Retraite : si on réinventait le temps de repos tout au long de la vie ?
07 févr. 2023
6min
Auteur et confériencier sur le futur du travail, spécialiste du sens et de la reconnaissance au travail
L’actuelle réforme des retraites proposée par le gouvernement, visant à faire reculer l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, est au cœur d’un débat houleux. Mais plutôt que de se projeter dans une vie binaire : travail contre retraite, activité versus inactivité totale… Notre expert Samuel Durand invite à reconsidérer notre vie - et nos temps de repos - de manière plus globale. Semaine de quatre jours, congés sabbatiques : et si on prenait enfin le temps de valoriser le repos tout au long de nos vies ?...
Depuis que je suis en âge d’écouter la radio ou de regarder la télévision, les débats sur la retraite, et plus généralement sur le temps de travail, n’ont pas changé. Le « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy en 2007 semble encore être la doctrine du gouvernement actuel. Emmanuel Macron a notamment insisté sur l’importance de la valeur travail, avec pas moins de 17 occurrences du mot lors de ses vœux pour la nouvelle année 2023. Le travail, lui, a pourtant particulièrement évolué en 20 ans, et plus encore depuis que le système de retraite a été pensé. Davantage, les aspirations des travailleurs ne sont plus les mêmes : aujourd’hui plus d’un Français sur trois se dit prêt à voir diminuer son salaire pour travailler moins. Si nous savons faire preuve de créativité pour inventer de nouvelles façons de travailler, peut-être est-il temps de repenser, avec autant d’inventivité, la façon dont nous envisageons le repos ?
Penser en dehors des cases
La retraite telle que nous la connaissons aujourd’hui est un héritage de l’époque industrielle. Un modèle où les carrières sont linéaires et la vie décomposée en 3 phases bien distinctes les unes des autres : la jeunesse est vouée au choix d’un métier et à sa formation pour y accéder, suivie par le temps du travail de 20 à 60 ans avant de paisiblement terminer ses jours à la retraite. Cette dernière phase de l’existence est pensée comme une période de repos bien méritée, après des dizaines d’années de dur labeur, et parfois, de sacrifices. Les pensions versées sont alors assimilables à un salaire différé, en échange d’une contribution à la société pendant la vie active.
En défendant coûte que coûte un âge de départ à la retraite le plus tôt possible (comme s’il s’agissait encore d’une vision progressiste du travail), les syndicats donnent l’impression que nous en sommes restés à l’ère industrielle. Or, si les cheminées d’usines fument encore, le monde du travail a bien évolué. En entrant dans l’ère numérique, l’économie s’est tertiarisée. Avec elle, les formes de travail se sont étoffées, notamment avec l’avènement des indépendants. Et tandis que les carrières se sont morcelées (on n’occupe plus un même métier, dans la même entreprise toute sa vie pro), l’apprentissage s’est lissé pour ne plus se réduire à quelques années de jeunesse.
La pandémie que nous venons de vivre nous a aussi poussés à accélérer nos réflexions individuelles sur le travail. Derrière les concepts de « great resignation » et de « quiet quitting » qui ont fait du bruit, ce sont des millions de personnes qui, silencieusement, envisagent le travail sous un nouveau prisme, cherchant à travailler moins longtemps ou du moins différemment. En dépit du contexte inflationniste, 41 % des Français continuent à rechercher un meilleur équilibre entre leurs vies pro et perso, quitte à changer d’entreprise dans un futur proche (33 %).
En parallèle, la retraite, souvent fantasmée au cours de la carrière, n’offre pas toujours le bonheur espéré. Perte de sens, sentiment de solitude ou manque d’utilité sociale forment parfois le package inattendu de certains retraités face à ce changement de vie brutal. Autant de facteurs qui incitent à un débat collectif afin d’envisager de nouvelles formes de repos, plus pertinentes et épanouissantes pour tous.
Valeur-travail vs valeur-repos
Le travail fatigue notre corps mais pas seulement… Sommeil, physiologie, performance ou encore créativité, de nombreuses études aboutissent à la même conclusion : le repos est indispensable à notre bien-être et stimule nos performances à court terme. Le ratio magique travail/repos serait ainsi de 52 minutes d’activité contre 17 minutes de pause (là où la loi prévoit seulement 20 minutes de pause après… 6 heures). Au-delà de ça, le repos revêt une dimension sociale : ce n’est pas seulement un temps pour soi mais également pour favoriser les interactions avec les autres.
Face à ce constat, et de la même manière qu’il semble absurde de s’accorder une semaine de vacances après 6 mois de travail intense sur un ou plusieurs projets, pourquoi la retraite devrait-elle être majoritairement concentrée à la fin de nos vies ? Je m’étonne de l’absence de défense de la semaine de 4 jours au sein des débats actuels. Les grévistes aujourd’hui les plus engagés contre la réforme ne seraient-ils pas prêts à envisager une fin de carrière plus tardive si on leur offrait la perspective d’un jour de repos supplémentaire par semaine ?Rien n’est plus sûr.
Du côté des entreprises, c’est un concept qui fait ses preuves, peu importe les métiers et les secteurs. J’ai eu l’occasion de visiter plusieurs sociétés qui l’ont mis en place (dont LDLC, la plus grande entreprise au monde à l’avoir instauré de façon définitive) et, si la semaine de 4 jours suppose une réorganisation profonde, elle porte ses fruits à la fois en matière de bien-être et de performances. Une idée qui fait son chemin visiblement. Au lendemain de la deuxième journée de mobilisation contre la réforme, Gabriel Attal a annoncé que « soutenir le travail, c’est aussi accepter que certains aspirent à travailler différemment », en lançant un test de la semaine de 4 jours à l’Usarff de Picardie.
Appliqué à la retraite, le concept permettrait de jouir de ses droits en faisant valoir ses cotisations tout au fil de sa vie. D’un point de vue pratique, il s’agit de mélanger retraite et chômage, en donnant à chacun un compte temps qu’il serait libre d’utiliser comme il l’entend, à n’importe quel moment. Chaque travailleur pourrait ainsi profiter de différentes périodes de repos de plusieurs mois, afin d’occuper ce temps comme il le souhaite. Profiter d’un congé parental, voyager à travers le monde, ne rien faire, se former à une nouvelle compétence, consacrer du temps à une association, créer une société… il y a autant de façons de « se reposer » que de façons de vivre sa retraite. Tout l’enjeu étant d’en finir avec la standardisation du repos, et de donner, comme dans le travail, l’autonomie à chacun de gérer sa vie.
Une nouvelle retraite déjà en marche ?
Le principe de la retraite au fil de la vie n’existe pas dans les différents systèmes de retraite à l’international. Mais certains concepts innovants ou statuts particuliers se rapprochent cependant de cet état d’esprit.
Les congés sabbatiques
Certaines entreprises accordent à leurs employés des congés sabbatiques payés, après quelques années au sein de l’organisation. Ainsi, Buffer propose jusqu’à 12 semaines à ses employés, de façon proportionnelle au temps passé dans l’entreprise. Mieux, l’entreprise revendique les bienfaits de ces longues pauses : « Étant donné que notre équipe est encore relativement petite, le coût pour l’entreprise de la prise d’un tel congé est assez important, mais le coût de la perte de ces personnes en raison d’un burnout est encore plus important. » Certains en profitent pour voyager, d’autres pour s’adonner à un projet personnel qui leur tient à cœur depuis longtemps, puis reviennent de cette coupure d’autant plus motivés et engagés pour poursuivre leurs missions.
En France, c’est Orange qui a dernièrement fait du bruit sur le sujet avec son « congé respiration », qui permet aux salariés ayant cumulé 10 ans d’ancienneté de prendre 3 à 12 mois de congés payés à hauteur d’au moins 70 % de leur rémunération.
Les vacances illimitées
Le concept de vacances illimités est un peu différent : il s’agit de congés sans solde qui sont offerts aux travailleurs qui le souhaitent, en plus de leurs congés payés. Ils sont théoriquement illimités, mais dans la pratique personne ne part pendant des années. La plupart des travailleurs tendent même à ne prendre qu’une ou deux semaines de plus que la durée légale des congés. En France, OpenClassrooms est allé au bout de la démarche en ajoutant un bonus de 1 000€ pour ceux et celles qui prennent 3 semaines d’affilée afin d’encourager le repos de ses collaborateurs.
Le rythme des indépendants
Ce n’est pas une innovation, mais le rythme de travail des indépendants leur permet souvent de gérer plus librement leurs périodes d’activité et d’inactivité. Ainsi, il arrive qu’entre deux missions, ils prennent plusieurs semaines ou mois de pause pour des raisons variées. Peut-on alors parler de chômage non rémunéré si la pause est subie ? Doit-on parler de vacances si ce temps là est dédié aux loisirs ? Peu importe le motif, cette pause pourrait en tout cas s’apparenter à cette nouvelle façon de voir la retraite. Et ce n’est pas un hasard si de plus en plus de Français sont intéressés par ce statut.
En plus de mieux s’accorder à l’évolution du marché du travail et des aspirations des travailleurs, la mise en place de périodes de repos tout au long de la vie permettrait à chacun de se projeter plus facilement dans la retraite pour laquelle nous cotisons. N’est-il pas temps de laisser à chacun la liberté d’ouvrir des parenthèses au sein de sa vie professionnelle selon ses besoins, plutôt que d’imposer l’idée brutale, que le temps du repos ne vient qu’après une longue carrière ?
Article édité par Mélissa Darré - Photo Thomas Decamps pour WTTJ
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