De la finance aux tacos, la success story de Davy (Distrito Francés)
23 juin 2018
8min
Davy Ngy a toujours su qu’il serait un jour son propre patron. Après avoir fait une prépa maths sup-maths spé pour devenir trader à Londres, il quitte le monde de la finance et retourne vivre chez ses parents en banlieue parisienne. Un an après, ce contemplateur pragmatique devient restaurateur et ouvre Distrito Francés, une jolie taqueria parisienne dans le 10ème arrondissement et un vrai clin d’œil à Mexico et son Distrito Federal, qui veut dire “quartier français”. Son restau’ a connu un tel succès qu’il s’apprête à ouvrir une cave à manger/bar à cocktail dans le Marais cet été.
Davy Ngy - Distrito Francés
Que voulais-tu faire quand tu étais plus jeune ?
Au lycée, je me suis rendu compte très vite que je voulais être mon propre patron. J’avais un petit problème avec l’autorité. Si j’admirais un prof’, il pouvait m’enseigner n’importe quoi et j’assistais à tous ses cours. Mais si j’avais l’impression qu’il n’était pas valable et que je n’avais pas d’estime pour lui, c’était très compliqué. Je savais que ça allait être pareil dans le milieu professionnel.
Pourquoi as-tu décidé de te lancer dans la finance ?
Un peu par hasard. Mon beau-frère m’avait parlé du métier de trader. Tout de suite je me suis dit que ça pouvait être un bon début de carrière et me permettre de gagner beaucoup d’argent, pour économiser et ensuite, être mon propre patron. J’avais une vision de 17 à 30 ans ! Je suis donc rentré en prépa’ pour intégrer la formation Finance Internationale à HEC.
Je voulais être mon propre patron. J’avais un petit problème avec l’autorité.
Qu’est-ce que tu retiens de ces années ?
C’est une période compliquée mais c’est à ce moment-là que ma pensée s’est formée. La prépa’ t’impose de trouver ta méthode de travail. Tu as l’impression de tout découvrir, tu apprends aussi l’abnégation… Et à manger debout car on n’avait pas le temps donc on mangeait en 5 minutes !
Et ensuite, quels souvenirs as-tu de ton entrée dans le monde professionnel ?
Après un master, je me suis retrouvé chez Goldman Sachs à Londres. J’ai beaucoup apprécié le pragmatisme anglo-saxon et les gens qui m’entouraient. Il y avait des personnes qui venaient de partout. Au début, je pensais que l’excellence était mon moteur car c’était très challenging au quotidien. Mais au bout de trois ans je me suis essoufflé, je n’avais pas assez de passion, je n’arrivais plus à sourire le matin, et on se levait trop tôt, à 4h30 !
Et plus je gagnais de l’argent, plus mes besoins étaient élevés. C’était infini et ça devenait trop ! On passait notre temps à faire du shopping, les gens pleuraient quand ils n’avaient pas le bonus espéré. Ce n’était plus pour moi.
Plus je gagnais de l’argent, plus mes besoins étaient élevés. C’était infini et ça devenait trop !
Distrito Francés
Tu as décidé de tourner la page à ce moment-là. Quels ont été tes premiers pas ?
Je voulais monter quelque chose mais je ne savais pas dans quel domaine me lancer. Je me suis donc demandé quels étaient les trois trucs que j’aimais le plus au monde. J’en ai déduit que c’était la bouffe, le sport et la sape. Après réflexion, je trouvais que c’était trop tard pour devenir le prochain Alexander McQueen et que le sport était un milieu trop risqué. C’était le tout début des courses d’obstacles à Londres, je voulais importer le concept en France mais je n’étais pas sûr que ça me rende heureux au quotidien. J’ai donc choisi la bouffe. Il faut aussi savoir que depuis que je suis tout petit, mes parents me parlent avec de la nourriture beaucoup plus qu’avec des mots. Ils sont cambodgiens et cuisinent très bien, c’est leur truc ! C’est d’ailleurs pour ça que je n’ai pas ouvert un restaurant cambodgien, la critique aurait été dure !
Je me suis demandé quels étaient les trois trucs que j’aimais le plus au monde : la bouffe, le sport et la sape. J’ai choisi la bouffe.
Pourquoi avoir ouvert un restaurant de tacos, une taqueria ?
Il y a quelques années, le mec de ma coloc, mexicain, venait souvent squatter chez nous. Un jour, pour nous remercier de notre accueil, il nous a fait des tacos et j’ai été marqué par le côté hyper généreux de sa cuisine, que l’on retrouve dans toute cuisine familiale. C’est comme quand je rentre chez mes parents en banlieue, quelle que soit l’heure, je sais que ma mère va me faire à manger. Ce n’est pas tout le temps délicieux, mais il y a une telle intention derrière que c’est sublimé car la cuisine rassemble.
J’ai aussi découvert le pouvoir des taquerias à Londres. J’avais remarqué que la convivialité du lieu poussait mes coloc’ ou collègues à se confier et discuter. En finance, c’est compliqué de faire parler les gens : tout le monde est distant, c’est très compétitif. Et bizarrement, trois tacos et deux Margherita plus tard, les gens sont vraiment beaucoup plus ouverts. Il y a vraiment ce côté sincère dans la cuisine mexicaine qui me plaisait beaucoup. Je tenais à recréer cette convivialité.
Distrito Francés
Tu as monté Distrito Francés tout seul ?
Je l’ai monté avec un ami avec qui je parlais beaucoup de reconversion à l’époque. Mais aujourd’hui on n’est plus associés. Il faut savoir que n’importe quelle entreprise est comme un enfant. Tu le mets au monde, il est super mignon, tout le monde veut venir le voir. Et ce n’est pas parce que les années passent que tu dois moins t’en occuper, au contraire ! En s’associant, tu as tous les inconvénients du couple mais sans les avantages. Et comme n’importe quel couple, on peut évoluer différemment. Ça a été un peu difficile de se séparer, mais on a compris que c’était une nécessité pour que tout le monde soit heureux.
Comment se sont passés tes débuts dans la restauration ?
J’ai décortiqué le monde de la restauration pour comprendre comment ce monde magique fonctionnait. Je n’avais fait que quelques petits jobs dans le milieu et je savais que c’était beaucoup plus complexe que ce que l’on aperçoit en tant que client. Donc je me suis assis et me suis posé toutes les questions possibles et imaginables : comment choisir un lieu ? Pourquoi mettre cette chaise à tel endroit, cette table ? Si tu as 50 places combien tu achètes de fourchettes ? Combien tu stockes de serviettes à la semaine ?
Et après on s’est lancés en rassemblants des fonds propres, des aides bancaires et une petite aide de PIE (Paris Initiative Entreprise).
J’ai décortiqué le monde de la restauration pour comprendre comment ce monde magique fonctionnait.
Davy Ngy - Distrito Francés
Comment as-tu trouvé les réponses à tes questions ?
Internet m’a beaucoup aidé, pour réseauter, avoir des retours d’expériences, comprendre les concepts qui marchent. Puis, j’ai posé des questions ! Pendant un an, mon travail était de rencontrer le plus possible de restaurateurs, tous types de restaurants confondus. S’il y avait un restau’ qui me plaisait, il fallait que j’aille parler à la personne et que je comprenne quel était son moteur.
Comment s’est passée l’ouverture ?
Le premier jour, je me souviens qu’on n’était pas prêt. On ne s’imaginait pas ce que c’était de servir 50 personnes.
Et puis ensuite, tous les jours on apprenait quelque chose de nouveau. J’ai un ami restaurateur qui me coachait en me pointant ce qui était bien et ce qui était à proscrire. Le but étant de minimiser le nombre d’erreurs. Tu es en phase d’apprentissage constante et c’est épuisant.
Le premier jour, je me souviens qu’on n’était pas prêt. On ne s’imaginait pas ce que c’était de servir 50 personnes.
Quelque chose qui t’a particulièrement marqué pendant cette période ?
Au quotidien, quand tu présentes tes plats, ton travail, les critiques sont difficiles à accepter, car tu te mets complètement à nu. Et les gens peuvent être vraiment très mesquins, alors que toi, tu es tout souriant et content. Il a fallu que j’apprenne à gérer les caractères des clients et leurs remarques. À un moment j’étais tellement émotif que pendant deux mois, il m’arrivait de descendre dans la chambre froide et de taper dans les sacs de viandes pour me défouler. Puis je remontais, plus léger. Aujourd’hui, ça ne m’atteint plus, j’arrive à être beaucoup plus stable sur ce que je ressens, mais ça a été un peu douloureux sur le moment !
Comment faisais-tu pour ne pas te laisser déborder par tout ce que tu avais à faire ?
Quand j’ai beaucoup de choses à faire, j’écris, je note tout. Quand il y a trop d’informations, ça me stresse et je peux passer plus de temps à me demander ce que je dois faire qu’à faire. Et, surtout, je connais mes limites. Ce qui est important c’est de savoir avec combien de balles tu peux jongler au maximum.
Tu travaillais beaucoup ?
J’ai travaillé 6 jours sur 7 pendant deux ans. Les six premiers mois tu es comme dopé. Tu peux dormir trois heures par jour, tu es super frais, tu es à fond. C’était quand même moins chill que j’imaginais ! Mais aujourd’hui je suis heureux. À partir du moment où on s’est lancés, je ne me suis jamais dit que je n’aimais pas ma vie. J’ai vraiment trouvé mon équilibre.
Distrito Francés
C’est grâce à mon métier de trader que j’ai une bonne structure de pensée, je suis très organisé, très méthodique.
Comment tes études et la finance t’aident aujourd’hui ?
En tant que restaurateur, je touche beaucoup aux chiffres donc mon parcours financier m’a forcément aidé : je calcule les prix, je fais le sourcing, je m’assure que les factures, mes employés et mes fournisseurs soient payés à temps, et que ce qu’on vend soit bon et au bon prix ! C’est grâce à mon métier de trader que j’ai une bonne structure de pensée, je suis très organisé, très méthodique. Cette expérience m’a permis d’apprendre, réfléchir et agir très vite. J’utilise beaucoup Trello d’ailleurs.
J’ai aussi appris à poser des questions. En finance, la première règle c’est « ne mens jamais ». Tu peux ne pas savoir mais ne mens pas. En France, on est conditionné à savoir et si tu ne sais pas tu es montré du doigt.
Ensuite ce sont des petits réflexes de travail. Bureau propre, travail propre. Je déteste travailler de façon brouillonne. Si un restau’ est sale, même si la bouffe est bonne, tu retiendras que c’était sale !
Qu’est-ce que tu as appris sur toi depuis que tu as monté Distrito Francés ?
J’ai compris que si tu es passionné par ce que tu fais et si tu es carré, tout se passera bien et tu ne t’ennuieras jamais.
J’ai aussi appris que c’était très difficile de manager. Tous les jours tu apprends car chaque personne est différente, il faut vraiment s’adapter à chacun. La priorité ici ce n’est pas forcément le chiffre mais c’est que tout le monde kiffe. Du serveur au commis, de la Cheffe aux fournisseurs. Je veux qu’ils sentent qu’ils peuvent s’élever et qu’ils voient que quelqu’un fait attention à eux. Je veux que les personnes avec qui je travaille soient libres d’évoluer.
J’ai compris que si tu es passionné par ce que tu fais et si tu es carré, tout se passera bien et tu ne t’ennuieras jamais.
Aujourd’hui, est-ce que la finance te manque ?
Non, pas du tout. Avant je bouffais des chiffres, maintenant je bouffe de la vraie bouffe !
Tu te vois faire ça longtemps ?
Oui ! C’est une passion. On ouvre bientôt notre deuxième adresse dans le Marais : Botanero. Ça va être une cave à manger/bar à cocktail/Mezcaleria, on proposera différentes petites assiettes avec un travail de saison. Et si ça marche on essaiera d’ouvrir un restau’ un peu plus gastro.
Un dernier conseil que tu pourrais nous donner ?
Pour vraiment aimer son taff, il faut s’assurer qu’il matche avec sa vision de la vie. Aujourd’hui, je ne gagne pas le tiers de ce que je gagnais avant, pourtant je suis plus heureux.
Le restau’ est en phase avec la direction générale que je veux donner à ma vie, avec les valeurs que je veux défendre et auxquelles j’ai envie que les gens m’associent quand ils me voient. Et puis le fait d’avoir une direction te permet de relativiser les échecs, et de rebondir !
Pour vraiment aimer son taff, il faut s’assurer qu’il matche avec sa vision de la vie.
Davy Ngy -Distrito Francés
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