surtout, de doutes : ce poste, en a-t-on vraiment les épaules ? Rencontre avec ceux qui ont préféré décliner une opportunité plutôt que de tenter un « fake it until you make it » bancal.

Intermittente dans le milieu du cinéma où les places sont rares, Nina occupe un temps partiel dans un café. En attendant de trouver mieux, elle squatte derrière un comptoir bobo du 20e arrondissement où elle apprend à tracer des cœurs dans de la mousse de lait. Jusqu’au jour où son téléphone sonne : à l’autre bout du fil, une réalisatrice en plein recrutement de son équipe. « Elle m’explique son projet de long-métrage et je comprends avant qu’elle ne me le propose qu’elle a pensé à moi pour le poste de première assistante en réalisation. Le tournage débutait dans trois semaines, et elle était persuadée que j’étais la personne qu’il lui fallait. Sauf que je n’avais jamais occupé ce poste et je ne me voyais pas endosser autant de responsabilités sur une grosse production. J’ai coupé court à la conversation en disant que je ne me sentais pas », remet la Parisienne. Nina file le contact d’une connaissance puis, le soir venu, repense à cette conversation. Dire non alors qu’elle occupe un job alimentaire et qu’elle épluche régulièrement les offres d’emploi dans son domaine, c’est presque culotté. Dans son entourage, elle en connait beaucoup qui auraient foncé, compétences ou pas. « J’aurais eu trop peur de mal faire les choses. S’il y avait eu un problème, ça aurait été à moi de l’assumer et je ne voulais ni me griller, ni me ridiculiser, ni faire le taff en étant mal à l’aise* ».

Être envisagé sur un poste à responsabilités peut être challengeant, mais lorsque ces responsabilités ne font pas partie de notre champ d’action, la proposition peut se transformer en casse-tête. Faut-il accepter et envisager cette prise de poste comme un défi, ou jouer sur la sécurité en attendant un job qui soit plus taillé pour ses épaules ? Surtout que selon l’urgence de sa recherche d’emploi, le paramètre économique peut aussi pousser à accepter un poste quand bien même il génère quelques bouffées d’angoisse. Consultant en informatique et père d’une famille de trois enfants, Ahmed a dû étudier la situation lorsque, sa mission du moment touchant à sa fin, une chaîne de télévision le contacte pour un contrat courant sur une paire d’années. Mais l’entretien le laisse dubitatif : « Tout m’a paru assez flou : je ne savais pas quelles seraient mes responsabilités, ma spécialité ne représenterait qu’une petite proportion de mes missions… Ce poste pouvait s’avérer très formateur, mais ça me faisait peur », détaille le consultant. Réticent sans être fermé à l’opportunité, Ahmed demande un second entretien sur site, afin de se faire une idée plus précise du poste. « Mon hésitation a joué en ma défaveur puisque le client a interprété ma requête comme un manque de motivation et a écarté mon profil… Mais j’avais besoin d’être certain d’avoir les épaules pour le poste plutôt que de jouer le mouton à cinq pattes ».

Décliner sans l’ombre d’un doute

Face à une opportunité professionnelle comprenant des missions potentiellement au-dessus de vos moyens, comment, dès lors, vous assurer de refuser pour de bonnes raisons ? Sans basculer dans le bien célèbre syndrome de l’imposteur qui pousse à l’autocensure.

1. Analysez la fiche de poste

Toute décision nécessite un cadre clair, précis et balayé des zones d’ombres. Il doit en aller de même pour la fiche de poste, rappelle la psychologue du travail et coach professionnel Audrey Aptel : « Il y a toujours un écart entre le travail prescrit et le travail réel, donc il faut à minima une description du poste pour que ce nouveau poste ait un cadre. S’il n’y en a pas, c’est un signe évident qu’on ne sait pas où on va mettre les pieds et qu’il n’y aura potentiellement pas de limites ». Un minimum pour avoir une idée concrète des compétences requises.

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2. Confrontez vos compétences aux missions

Pour éviter de refuser un poste pour de mauvaises raisons, concentrez-vous sur vos compétences plutôt que sur les sentiments générés par cette opportunité. Regroupez vos qualifications, vos expériences passées, vos projets auréolés de succès… et apposez cet ensemble de savoirs-faire sur le poste convoité. En analysant la situation sous cet angle, un vilain syndrome de l’imposteur aura moins de chances de vous faire de l’ombre : « Il faut rester objectif et centré sur le travail, sur ce que vous avez déjà fait auparavant et ce qui serait objectivement complètement nouveau », confirme Audrey Aptel.

Quand un ancien employeur la contacte pour lui confier un poste à responsabilité dans un journal local en CDI, Perrine hésite. Face à un poste qui lui promet une stabilité financière sur le long terme, la journaliste remarque surtout des responsabilités inédites. Et puisqu’elle serait le dernier maillon de la chaîne avant impression du journal, sa marge d’erreur sera extrêmement faible. « Ils cherchaient quelqu’un de fiable, me soutenaient qu’ils me faisaient confiance… Je me suis dit : « Si je me loupe, ça va être compliqué* », se souvient la journaliste.

3. Confiez vos doutes lorsque cela est possible

Si l’employeur montre un attrait particulier pour votre profil et se montre ouvert à entendre vos doutes, abordez le sujet. Mais choisissez les bons mots : « Mieux vaut parler de compétences, de contraintes et de ressources que de votre boule au ventre depuis qu’on vous a proposé le poste, car l’employeur ne fera pas grand chose de cette information », conseille Audrey Aptel. Cette discussion peut être l’occasion de demander si des mesures sont envisageables pour une prise de poste en douceur : un accompagnement, un tutorat avec une personne déjà en poste, une formation.

Pourquoi glaner le plus d’informations possible, pourquoi pas demander une immersion dans l’entreprise. C’est ce qu’a fait Perrine, qui a passé un matinée dans les locaux du journal pour mesurer l’ampleur des missions à endosser : « C’était la première fois de ma vie que je posais autant de questions, mais j’avais besoin d’avoir toutes les clés en main : sur le salaire, l’emploi du temps, les soirs travaillés… » Au cœur même de l’entreprise, la jeune journaliste se projette plus facilement dans le job. Ou plutôt, ne s’y projette plus du tout : « J’ai réalisé qu’il y avait énormément de choses à gérer et que je n’avais pas les épaules pour ce poste ».

4. Écoutez-vous

Si la simple pensée d’occuper un poste trop imposant pour vos épaules vous déclenche eczéma et sueurs nocturnes, c’est peut-être parce que ce poste ne vous convient pas. Une difficulté n’est pas nécessairement un challenge à gravir, ni l’occasion de devenir une « meilleure version » de vous-même. Endosser un poste pour lequel vous n’avez pas suffisamment d’expérience ou de connaissances, c’est aussi prendre le risque de transpirer, d’éprouver de la frustration et de la déception et d’amoindrir votre estime de vous-même. « Si on a tout de suite des images négatives à la lecture de la fiche de poste et que celle-ci engendre un sentiment de stress, c’est peut-être que ce nouveau poste implique trop de contraintes pour pas assez de ressources », affirme la psychologue du travail. « Si un stress intense se manifeste, il faut savoir l’écouter ».

5. Ne cédez pas trop vite aux sirènes de l’autocensure

Dans le cas où l’autocensure serait un schéma récurrent chez vous, ne vous jugez pas trop vite inapte à un poste : « Il arrive que des personnes ayant une faible estime d’elles-mêmes accèdent moins facilement à des évolutions à cause de ces signaux d’alarme… Il faut connaître ses travers et travailler dessus. Plus vous avez eu l’habitude de faire face à des changements, d’accepter des challenges et connu des réussites, plus vous oserez. À l’inverse, le changement sera plus difficile. » souligne la psychologue du travail.

Quant à savoir si vous avez bien fait de passer votre tour, seul le temps vous le dira. Après avoir décliné à chaud une proposition précieuse dans son domaine, Marie a senti poindre les remords presque immédiatement. « J’étais à mi-temps dans un café dont je me foutais, et j’ai dit non à une opportunité qui se présente rarement. J’ai commencé à regretter, tout en sachant que je n’avais pas la carrure pour le job ». Le lendemain, encore préoccupée par la situation, elle écrit à la réalisatrice pour lui faire savoir qu’elle est disponible pour d’autres postes vacants. Justement, celle-ci cherche également une deuxième assistante : « Quand j’ai dit que je m’en sentais capable, elle n’a pas douté de moi. Je crois que le fait d’avoir refusé sa première offre a instauré un climat de confiance entre nous. Et surtout, je me sentais tellement plus à ma place sur ce poste-là ».

*Les prénoms ont été modifiés.

Article écrit par Pauline Alione et édité par Gabrielle Predko ; photo de Thomas Decamps.

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