1 LGBT+ sur 4 déclare avoir été victime d’au moins une agression au travail
19 févr. 2020
6min
Journaliste - Welcome to the Jungle
« L’orientation sexuelle de mes salariés n’a aucune importance pour moi, seuls comptent les chiffres et les résultats obtenus », l’un des patrons du secteur bancaire ne comprend pas qu’il y ait encore matière à débattre en France, en 2020. Mais alors que la barrière entre vie publique et privée s’estompe à coup de publications de vidéos intimes et de retweets, l’orientation sexuelle au travail est-elle vraiment un non-sujet ? Serait-elle encore taboue ? Selon le baromètre IFOP pour l’association l’Autre Cercle qui propose depuis 2012 une charte à destination des entreprises encourageant une politique de promotion de la diversité et de prévention des discriminations au travail, 10% des personnes LGBT+ disent avoir été victimes d’agressions physiques ou sexuelles au travail. Welcome to the jungle a essayé de comprendre.
La banalisation des discriminations LGBT+
L’étude évoque également une banalisation des moqueries désobligeantes, propos vexants, insultes ou injures à caractère diffamatoire subies par les personnes LGBT+. Plus de quatre actifs sur dix assurent avoir déjà entendu « enculé », « pédé », « ce n’est pas un boulot de pédé » et « gouine » sur leur lieu de travail et ce chiffre monte à 55% pour les salariés identifiés comme LGBT+. « Les résultats de cette enquête montrent que le problème est réel, déclarait Alain Gavand, vice-président de l’Autre Cercle, le 12 février lors de la présentation du baromètre. L’orientation sexuelle et l’identité de genre ne peuvent être cantonnées à la seule sphère privée. Donner la parole aux personnes LGBT+ est donc essentiel pour appréhender la réalité vécue sur le terrain et mesurer les actions de progrès à mener. »
Marc, un policier bisexuel de 45 ans a subi pendant plusieurs mois insultes, médisances, quolibets sur son lieu de travail en 2014. Tout a commencé lorsque l’un de ses jeunes collègues l’a, pense-t-il, aperçu en sortant d’une boîte de nuit gay, révélait-il à SOS Homophobie. En présence d’autres policiers, les menaces et moqueries de la part de son agresseur deviennent constantes : « Tu te rends compte, il paraît qu’il y a des homos dans la Police. » Peu à peu Marc se rend compte que le regard de ses collègues change, qu’on rit en sa présence… D’autres policiers, plus offensifs encore, menacent de révéler son orientation sexuelle à sa hiérarchie. Gangrené de l’intérieur par le manque de soutien qu’il reçoit, il finit par se mettre en arrêt de maladie. L’histoire ne dit pas si le policier, père de famille, a changé d’activité ou s’il est parvenu à trouver un accord avec les personnes de son unité. Mais une chose est sûre : insultes, diffamation, menaces… les discriminations contre les LGBT+ touchent tous les secteurs d’activité et tous les niveaux hiérarchiques.
Entre un et deux millions de LGBT+ cacheraient leur orientation sexuelle au travail
Les agressions verbales peuvent paraître anodines mais elles sont pourtant le reflet d’un climat qui n’encourage pas les LGBT+ à parler de leur situation. Alors que 84% des employés des entreprises signataires de la charte de l’Autre Cercle, disent être « à l’aise » face à l’éventuel coming out d’un collègue, 77% des LGBT+ en couple reconnaissent avoir déjà volontairement renoncé à afficher leur orientation sexuelle ou identité de genre dans différentes situations au travail (participation à un événement organisé par l’employeur, verre entre collègues) ou encore à inscrire le nom de leur conjoint(e) sur leur mutuelle. Pour éviter de se faire démasquer, toutes les stratégies sont bonnes à prendre : mensonges à répétition, double-vie, isolement du groupe… Un phénomène d’auto-exclusion qui pèse sur le moral et le bien-être au travail de ces personnes : plus de trois sur dix déclarent mal vivre le fait de ne pas être visible.
Si, en 2017, le Défenseur des droits estimait qu’entre un et deux millions de personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transidentitaires, intersexes et queer cachaient leur orientation sexuelle au travail en France, même si les chiffres varient en fonction des secteurs d’activité. En France, la grande consommation et le luxe (61%), les services publics (58%), les médias et la culture (58%) arrivent en tête des secteurs où les salariés font leur coming out, selon une étude de The Boston Consulting Group (BCG), réalisée en 2017 auprès d’étudiants et de jeunes professionnels LGBT+. En revanche, seuls 35% des sondés seraient à l’aise de faire leur coming out dans la finance et 44% dans l’industrie.
Inégalités de rémunération, de missions confiées et de recrutement
Si les salariés LGBT+ s’autocensurent, c’est notamment le fait de l’étendue des discriminations subies et elles ne se limitent pas aux seules agressions verbales et physiques. Dans la publication Orientation sexuelle et écart de salaire sur le marché du travail français : une identification indirecte, les économistes Thierry Laurent et Ferhat Mihoubi, constataient en 2013 que les hommes homosexuels gagnaient en moyenne 6,3% de moins que leurs collègues hétérosexuels dans le privé et 5,6% dans le public. Cette étude révélait que les écarts augmentaient lorsque l’employeur percevait l’homosexualité avec certitude. En plus d’avoir un impact sur la rémunération, le fait d’être identifié salarié LGBT+ peut aussi avoir des conséquences sur l’évolution professionnelle : près d’un LGBT sur six déclare avoir subi au moins une discrimination de la part de sa direction. Le plus souvent, ils notent des inégalités dans le déroulement de carrière, dans la qualité des missions attribuées ou encore, des inégalités de traitement dans le recrutement. Le 19 mai 2019, le Défenseur des Droits rappelait que la LGBTphobie restait un sujet tabou, indiquant que « parmi une centaine de DRH interrogés, seuls 15% travaillaient dans une entreprise qui menait une réflexion sur l’homophobie et seulement deux d’entre eux avaient eu connaissance de situations de discriminations à l’égard d’homosexuels. »
La loi, une protection imparfaite pour les salariés LGBT+
Mais que dit la loi ? Si le Code du travail fait de l’orientation sexuelle l’un des motifs de discriminations évoqués par la loi du 16 novembre 2001, les plaintes sont encore peu nombreuses. « Dans les textes, les discriminations portent uniquement sur la discrimination à l’embauche, la sanction injustifiée et le licenciement abusif, détaille maître Antoine Labonnelie, avocat au barreau de Paris et spécialiste du droit du travail. Les insultes entre collègues et le fait de volontairement freiner la carrière d’un salarié qui aurait révélé son homosexualité ne sont pas considérés comme des discriminations aux yeux de la loi. Surtout qu’il est très rare qu’un employeur discrimine ouvertement son salarié, tout est dans le non-dit… Lorsqu’une personne souhaite ensuite porter plainte et que nous devons monter un dossier aux prud’hommes, les preuves manquent souvent. »
L’avocat estime que « c’est aux entreprises de mettre en place des outils. Et si les grands groupes innovent à ce sujet, c’est beaucoup plus difficile pour les plus petites structures. » Les condamnations d’employeurs ne sont pas encore légion, mais elles vont se multiplier. Il évoque par exemple la condamnation en appel en septembre 2016 de BNP Paribas à verser plus de 600 000 euros à un ancien salarié homosexuel, en raison du « comportement machiste et sexiste » de ses collègues qui a créé « un environnement de travail particulièrement oppressant. »
L’importance de la sensibilisation
Afin de lutter efficacement contre les discriminations à l’égard des salariés LGBT+, l’association l’Autre Cercle prêche pour une meilleure sensibilisation des entreprises. « Aujourd’hui, les employé.e.s LGBT+ déclarent être moins victimes de discriminations fondées sur leur orientation sexuelle ou leur identité de genre de la part de leurs directeurs dans le paysage des entreprises ou collectivités signataires de la charte et donc déjà sensibilisées sur ces questions » relevait Christophe Berhier, président de l’Autre Cercle. Une raison qui pourrait expliquer que les salariés de ces entreprises sont plus enclins à afficher et assumer leur orientation sexuelle (68%, soit 17 points de plus que l’ensemble des salariés LGBT+ en France) et que plus de quatre LGBT+ sur dix affirment que la charte a eu un impact positif sur leur visibilité. « Ces résultats confortent notre position à ce que davantage d’organisations puissent tenir leurs promesses d’inclusion des personnes LGBT+ », concluait-il.
Concrètement, cette démarche, la première du genre en Europe, passe par l’engagement affiché de la direction, la formation et l’accompagnement des dirigeants, collaborateurs impliqués dans les processus de recrutement, de formation, et de gestion de carrière, la mise en place et la promotion d’outils de sanctions ou encore la communication externe de l’entreprise sur ses bonnes pratiques et ses engagements en faveur des LGBT+. Et si au delà des motifs éthiques et législatifs, certaines entreprises voient dans la lutte contre les discriminations sur l’orientation sexuelle une façon d’améliorer leur « marque employeur », à la fin 2019, 138 organisations publiques et entreprises privées, représentant un peu plus 1,3 millions de salariés s’étaient déjà engagées à améliorer leurs pratiques.
Les « bonnes pratiques » ne doivent cependant pas se limiter aux entreprises et aux équipes dirigeantes. La lutte contre les discriminations envers les LGBT+ est notre affaire à tous. Cela passe par l’écoute, la tolérance mais aussi et surtout la bienveillance.
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