Le pire conseil pro : « On ne lâche pas un CDI parce qu’il ne nous plaît pas »
06 avr. 2023
5min
Dans la vie pro, il y a les bons tuyaux, des préceptes éprouvés que l’on applique bien volontiers, et puis, il y a tous ceux que l’on rangerait bien dans la catégorie « pires conseils ever ». Ce sont ces tips pour se lancer dans la vie active que nous distillent (avec bonne intention), proches, managers ou collègues… Avant qu’on ne se rende compte qu’ils sont bidons. Dans cet épisode, Maeva, 30 ans, consultante, revient sur le pire conseil pro reçu au début de sa carrière : « On ne quitte pas un CDI parce qu’il ne nous convient pas, c’est la vie de ne pas aimer son job. »
Ce conseil m’a été donné à plusieurs reprises dans ma carrière. Je l’ai entendu à la fois dans la bouche de collègues de travail du même niveau hiérarchique que moi mais aussi - et à mon grand étonnement -, d’amis, de membres de ma famille, plus jeunes à plus âgés (ce conseil ne revêt apparemment aucune dimension générationnelle). Il semble même avoir essaimé dans le monde du travail, car on me l’a glissé dans des environnements professionnels très divers.
À 26 ans et encore fraîchement diplômée en communication, c’est la première fois, tandis que je débutais mon deuxième CDI dans mon métier de prédilection, celui de responsable de communication, que je le recevais. À cette période, j’éprouvais un grand mal-être dans mon travail et l’exprimais à mon entourage professionnel et personnel. J’ai connu le harcèlement moral dans mon entreprise qui a d’ailleurs figuré par la suite sur le compte BalanceTaStartup à cause de ses méthodes de management toxique.
Cela a commencé par des remarques mesquines sur mon physique. Par exemple, si un jour je ne me maquillais pas, mon supérieur hiérarchique me disait ouvertement que j’avais une sale tête. Et puis ça s’est transformée en discrimination physique et remarques désobligeantes et blessantes, très régulières. J’ai reçu des « t’es grosse » ou encore « t’es moche », « tu t’habilles mal »… ce genre de méchancetés qui n’ont rien à faire dans l’entreprise ou ailleurs. Et bien sûr, mon travail lui aussi était critiqué. Pourtant, je n’ai aucun problème avec le fait qu’on me dise que mon travail ne convient pas, j’en ai même pris l’habitude dans un milieu professionnel tel que la communication où l’on remet souvent en question nos résultats dans le but de s’améliorer. Mais quand on te dit « c’est de la merde, refais-le », cela n’a rien de bien constructif. Et si j’avais l’audace de demander de plus amples explications sur les points à conserver et ceux qui n’allaient pas, je recevais une fin de non recevoir et devais jouer les télépathes pour comprendre les attentes de mon supérieur.
Quand on est encore junior on ne répond pas. On ne dit rien, parce que ça émane d’un supérieur hiérarchique, le patron en l’occurrence. Et puis, au bout d’un moment, on se dit que ce n’est peut-être pas normal mais on essaye de voir les choses différemment. Ce patron était quelqu’un qui avait souvent des sautes d’humeur, alors j’essayais de ne pas prendre son comportement trop personnellement. Mais ça finit forcément par rester et tôt ou tard, à force d’entendre à longueur de journée qu’on est nulle, on finit par y croire.
Comme vous pouvez l’imaginer, je n’allais pas bien dans cette société. J’en parlais avec mes collègues de travail et mes proches. Beaucoup m’expliquaient alors que je ne pouvais pas tout plaquer comme ça et rompre mon CDI, que c’était la vie de ne pas aimer son boulot.
À mon sens, ce conseil n’avait rien de mal intentionné car mon entourage n’a aucun intérêt à me nuire et souhaite au contraire, me savoir heureuse. Mais il découle d’une vision du travail que je ne partage pas. D’abord car je ne suis pas en accord avec cette philosophie qui établit que le CDI est un Graal difficile à obtenir, qu’il faut le conserver à tout prix pour pouvoir faire des crédits et mener des projets dans la vie. La deuxième partie de ce conseil quant à elle, revient à dire que si tu n’es pas épanouie au travail, ce n’est pas grave, il faut serrer les dents, s’accrocher, car c’est partout pareil. En clair, ils ont intériorisé que le travail pénible est une fatalité. Avec cette vision, quel autre choix que de baisser les bras ? J’entendais beaucoup une autre rengaine qui sonnait comme un avertissement : « On sait ce qu’on quitte mais on ne sait pas ce que l’on récupère ». Comme si la prise de risque était proscrite, verrouillée, ou un pari périlleux sur l’avenir.
Ce conseil, je ne l’ai jamais vraiment appliqué. Ce n’est pas ma philosophie de vie et je ne suis pas du tout en accord avec. Au contraire, je suis quelqu’un qui pense que l’on peut changer de travail quand il ne nous convient pas. Après tout, je suis pas un arbre, je peux bouger !
Le déclic a eu lieu au après le Covid qui nous a donné l’opportunité de travailler depuis la maison, un soulagement dans mon cas. Alors, quand il a fallu se déconfiner et retourner au travail, j’ai senti que je ne pourrai jamais y retourner. C’était au-dessus de mes forces. Je me suis bien entourée, en contactant un avocat. Je voulais un regard extérieur sur ma situation, le discernement pour identifier si oui ou non, j’étais dans le cas d’un harcèlement moral. Après avoir vidé mon sac sur tout ce qui s’était passé depuis un an, mon avocat a un peu halluciné et m’a conseillé une seule chose : partir. Car ça pouvait devenir dangereux pour ma santé mentale. Alors je me suis résolue à quitter cette boîte, contre les conseils de mon entourage et en dépit du fameux CDI, si précieux à leurs yeux.
Aujourd’hui je suis consultante pour mon expertise en communication événementielle et je ne regrette pas mon choix. Je ne me voile pas la face, le monde du travail n’est pas un milieu de bisounours facile à gérer tous les jours, sauf qu’à la différence de ma mauvaise expérience, je peux ici exprimer les problèmes à ma hiérarchie et je suis beaucoup plus écoutée.
Je ne sais pas si les mentalités changent, mais je discute parfois de cet épisode avec mon entourage. Et on est plutôt d’accord sur un point : elles sont rares les personnes qui prétendent vivre d’un métier passion et qui peuvent incarner le fameux adage : « Choisis un métier que tu aimes et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie ». Mais dans ma génération, j’ai le sentiment que chercher une forme de bonheur et d’épanouissement dans le travail, trouver celui qui nous donnera envie de nous lever tous les matins, est un peu le but ultime. Personnellement je ne l’ai pas encore trouvé, mais c’est pour moi une finalité en soi. Et au-delà de cette quête, je m’applique à faire un métier qui me permette d’être entendue, où j’ai le droit de m’exprimer quand quelque chose ne va pas. Alors dire « ne pas aimer son job c’est la vie », c’est un peu une façon de balayer sous le tapis tous les mauvais traitements et comportements abusifs que l’on peut trouver dans le monde de l’entreprise et le management toxique.
Quant aux projets de vie… et bien je suis pour ma part devenue propriétaire, j’ai pu faire des crédits. Ça ne m’empêchera pas demain, si j’ai envie de changer d’entreprise, de tout plaquer pour un autre taf. Ça ne m’effraie pas, car des CDI, j’en ai eu quatre ou cinq et je considère que le marché du travail est assez ouvert pour faire ce choix. Si je dois tirer une morale de cette histoire, c’est qu’il ne faut jamais laisser les autres décider à notre place.
Article édité par Gabrielle Predko ; Photographie de Thomas Decamps
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