Agriculture : « La main d’œuvre est pénurique et on a des difficultés à recruter »
07 mars 2023
4min
Journaliste
Comment attirer les talents vers les « métiers de la terre » ? À l’occasion du Salon International de l’Agriculture 2023, nous avons parlé tensions de recrutement et avenir du secteur agricole avec Laurent Paillat, maraîcher et président de l’ANEFA.
Après 5 jours passés au Salon de l’Agriculture, l’ancien fonctionnaire territorial devenu maraîcher dans le Gard a les traits tirés. Malgré la fatigue, Laurent Paillat est « heureux d’être là ». De toute façon, sa gaieté parle pour lui. Le président de l’Association Nationale pour l’Emploi et la Formation en Agriculture (ANEFA) est une mascotte dans le Hall 4 de la Porte de Versailles. C’est là où l’organisme a posé ses pupitres pour faire la promotion des métiers de l’agriculture. Un serrage de main à droite puis à gauche nous mène jusqu’à une petite cabine intimiste. Ce coin hors du temps va nous permettre de deviser sur un sujet qui contraste avec la festivité ambiante du salon, mais qui ronge pourtant à bas bruit le monde agricole : les difficultés de recrutement du système agraire français.
En 2022, 257 400 projets de recrutements étaient recensés par la FNSEA et plus de 50 % d’entre eux ont été jugés difficiles par les employeurs : comment l’expliquez-vous ?
Comme beaucoup d’autres, nous sommes catégorisés « secteur en tension » : la main d’œuvre est pénurique et on a des difficultés à recruter. La France a de moins en moins de chômeurs, donc moins de main-d’œuvre potentielle pour l’agriculture. On a développé des contrats pour faciliter l’entrée de l’immigration saisonnière dans le travail des champs, pour aider à ramasser les récoltes. Mais ça ne suffit pas. De manière générale, chacun a davantage la possibilité de choisir sa voie. Comme l’être humain est fragile, il va au plus simple, or dans l’inconscient collectif, l’agriculture rime avec pénibilité. Même si pour moi, nos professions ne sont pas plus pénibles, voire moins, que celles des caissiers de supermarché, par exemple. Il y a aussi une méconnaissance de nos emplois. Aujourd’hui, ça va du fraiseur-tourneur au dessinateur industriel, c’est très divers. On a par ailleurs une fracture générationnelle car depuis une ou deux générations, les citadins n’ont plus d’agriculteurs dans leurs familles, ce qui fausse leur image. Les gens pensent toujours aux tracteurs avec des sièges en fer. Moi je veux donner l’image d’un tracteur avec des fauteuils automatiques et la climatisation dans les cabines.
En 2021, on enregistrait une baisse de 100 000 exploitations agricoles en France, et d’ici à 2030, un agriculteur sur deux aura pris sa retraite. Comment pallier cette baisse ? Est-ce même possible ?
Difficile de le savoir, mais « à cœur d’agriculteur rien d’impossible » ! C’est pour contrer cette tendance qu’on est sur le salon (sourire). Il faut qu’on donne envie d’exercer ces métiers. On doit faire savoir qu’en 2023, on peut partir en vacances et avoir des conditions de travail convenables. On peut commencer salarié et finir cadre supérieur – ce qui n’est pas le cas dans de nombreuses entreprises d’autres secteurs. Le directeur commercial international de ma coopérative (Uni-vert) a 70 salariés sous ses ordres et c’est l’ancien cariste de la boîte. On l’a accompagné avec des fonds de formation et ce type d’évolution de carrière, c’est beau.
La vie a la campagne a eu le vent en poupe grâce à la crise Covid. Est-ce que des urbains se sont reconvertis dans l’agriculture ?
On en a pas mal ! Et pour cause, durant la période du Covid, j’étais sur mon exploitation tout seul avec une bonne qualité de vie. C’est cet aspect qui a séduit les urbains. On a une ancienne responsable événementielle qui fait pousser du jasmin et qui travaille avec des entreprises de parfums, une banquière devenue viticultrice… En fait, il y a beaucoup de gens en recherche de sens dans leur carrière. Le Covid a été un tournant et a ouvert les yeux à plein de Français.
Lorsqu’une entreprise agricole ne parvient pas à recruter, que se passe-t-il au niveau de la production ?
C’est tout simple : les produits ne sont pas récoltés, ce qui engendre des problèmes au niveau de la distribution et touche les consommateurs. Sauf que les produits manquants, on les achètera ailleurs car la nature a horreur du vide. Si l’agriculture française ne peut pas nourrir sa population, celle-ci se tournera vers des produits d’Espagne, d’Allemagne ou d’Italie. À l’heure actuelle, le consommateur peut trouver une fraise au mois de décembre donc tout est possible.
Pourrait-on imaginer la mise en place d’unesemaine de 4 jours comme levier d’attraction pour certains métiers, ou c’est une hérésie dans votre secteur ?
Ce n’est pas à l’ordre du jour. En revanche, moi je travaille sur une période de 10 mois. En tant que maraîcher, on répond à la saisonnalité des produits. Il y a des pics d’activité certains mois, et en juillet-août, on arrête de produire. On laisse travailler d’autres régions de France et on a un mois et demi de congés pendant l’été. Ça fait 25 ans que je ne bosse plus pendant cette saison parce qu’il fait trop chaud dans le sud. Je le fais en bonne intelligence. Je laisse la place aux autres et en septembre, je suis prêt à relancer la production. Pour fixer ce cadre de travail, on a un accord d’entreprise avec des semaines de 40 heures.
« Il y a 10 ans, une femme dans une cabine de tracteur, on la regardait bizarrement, mais aujourd’hui c’est terminé. »
En 2021, les femmes représentaient 30 % des actifs agricoles permanents. Y a-t-il une volonté de féminiser la profession pour recruter de nouveaux profils ?
En réalité, il n’y a aucune volonté de féminiser puisque c’est quelque chose qui se fait naturellement. Ce n’est pas une politique, c’est un état de fait et c’est bien normal. Il y a 10 ans, une femme dans une cabine de tracteur, on la regardait bizarrement, mais aujourd’hui c’est terminé. C’est une viticultrice qui préside le syndicat des Jeunes Agriculteurs de mon département. Je n’ai même pas besoin de le dire parce que c’est courant. Il y a de plus en plus de femmes dans l’agriculture et c’est tant mieux. Le fait que le travail d’agriculteur soit moins pénible y est aussi pour quelque chose. On a de plus en plus de mécanisation, ce qui rend la profession plus accessible de manière générale.
Comment voyez-vous l’avenir du monde agricole ?
Si je suis raisonnable, avec la main-d’œuvre dont on disposera, je pense que l’agriculture française va devenir l’équivalent de la haute couture : elle ne produira plus que du luxe, des produits où il n’y aura pas une trace de pesticide, le haut de gamme de l’alimentaire. Et si je suis optimiste, on va retrouver notre souveraineté alimentaire rapidement. Je précise que dans la première option, tout le monde ne pourra pas se payer de la haute couture et qu’il faudra donc importer.
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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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