Selim Gouaned, une histoire de seconde chance
12 juil. 2019
4min
Il a le regard franc et un peu dur de ceux qui ne baissent probablement jamais les yeux. Selim Gouaned se raconte peu car il n’a ni le temps ni l’habitude de se regarder le nombril. Plus jeune, il tombe dans la mode mais aussi dans les “conneries” comme il dit. Pour le pire.
Après quatre années passées en prison, retour à la case départ. On ne l’y reprendra plus. Changement de cap et direction la création. Depuis 2018, il est à la tête de sa marque de vêtements, Yoxeone , dont il est le Directeur Artistique. Pour le meilleur.
Quel est ton rapport aux vêtements ?
Avant même d’entrer au collège, j’étais déjà mordu de fringues. Je regardais la manière dont mon père s’habillait, il avait son petit style bien à lui : jean, weston ou baskets, veste en cuir. La classe quoi !
Et puis, j’ai grandi à Sarcelles et en banlieue, les vêtements et l’apparence contribuent à te donner une sorte de force, et ça te permet d’avoir une carapace donc j’allais souvent à Paris dépenser mon argent en fringues. J’aimais tellement ça qu’en 2001, j’ai commencé par faire quelques t-shirts. C’était les débuts de Yoxeone.
« En banlieue, les vêtements et l’apparence contribuent à te donner une sorte de force, et ça te permet d’avoir une carapace. »
Tu as toujours voulu travailler dans la mode ?
Pas vraiment, c’était plus une passion qu’une ambition. Quand, gamin, on me demandait ce que je voulais faire, je ne savais pas quoi répondre. D’ailleurs on ne me posait pas beaucoup la question. Je n’avais pas de repères et je faisais pas mal de conneries. Travailler de manière légale n’était pas ma priorité et en 2002, j’ai fait un détour par la case prison, jusqu’en 2006, à cause des combines dans lesquelles j’étais impliqué.
Comment as-tu fais, tu as laissé ta marque en gérance ?
Non car c’était moi le moteur de projet. Je bossais avec deux potes à l’époque mais ils n’avaient pas la même motivation et la même envie que moi. Quand c’est ton projet, tu es à fond dedans mais tu ne peux pas demander aux autres les mêmes sacrifices qu’à toi-même, c’est normal. Donc j’ai préféré mettre la marque en sommeil.
« Quand c’est ton projet, tu es à fond dedans mais tu ne peux pas demander aux autres les mêmes sacrifices qu’à toi-même. »
Qu’as-tu fais pendant ces quatre années pour garder le cap “mode” ?
J’ai pensé à mes modèles, je dessinais, je prenais des notes, j’observais les vêtements des autres détenus, les détails… Je regardais aussi beaucoup la télévision et lisais des magazines, car je voulais essayer de suivre les tendances et continuer à m’inspirer. Je ne voulais pas “prendre du retard” sous prétexte que j’étais derrière les barreaux.
Et à ta sortie, comment ça s’est passé ?
Quand je fais un truc, je m’y mets à fond donc je me suis dit que j’allais mettre la même énergie dans ma marque que dans mes conneries ! Mais, franchement, tout le monde pensait que j’allais replonger. Donc je ne me suis pas laissé le choix : je devais le faire sérieusement pour me sentir bien et prouver aux gens qu’ils avaient tort.
À ma sortie, je suis d’abord allé travailler au marché de Sarcelles où j’ai vendu des sabots pendant deux ans et, à côté, j’ai monté une société de dépannage qui existe toujours aujourd’hui. Ça m’a permis de faire des sous, légalement, et de relancer Yoxeone sérieusement en 2018 : acheter le local, les machines, les matières et embaucher mes premiers employés.
« Quand je fais un truc, je m’y mets à fond donc je me suis dit que j’allais mettre la même énergie dans ma marque que dans mes conneries ! »
Quelles ont été tes inspirations pour créer ta première collection, Rock’n’Rolla ?
Je voulais sortir une première collection qui ferait parler de moi et avec laquelle je pourrais me démarquer. Parce que quand des mecs de banlieue se lancent dans le mode, on se dit quoi ? « Ah, ils vont encore nous faire une marque de sweats à capuche et de baggys » et moi je ne voulais vraiment pas tomber dans ce cliché !
Mon objectif c’est de transmettre autre chose, de découvrir et d’être accepté dans d’autres milieux. C’est pour ça qu’en prison, j’ai essayé de ne pas écouter que du rap comme tout le monde, et de découvrir de nouvelles références comme Renaud ou Freddy Mercury.
Aussi, je suis souvent allé aux États-Unis et New-York m’a beaucoup inspiré pour ma collection. En France, il y a beaucoup de codes à respecter dans la mode : la sobriété, la simplicité, les belles matières, les coupes simples, la discrétion… Alors que là-bas, c’est tout à fait le contraire : le flashy, les gros logos… Ils n’ont pas de limite ! J’ai essayé de créer ma première collection à partir de ces deux influences.
Quel est ton métier aujourd’hui ?
Je suis Directeur Artistique de Yoxeone, c’est-à-dire que je conceptualise, je donne le fil conducteur, les inspirations et les directions. Je n’utilise pas les machines mais je suis là de A à Z pour accompagner mon équipe. On fait tout ensemble.
Parfois, on ne dessine même pas : on sort les matières, les zippes, on prend le patronage, on coupe et on imagine le modèle ensemble. Et si le modèle ne nous plaît pas, on recommence jusqu’à créer la pièce parfaite !
Un de mes moments préférés c’est quand les modèles sont terminés, qu’on les met sur les mannequins et qu’on est collectivement satisfaits. Et ensuite, c’est moi qui vais représenter la collection et véhiculer l’image de marque.
« Un de mes moments préférés c’est quand les modèles sont terminés, qu’on les met sur les mannequins et qu’on est collectivement satisfaits. »
Quelle est ta vision du travail ?
Avant, j’avais peur du regard des autres et je pensais que travailler de manière stable et légal, comme monsieur et madame Tout-le-Monde, ça allait abîmer mon image ou ma dignité. Mais j’ai complètement changé de point de vue quand mon père est venu me voir au parloir. Il m’a dit : « Tu n’es pas un homme car tu as peur de travailler. » C’était violent parce que c’était vrai. Grâce à lui, j’ai changé de point de vue.
Maintenant, je ressens une bonne pression et je suis fier de ce que je fais avec Yoxeone. Je fais de meilleurs choix, je n’ai plus peur du regard des autres, et je dors plus sereinement !
« Maintenant, je fais de meilleurs choix, je n’ai plus peur du regard des autres, et je dors plus sereinement ! »
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