« Etudiants, vos projets vous définissent plus que vos diplômes »
16 juin 2021
7min
Auteur et confériencier sur le futur du travail, spécialiste du sens et de la reconnaissance au travail
Notre avenir professionnel n’est pas conditionné par nos études et nous ne nous résumons pas à ce que nous avons appris entre 18 et 25 ans. D’ailleurs, j’ai été diplômé cette année, et le jour où j’ai obtenu mon diplôme, j’ai décidé de supprimer la ligne qui faisait référence à mes études de la description de mon profil LinkedIn. Je ne cherche pas à m’en cacher, elles continuent d’apparaître un peu plus bas, mais disons qu’aujourd’hui ce n’est pas le premier élément que je souhaite mettre en avant. Je me définis plus par les projets que je mène que par un bout de papier, déjà obsolète.
Mais cette vision ne fait malheureusement pas encore l’unanimité… Mon premier documentaire, Work in Progress, qui vient de sortir en ligne, a été vendu à plusieurs plateformes en quelques mois seulement. Pourtant il y a un an, lorsque je le préparais, la plupart des producteurs avec qui j’avais l’occasion de discuter du projet me regardaient avec condescendance, l’air de dire : « Qu’est-ce qu’un étudiant, qui sort d’école de commerce et ne connaît rien à la production, vient faire dans notre secteur ? »
Comme si le diplôme permettait de mettre les gens dans des cases… N’est-ce pas un peu réducteur que de penser ainsi ? Aujourd’hui, que disent nos diplômes de nos compétences ? Ont-ils encore de la valeur ? Pour moi, l’essentiel n’est pas là.
Pour se démarquer, le diplôme n’est plus suffisant
La valeur des écoles privées repose sur leur sélectivité
J’aimerais d’abord vous parler spécifiquement des écoles privées puisque je sors moi-même de l’une d’entre elles. Cette année, le traditionnel gala de remise des diplômes nous a été proposé en ligne et l’édition a été plutôt réussie malgré tout. Il aurait donc pu en être de même pour les examens de sortie, seulement, pour ma promo, ils ont tout bonnement été supprimés, le virus ayant chamboulé une organisation (trop) bien huilée depuis des années.
Alors que je m’attendais à ce que, soulagée, toute ma promo saute de joie, cette annonce ne nous a fait ni chaud ni froid. Pourquoi ? Parce que, dans le fond, rien ne changeait réellement pour nous. D’ailleurs, je ne connais personne qui appréhendait réellement ces examens. Lorsque l’on a eu à passer des concours d’entrée sélectifs, tous les examens qui viennent après ne sont qu’une simple formalité. Si un diplôme d’école privée a encore de la valeur, c’est uniquement sur ce filtre à l’entrée que celle-ci repose vraiment.
La théorie du signal : « Tu le vois mon réseau ? »
En classes préparatoires, on a étudié la théorie du Signal appliquée à l’enseignement supérieur par l’économiste américain Michael Spence. Ce dernier explique en substance que l’éducation n’augmente pas la productivité d’un individu, mais permet plutôt d’envoyer un signal au monde qui l’entoure. Mais quel signal envoie alors mon diplôme ? Il indique qu’il y a quelques années j’étais capable d’écrire des dissertations de 20 pages en quatre heures chrono et de passer mes samedis matin à calculer des dérivées ? Ce signal est déjà obsolète, puisque je n’en suis plus capable aujourd’hui et d’ailleurs, dans le monde du travail, tout le monde s’en contrefiche.
Ce qui intéresse, au contraire, c’est l’origine sociale et le réseau signalés par ce diplôme, autant d’éléments par lesquels, je n’ai pas envie d’être identifié puisqu’ils ne disent rien de ce dont je suis capable. D’autant que l’absurdité de ce signal a été renforcée cette année par la pandémie. Que diront les diplômés d’une promo qui ne se connaît que sur Zoom et qui n’a pas vécu ensemble les différents rites censés favoriser le sentiment d’appartenance - si chère aux écoles privées ?
Et puis, si ce type de diplôme paraît déjà obsolète pour une personne qui, comme moi, vient tout juste de l’obtenir, il semble encore plus aberrant d’y prêter attention des dizaines d’années plus tard et de reposer la légitimité d’individus - qui briguent des fonctions utiles et socialement reconnues - sur la simple agitation d’un bout de papier reçu des années auparavant, non ?
« Ok Google » L’école n’a plus le monopole de la connaissance
Sortons un peu du cas spécifique des écoles privées. Depuis qu’Internet fait partie de nos vies, l’école n’a plus le monopole de la connaissance. Celle-ci est disponible partout, gratuitement et la posséder n’a donc plus aucune valeur en soi. En revanche, son appropriation et son utilisation à bon escient devraient être davantage valorisés et pour moi, cela passe avant tout par la réalisation de projets (vous me voyez venir ?)
En parallèle, nous assistons à un phénomène d’inflation des diplômes, c’est-à-dire à l’augmentation du nombre de personnes diplômées et à l’augmentation de leur niveau de formation. Selon l’INSEE, le nombre de diplômes délivrés - toutes filières confondues - a doublé entre 1985 et 2015 et en ce qui concerne les écoles de commerce, ce nombre a même été multiplié par cinq ! Sauf que plus le nombre de diplômes délivrés est important, plus la valeur de chacun de ces diplômes baisse, remettant toujours plus en question leur pertinence sur un marché du travail toujours plus compétitif et saturé.
Du concret, s’il vous plaît !
Pour se démarquer, les étudiants doivent alors redoubler d’imagination et de motivation, leur diplôme ne suffisant plus. Et de l’autre côté de la table, les recruteurs eux-aussi s’adaptent, ne pouvant plus se fier aux seuls diplômes. Pour départager les candidats qui se présentent à eux, ils s’intéressent désormais à d’autres indicateurs, plus révélateurs encore de leurs compétences et de leur état d’esprit : leurs projets !
Loisirs, réalisations dans le cadre scolaire, engagements associatifs, entrepreneuriat, expériences professionnelles en tous genres… Ces derniers permettent d’évaluer très concrètement les aptitudes d’un candidat puisqu’ils sont tangibles, eux. Au-delà de simplement dire ce que l’on “sait faire” quelque chose parce qu’on a suivi telle ou telle formation, les projets permettent de le “prouver”. Ainsi, ils recréent de la confiance entre les recruteurs et les candidats.
Les projets : les nouveaux diplômes
CV vs. portfolio : la battle
N’ayant jamais travaillé en entreprise, je n’ai pas grand-chose à mettre sur mon CV, d’ailleurs je n’en ai pas ! En revanche, j’ai un portfolio, que je mets régulièrement à jour, qui raconte l’ensemble des projets que j’ai menés ces dernières années. Croyez-moi, ils en disent bien plus sur qui je suis et sur ce que je sais faire qu’un document listant mes “intérêts” et mon cursus scolaire.
Parmi ces projets, je compte : la création d’une marque de vêtement avec deux amis en parallèle de mes études, ma première expérience entrepreneuriale, et une vingtaine de missions en freelance que j’ai réalisées avant de m’embarquer dans une learning expedition pendant mon année de césure : un tour du monde pour étudier les meilleures pratiques de collaborations entre travailleurs indépendants et entreprises. Une fois l’école terminée, j’ai poursuivi les missions en freelance et monté d’autres projets : une newsletter, un documentaire, des conférences…
Non seulement ces différents projets me permettent aujourd’hui de gagner ma vie, mais surtout, ils m’ont permis de monter en compétence : j’ai beaucoup plus appris de ces différentes initiatives qu’en allant en cours. C’est en mettant en application les concepts théoriques que l’on étudie et en se confrontant à la réalité du terrain que l’on intègre réellement de nouvelles compétences. La théorie va de paire avec la pratique, mais la théorie seule ne vaut pas grand chose. Dans la construction de sa vie professionnelle, chaque initiative concrète ou projet est une brique qui permet de poser une deuxième brique, et ainsi de suite.
C’est pourquoi, sans vous inviter à déchirer votre CV et à tout envoyer balader, je vous recommande chaudement d’entrer dans l’action le plus tôt possible.
La passion Economy
Lorsqu’on parle de projet, il ne faut pas nécessairement s’imaginer une activité très complexe et structurée. Ces dernières années, des centaines de plateformes et d’applications se sont développées afin de donner à chacun l’opportunité de lancer facilement une activité à moindre frais, voire gratuitement. Lancer une newsletter, un podcast, un compte Instagram ou encore une chaîne YouTube peut se faire sans gros investissement et pourtant, les gains peuvent parfois être immenses ! Au-delà des revenus générés, lancer son propre projet permet de rassembler autour de soi une communauté, de commencer à créer son réseau, mieux encore : sa légitimité ! C’est ce que l’on appelle la Passion Economy.
Et puis, aujourd’hui, il n’est pas non plus nécessaire de consacrer tout son temps à une activité pour espérer qu’elle “fonctionne”. Il est tout à fait possible, dans un premier temps, de tester à la fois notre intérêt et celui de potentiels clients à petite échelle, avant de redoubler d’engagement si le projet mérite d’être poussé un peu plus loin. D’ailleurs, si certains projets restent à l’état embryonnaire, ce n’est pas grave, ils vous feront de bons souvenirs dans quelques années. Mais certains peuvent aussi décoller, parfois sans que vous ne vous y attendiez, et annoncer le début d’une grande aventure. Quoi qu’il advienne, il s’agit toujours d’un moment unique d’apprentissage et de rencontres. Et puis, lorsqu’on travaille pour soi, et selon ses propres codes, l’intensité avec laquelle nous nous engageons est décuplée ! Tous les projets ne sont pas nécessairement voués à devenir de futures activités rentables, ils peuvent tout aussi bien être des projets-passions dans lesquels nous nous épanouissons à côté de nos études ou d’un boulot.
Pour plus d’autonomie dans l’éducation !
En ce qui me concerne, je m’estime chanceux d’avoir été encouragé à mener mes propres projets, à la fois par mes parents et par mon école. Néanmoins, je regrette que la plupart des cursus “classiques” n’encouragent pas plus leurs étudiants à prendre des initiatives et à se lancer dans un domaine qui les passionne. C’est dès le collège que nous aurions besoin d’apprivoiser notre autonomie et tout au long de la vie qu’il s’agit de la cultiver ! Je rêve d’un système scolaire qui nous incite à lancer nos propres projets librement, sans avoir à justifier de quoi que ce soit auprès de notre établissement, d’un système scolaire qui donne l’opportunité d’avoir un temps consacré à l’apprentissage par l’action et à la découverte du travail, pas à pas et de façon ludique.
Je suis convaincu que les projets personnels devraient être présentés comme de vraies alternatives aux stages en entreprise et faire l’objet d’un accompagnement dédié. Les établissements qui organisent déjà des forums de recrutement entre les entreprises et les étudiants pourraient, par exemple, pousser un peu plus loin leurs rôles d’entremetteurs. Ils pourraient permettre aux étudiants de présenter leurs projets personnels aux professionnels présents qui joueraient alors le rôle de mécènes, de clients ou de mentors. Les stages ne deviendraient alors qu’une des différentes options possibles, aux côtés d’initiatives émanant des étudiants, encouragées et encadrées par les établissements.
Les possibilités de créations sont infinies, nous avons tous à notre échelle des idées à tester, du temps à consacrer à un projet, quel qu’il soit. Offrons ce temps et de l’accompagnement à celles et ceux qui veulent se lancer et valorisons leurs initiatives personnelles parce que ce n’est qu’ainsi que le futur de l’éducation pourra rencontrer le futur du travail.
Étudiants, lancez votre compte Instagram, créez votre premier site web, fabriquez vos propres produits artisanaux… Les possibilités de créations sont infinies, il ne reste plus qu’à trouver celle qui vous enthousiasme, celle qui vous fait lever le matin et vous empêche de dormir le soir !
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Article édité par Eléa Foucher-Créteau
Photo par WTTJ
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