Les Maisons de luxe ouvrent leurs propres écoles pour préserver les savoir-faire
29 oct. 2018
6min
Chef de projet marketing freelance dans les secteurs mode et art de vivre
S’il est un terrain sur lequel la France peut se targuer d’une reconnaissance à l’échelle mondiale, c’est bien celui de ses savoir-faire en matière d’artisanat du luxe. Pourtant, la délocalisation progressive d’un grand nombre d’ateliers de production hors de nos frontières a pu un temps laisser présager une disparition programmée de ces précieux métiers.
Conscients du risque, et face à la difficulté croissante d’embauche d’artisans qualifiés en France, les plus grandes maisons de luxe, ont, depuis une dizaine d’années décidé d’agir en ouvrant leurs propres écoles de formation.
Le joaillier Cartier fut l’un des premiers à proposer, dès 2002, un programme de formation afin de pérenniser son savoir-faire d’exception au sein de son Institut de Joaillerie. Depuis, la plupart des maisons de luxe de LVMH à Repetto, en passant par Lacoste plus récemment, lui ont emboîté le pas, soucieux de préserver et de transmettre les savoir-faire uniques qui font leur renommée : couture, horlogerie, bonneterie, travail du cuir, ou même de la vigne…
Un secteur en plein recrutement et un manque de formations adaptées
Secteur du luxe en plein essor, vague de départs à la retraite, ce sont d’abord des enjeux de recrutement importants et un manque de candidats qualifiés qui sont à l’origine de la création de programmes de formation interne aux grandes maisons de luxe. C’est en effet dans un objectif de renouvellement des compétences que Lacoste a ouvert, fin 2016, sa Manufacturing Academy sur son site d’activités de Troyes « Nous avions un volume de recrutement très important à conduire sur les métiers cœur de la marque que sont le tricotage, la teinture et la confection. Lacoste a historiquement un certain nombre d’usines de confection mais notre population est vieillissante, à un horizon de deux à trois ans, nous allons voir la moitié de nos ressources partir à la retraite. Sur la période 2016/2019, nous devons recruter entre 80 et 100 personnes » détaille Mathieu Bouvot, DRH des Opérations France chez Lacoste.
« Lacoste a historiquement un certain nombre d’usines de confection mais notre population est vieillissante, à un horizon de deux à trois ans, nous allons voir la moitié de nos ressources partir à la retraite. » - Mathieu Bouvot, Lacoste
Forts de cette volonté de recruter largement et de façon pérenne, les maisons de luxe se sont vues confrontées à un manque de candidats qualifiés en raison de la raréfaction des formations dans le secteur de la production textile.
« À Troyes, nous sommes sur un bassin historiquement lié au textile et notamment à la maille, la ville a longtemps été la capitale de la bonneterie, mais il n’y a plus de structure de formation à présent. Les régions lilloise, lyonnaise ou choletaise proposent encore des formations mais qui sont davantage centrées sur le design ou l’ingénierie textiles. Les capacités de formation sur les métiers du textile en production se sont considérablement raréfiées.» poursuit Mathieu Bouvot.
Valoriser et préserver des savoir-faire d’exception en France
Au-delà du manque de formations sur les métiers de la production textile, certaines marques de luxe ayant développé des savoir-faire d’excellence propres à leur maison et nécessitant une longue période de formation après embauche, ont vu là une opportunité d’anticiper leurs besoins en formant des artisans à leurs techniques, lors d’une phase de pré-recrutement. Ainsi, depuis 2012, la célèbre marque de ballerines Repetto, enseigne à ses élèves la fameuse technique du “cousu retourné” dans son école en Dordogne.
C’est également cette raison qui pousse la Maison Jean Rousseau, spécialisée dans la création et fabrication de bracelets montre en cuir et accessoires de maroquinerie haut-de-gamme, à envisager l’ouverture prochaine de sa propre école au sein de sa Manufacture de Besançon : « il existe des formations maroquinerie en France, mais aucune sur le savoir-faire bracelet montre qui est très particulier. Nous ne pouvons pas recruter des intérims pendant deux jours, nous embauchons toujours pour des missions de long terme car la formation des équipes demande du temps. D’où notre envie de former des artisans en amont de la production, dans une structure dédiée » explique Hervé Millet, directeur industriel de la Manufacture Jean Rousseau.
« Il existe des formations maroquinerie en France, mais aucune sur le savoir-faire bracelet montre qui est très particulier. » - Hervé Millet, Manufacture Jean Rousseau.
Une démarche qui favorise l’insertion professionnelle
« Pendant longtemps, pour entrer chez Jean Rousseau vous deviez être débutant avec un diplôme dans une spécialité proche de notre métier ou justifier d’une expérience réussie dans le bracelet de montre ou la maroquinerie. Depuis 5 ans, cela a changé en raison d’une hausse d’activité importante et de notre accroissement très rapide. Nous acceptons à présent des gens qui n’ont pas forcément les prérequis mais qui ont envie d’apprendre et qui ont le savoir-être qui correspond à nos valeurs. »
Comme l’indique Hervé Millet, l’ouverture des écoles de formation a permis aux maisons de luxe d’élargir leurs critères de recrutement, favorisant ainsi l’intégration ou la reconversion de personnes en recherche d’emploi.
Dans cette optique, le groupe LVMH, qui propose des formations au sein de son Institut des Métiers d’Excellence depuis 2014 (couture, horlogerie ou travail de la vigne…), a organisé ces deux dernières années Le Village de l’IME à Clichy-Sous-Bois afin de cibler et d’attirer les meilleurs talents issus d’une population qui n’a pas forcément accès à l’information ou n’ose pas postuler.
Chez Lacoste, les profils des candidats à l’apprentissage d’un nouveau métier sont divers, les élèves ont entre 26 et 54 ans, et sont pour la plupart recrutés en partenariat avec Pôle Emploi. Une démarche d’intégration qui devrait s’étendre dans les mois à venir comme l’annonce Mathieu Bouvot : « Nous nous rapprochons actuellement de l’Office Française de l’Immigration et de l’Intégration qui travaille pour l’insertion des réfugiés. Cela ne peut pas être un canal de recrutement massif car ce sont des gens qui sont déracinés donc c’est à traiter avec prudence. C’est un processus plus long mais cela nous correspond en termes de valeurs et ces personnes peuvent représenter un véritable atout car certaines d’entre elles viennent de pays dans lesquels il y a une vraie tradition textile.»
« Nous nous rapprochons actuellement de l’Office Française de l’Immigration et de l’Intégration qui travaille pour l’insertion des réfugiés. Cela ne peut pas être un canal de recrutement massif car ce sont des gens qui sont déracinés donc c’est à traiter avec prudence. » - Mathieu Bouvot, Lacoste
Chez Lacoste, la formation se compose d’une première phase intensive de trois mois avec promesse d’embauche, et se poursuit sur une année alternant formation et production dans le cadre d’un contrat de professionnalisation.
Pour intégrer ces formations, la motivation est bien sûr un facteur essentiel qui s’accompagne généralement de la réussite à des tests pratiques d’acuité visuelle et de dextérité.
Des formations adaptées sur-mesure aux besoins de l’entreprise
L’intérêt pour les maisons qui développent leurs propres formations est de pouvoir adapter les recrutements à leurs besoin en formant directement les personnes sur les postes vacants. Au sein de la Manufacture Jean Rousseau, les nouveaux venus sont formés soit sur la fabrication de bracelets montre soit sur la maroquinerie, deux métiers totalement différents comme l’explique Hervé Millet : « Le bracelet montre c’est un travail de maquettiste, il faut apprendre à coller, ajuster, assembler, coudre et teindre des petits ensembles cela demande une minutie très forte. En maroquinerie nous avons choisi une organisation qui permet à chaque artisan de réaliser son article de A à Z : la couture, le collage, l’astiquage des tranches, la surtaille, beaucoup de techniques qu’il faut maîtriser. Pour un engagement total de l’artisan au service de la qualité. »
Depuis sa création, la Lacoste Manufacturing Academy a quant à elle recruté environ cinquante personnes, une vingtaine sur les métiers du tricotage et de la teinture, et le reste sur la confection.
Des formations placées sous le signe de la transmission puisque les enseignements sont donnés principalement par d’anciens salariés à la retraite, revenus spécialement pour partager leurs savoir-faire.
Continuer à innover autour Made in France
Au-delà de leur vocation première de formation, les écoles des maisons de mode ont également pour ambition de continuer à faire rayonner l’artisanat français dans le monde par le biais de l’innovation, comme le souligne Mathieu Bouvot : « La Lacoste Manufucturing Academy permet également de continuer à former nos employés sur de nouvelles techniques, de développer leur polyvalence. Notre objectif d’ici 2019 est de devenir un pôle d’excellence de la confection textile en proposant des produits un peu plus techniques, au-delà de la simple étiquette Made in France. »
« Notre objectif d’ici 2019 est de devenir un pôle d’excellence de la confection textile en proposant des produits un peu plus techniques, au-delà de la simple étiquette Made in France. » - Mathieu Bouvot, Lacoste
Une initiative qui fait écho à celle de la Fondation d’Entreprise de la Maison Hermès et à son Académie des savoir-faire. Ce projet dédié à la transmission des savoirs et des pratiques liés à l’artisanat, invite tous les deux ans une vingtaine de professionnels à se pencher sur une matière universelle, dans une dimension prospective.
L’Institut Joaillerie Cartier propose quant à lui des formations aux artisans de ses ateliers afin d’enrichir leurs compétences en horlogerie, sertissage de pierres ou finition joaillière et de travailler ensuite sur des pièces d’exception.
Préservation, valorisation et innovation, les savoir-faire français semblent avoir encore de beaux jours devant eux !
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Photo by WTTJ @La Manufacture Maison Jean Rousseau à Paris
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