Lydie Salvayre : « La successologie, l'art d'écraser les faibles pour réussir »
09 mars 2023
4min
Journaliste indépendante
Lauréate du prix Goncourt en 2014, Lydie Salvayre revient aujourd’hui sur le devant de la scène littéraire avec un essai satirique, Irréfutable essai de successologie (éd.Seuil, 2023), dans lequel elle questionne avec humour notre époque assoiffée de gloire.
N’avez-vous pas un jour rêvé de connaître le succès? Il est désormais possible de l’atteindre facilement, et sans trop d’efforts ! Dans son essai irréfutable consacré à la successologie, la romancière Lydie Salvayre égraine conseils et astuces qui permettront à un jeune écrivain en herbe de connaître une ascension fulgurante et de réaliser son rêve : vendre le plus de livres possible. Au programme : écraser les plus faibles, flatter les puissants, faire croire que l’on travaille 80 heures par semaine (ça fait chic), ou dire à cet écrivain connu que l’on a adoré son livre (même s’il était mauvais ou qu’on ne l’a pas lu). Rencontre avec l’autrice de ce vrai-faux ouvrage de développement personnel, qui dénonce avec un humour féroce les travers de notre époque, ravagée par le désir de plaire au plus grand nombre.
Nous vous connaissons comme autrice de roman, pourquoi vous lancer dans un essai sur le succès?
Ce n’est en fait pas un essai, mais une parodie d’essai ! Je voulais écrire ce pastiche pour me moquer et sourire de tous ces livres de développement personnel qui proposent des recettes pour réussir, écraser les autres, optimiser le profit. Il me semble que le rire est la meilleure arme pour stigmatiser cet appétit, cette folie du succès qui envahit le monde, et qui fait qu’aujourd’hui tout le monde désire être connu. Je voulais interroger cette tendance par le biais de la satire.
Quelle est cette nouvelle discipline, que présente votre personnage, la successologie?
Dans cette parodie d’essai de développement personnel, je donne les recettes les plus affreuses pour atteindre le sacro-saint succès. La fin justifie tous les moyens, même les plus impitoyables ! Par exemple, je conseille chaleureusement mon lecteur de flatter les puissants, de se servir de ses amis, de se prêter à toutes les bassesses du monde pour obtenir la gloire tant désirée… Je dresse un catalogue des moyens pour y parvenir et je fais aussi le portrait de quelques personnes que l’on risque de rencontrer sur son chemin, lorsque l’on connaît soi-même le succès, comme des “bookstagrammeurs”(instagrameur spécialisé dans la recommandation d’œuvres littéraires, ndlr), des hommes influents ou des auteurs consacrés.
« Il faut vendre à tout prix, par tous les moyens, en utilisant toutes les propagandes possibles. Ce nouveau paradigme est vrai dans tous les domaines », Lydie Salvayre
Vous incluez aussi le mépris, comme composante inséparable du succès…
Oui, je conseille à mes lecteurs de mépriser les personnes que l’on estime être les moins intéressantes. En réalité, je n’invente rien, cela se voit tous les jours. L’idée était de faire un prêche très sérieux en me mettant dans les pas des grands satiristes comme Swift, La Bruyère… La littérature regorge d’écrivains talentueux qui ont dénoncé par le rire les travers, les servitudes et les myopies de leur époque.
Votre personnage décrit à la manière d’un coach comment obtenir du succès en littérature. Le succès d’un livre se mesure-t-il aujourd’hui uniquement à l’aune de ses ventes et non plus à ses qualités littéraires ?
Ce que je constate, c’est que le succès ne va plus à l’excellent. Aujourd’hui, on peut être un écrivain talentueux et être très peu lu tandis que les livres commerciaux, faciles à lire, calibrés pour plaire au grand nombre et aller dans le sens de l’opinion sont, eux, couronnés de succès. La littérature et les arts se sont pliés aux lois de la logique marchande ! Il faut vendre à tout prix, par tous les moyens, en utilisant toutes les propagandes possibles. Ce nouveau paradigme est vrai dans tous les domaines.
Vous enjoignez vos apprentis écrivains à faire semblant de travailler 80 heures par semaine. Le travail acharné est-il devenu une posture plutôt qu’un moyen d’obtenir des résultats?
Certaines personnes vous diront que ça ne les dérange pas et que ça ne leur coûte rien, de travailler 80 heures par semaine. D’un autre côté, d’autres personnes manifestent contre l’idée de travailler jusqu’à 64 ans. Personnellement, je pense qu’avoir des temps de liberté tout au long de sa vie est primordial, et que nous devons tous nous interroger sur cette notion de travail. Il faut le repenser, voir comment donner plus de sens au travail, et améliorer les conditions dans lequel on l’exerce. Pour ne pas rejouer à tout prix Les Temps modernes de Charlie Chaplin (film satirique sur le travail à la chaîne sorti en 1936, ndlr).
« Il faut se rappeler que nous ne sommes pas obligés de se plier à une forme de servitude pour parvenir au succès », Lydie Salvayre
De nos jours, selon vous tout s’organise autour de la compétition ?
L’économie marchande entraîne forcément de la violence et de la compétition puisqu’il faut vendre à tout prix et le plus possible. Jusqu’à présent, le monde de la culture avait été plutôt épargné. Par exemple, il y a quelques années encore, on séparait la littérature commerciale des livres d’auteurs. Aujourd’hui, les frontières ont tendance à se brouiller entre ces deux domaines. Des auteurs moyens sont présentés comme des auteurs de grand talent par la publicité tandis que de plus talentueux sont ignorés. J’ai écrit ce livre aussi pour que l’on médite collectivement là-dessus, pour nous appeler à une certaine vigilance vis-à-vis de ce phénomène.
Cette logique du succès facile nous a-t-elle tous contaminés?
Pour certaines personnes, écraser les autres pour mieux arriver à ses fins est un moyen acceptable, même s’ils ont parfois du mal à le reconnaître. Et en même temps d’autres personnes résistent, dénoncent cette manière de penser. Il faut se rappeler que nous ne sommes pas obligés de se plier à une forme de servitude pour parvenir au succès.
Sans rejeter totalement le système dans lequel on évolue, - je suis moi-même écrivaine et éditée -, on peut dire non aux pratiques qui nous diminuent, nous font du mal ou nous éloignent de nos valeurs. C’est le message le plus important du livre.
Article édité par Gabrielle Predko ; photo par Thomas Decamps
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