Index d’égalité : va-t-il vraiment abolir les écarts de salaires femmes-hommes ?

28 févr. 2020

5min

Index d’égalité : va-t-il vraiment abolir les écarts de salaires femmes-hommes ?
auteur.e
Romane Ganneval

Journaliste - Welcome to the Jungle

Les hommes et les femmes naissent libres et égaux en droit, mais ne le demeurent pas dans le monde du travail. Inscrit pour la première fois dans la loi en 1972, le principe d’égalité de rémunération n’est toujours pas réellement appliqué un demi-siècle plus tard. La différence « non-expliquée » de salaire entre les hommes et les femmes qui occupent le même emploi est d’environ 10% dans notre pays. Tous postes confondus, l’écart salarial se creuse avec l’âge avec une disparité de revenus de 25% en moyenne et de 37% en fin de carrière. Selon Les Glorieuses, collectif féministe, l’écart de salaire entre les femmes et les hommes est tel qu’en 2019, les Françaises auraient dû s’arrêter de travailler à 16h47 mardi 5 novembre si elles voulaient être à égalité avec leurs collègues masculins !

« C’est socialement inacceptable ! », s’insurgeait en 2018 Murielle Pénicaud, la ministre du Travail en brandissant un nouvel outil pour araser les inégalités injustifiables : l’Index d’égalité salariale. Après les entreprises de plus de 1000 salariés depuis mars 2019, celles de 250 à 1000 salariés en septembre 2019, à partir de mars 2020 c’est au tour des entreprises de 50 à 250 salariés d’être concernées par cette nouvelle obligation légale. Mais quelle est-elle ? Et surtout, est-elle capable de diminuer, voire de supprimer, les inégalités hommes-femmes au travail ?

Des sanctions pour ceux qui ne respectent pas le principe « à travail égal, salaire égal »

L’Index s’apparente à une grille de lecture qui permet aux entreprises de mesurer les écarts de rémunérations des salariés selon le genre. Ce dispositif note chaque entreprise sur 100 points selon cinq critères : les niveaux de salaire à poste et âge comparables (40 points), les augmentations (20 points), les promotions (15 points), les augmentations au retour de congé maternité (15 points) et la part des femmes parmi les dix plus hautes rémunérations de l’entreprise (10 points).

Le score final doit être publié sur le site Internet de chaque boîte, transmis aux représentants du personnel et aux autorités. Les entreprises qui ont totalisé moins de 75 points sur 100, disposent de trois ans pour se mettre en conformité. Le cas échéant, elles s’exposent à des sanctions pouvant aller jusqu’à 1% de la masse salariale. Même si, « la sanction ne doit être que l’ultime recours une fois que tous les autres moyens ont été épuisés », soulignait Muriel Pénicaud dans les Echos, en avril 2019. Et pour veiller au bon respect de ce nouvel outil, le ministère du Travail a décidé de quadrupler les contrôles de l’inspection du travail. « Les entreprises devraient se méfier », prévient Emmanuel Prévost, directeur du pôle veille juridique chez ADP.

Passer par la loi : une nécessité ?

Concernées à partir du 1er mars 2020, les entreprises de 50 à 250 salariés devront ferrailler pour l’appliquer : « L’index est plus compliqué à mettre en place dans les petites structures parce qu’il n’y a pas forcément de grands moyens dans les services RH, c’est donc une charge supplémentaire importante, explique Emmanuel Prévost, qui admet en même temps que « cet outil est un bon révélateur des pratiques de l’entreprise. Pour certaines structures qui n’avaient pas conscience que les écarts de salaires subsistaient, ça a été un véritable choc. »

Mais fallait-il forcément en passer par la loi pour faire évoluer la situation des femmes ? « Si les mentalités évoluent, malheureusement on a bien vu que l’autorégulation ne fonctionnait pas, relève Steve Farrugia de Willis Towers Watson, un cabinet de conseil spécialisé dans l’accompagnement des entreprises dans la mise en place de politiques de rémunération plus équitables. *Quand la loi impose des résultats, c’est beaucoup plus efficace. Si l’on prend l’exemple de la représentation des femmes au sein des conseils d’administration : avant l’adoption de loi Copé-Zimmermann en 2011 (qui fixe à 40% le quota des femmes dans les comités d’administration), il y avait encore très peu de femmes dans ces instances alors qu’aujourd’hui, elles y sont beaucoup mieux représentées !* »

Un bilan plutôt positif pour les entreprises

Du côté des entreprises qui ont mis en place ce dispositif, quel est le bilan ? Si la moyenne des notes obtenues pour les grandes entreprises et celles de taille intermédiaire atteignent en moyenne 82 sur 100, « seules 3,5% des structures interrogées ont un score proche de 100», a déclaré Muriel Pénicaud. Or, insiste-t-elle, « l’égalité, c’est 100 % ». Les entreprises dans le rouge - qui ont une note inférieure à 75 - sont minoritaires mais présentes : elles sont 18% des plus grandes entreprises et 16% de taille intermédiaire à avoir moins de trois ans pour prendre des mesures efficaces et réduire les écarts rémunérations selon le genre.

Les manquements de ces mauvais élèves portent surtout sur « le rattrapage salarial dont les femmes doivent bénéficier au retour d’un congé maternité si leurs collègues ont été augmentés pendant leur absence » et « le plafond de verre qui empêche les femmes d’accéder aux postes de direction ». Pour les entreprises, la place des femmes dans les plus hauts revenus est le critère le plus difficile à remplir. Selon Emmanuel Prévost, « le poids de l’histoire est important. Traditionnellement, les postes au plus haut niveau de l’entreprise sont peu proposés aux femmes et d’un autre côté, les femmes ne se sentent pas toujours qualifiées ou capables d’assumer les missions, mais ça va changer. »

Un index perfectible

Attention, si l’Index est un outil intéressant, il n’a pas le pouvoir magique d’effacer toutes les inégalités qui subsistent entre les hommes et femmes au travail. Sophie Binet, de la CGT, regrette que le gouvernement n’ait «pas tenu compte » de certaines demandes des syndicats pour rendre l’outil plus efficace. Ces derniers défendaient un modèle plus strict, ne permettant pas de jouer sur l’ensemble des critères afin d’obtenir un beau score, quand bien même les écarts de rémunération seraient élevés. « Mais c’est déjà un premier pas, estime Laura Louisonne de Willis Towers Watson. Les entreprises ont pris conscience qu’elles vont devoir travailler sur la gestion de carrière des femmes pour rentrer dans les clous et plus globalement repenser leur fonctionnement interne. Pour le moment, l’index est assez bienveillant, mais je pense que les 75 points ne sont qu’un premier point d’étape, le palier va surement augmenter dans les prochaines années et les sanctions vont également se renforcer. »

À terme le dispositif se perfectionnera peut-être en prenant en compte d’autres critères comme les inégalités de carrière, le déficit de mixité dans certains métiers ou encore le temps partiel dont 82% des contrats sont occupés par des femmes. Aujourd’hui encore, les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes trouvent leur origine dans le modèle familial traditionnel. Et la maternité reste le frein principal à la non-progression des femmes dans l’entreprise, un phénomène qui s’accentue encore plus dans le secteur privé. « La naissance d’un enfant coïncide avec une baisse de salaire chez les mères mais pas chez les pères », détaille une étude publiée par l’Insee en 2019. Une tendance qui prend de l’ampleur au fil de la carrière : si l’écart de salaire se situe autour de 7% pour les salariés sans enfant, il atteint près de 23% entre les pères et les mères. Pour enfin casser les inégalités entre les femmes et les hommes, les collectifs féministes réclament maintenant un congé paternité obligatoire, et fait rare : l’inspection générale des affaires sociale argumente aussi en ce sens.

Moralité : les entreprises ont pris conscience de la persistance des écarts de rémunérations, mais l’égalité salariale femmes/hommes est encore loin d’être acquise.

Photo d’illustration by WTTJ

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