The Da Vinci Curse : un livre inspirant pour ceux qui auraient "trop d'intérêts"
02 mars 2018
5min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
Publié à compte d’auteur par un ingénieur aux multiples talents, Leonardo Lospennato, “La malédiction de Vinci” (The Da Vinci Curse) a été écrit pour tous ceux qui se disent “multipotentiels”. Dans notre monde d’informations pléthoriques et de choix abondants, vouer sa vie à une seule activité ou expertise professionnelles, c’est devenu difficile. Nous sommes de plus en plus nombreux à refuser de faire ce choix. Mais le problème quand on a “trop de centres d’intérêts et de talents”, c’est qu’à vouloir faire trop de choses, on risque de finir par ne rien faire du tout.
Le monde professionnel appartient encore aux spécialistes et les généralistes aux multiples talents ont parfois du mal à s’y faire une place. Bons dans plusieurs disciplines, comme Léonard de Vinci en son temps, ils restent “maudits” dans notre société actuelle qui privilégie l’expertise unique.
“Le manque de constance est le compagnon obscur de tous ceux qui essayent de suivre trop de routes en même temps.” - Leonardo Lospennato, La malédiction de Vinci
Pourquoi Léonard de Vinci ?
Léonard de Vinci est souvent décrit comme l’archétype de “l’homme de la Renaissance”, un génie universel, à la fois observateur et expérimentateur, dont l’immense curiosité n’avait d’égale que sa puissance d’invention. On dit parfois qu’il est le “plus grand peintre de l’histoire”, mais aussi la personne la plus talentueuse dans le plus grand nombre de domaines. Peu lui importait les “domaines”, qui n’étaient d’ailleurs pas structurés comme maintenant : il développait sans cesse de nouvelles intersections et cherchait réponses et inspiration dans des corpus variés.
Il faut dire que Léonard de Vinci n’était pas le seul à avoir une curiosité infinie pour des choses diverses. Il faisait partie d’une très petite élite d’hommes de la Renaissance, qui avaient un accès privilégié aux livres et passaient leur temps à fréquenter d’autres génies. Tout cela, évidemment, stimule le cerveau. Léonard de Vinci a laissé des traces dans un grand nombre de disciplines : la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique, les sciences, l’ingénierie, les mathématiques, la géologie, la poésie, la littérature, la cartographie, etc. On a même dit de lui qu’il était le vrai père de la paléontologie, de même qu’on lui attribue la paternité de plusieurs inventions, comme l’hélicoptère.
Les siècles qui ont suivi la Renaissance ont progressivement mis fin à ce type d’éclectisme : on a créé des disciplines scientifiques et poussé plus loin la connaissance. De plus en plus, on a fait le choix collectif de l’hyper-spécialisation pour augmenter la somme de nos connaissances, tant et si bien qu’il n’y a plus eu de place pour les “hommes de la Renaissance”. Pourtant, créativité et intelligence se nourrissent de la rencontre de plusieurs disciplines. Si les “multipotentiels” n’ont jamais complètement disparu, ils réapparaissent aujourd’hui en force dans le monde professionnel : avec internet, il n’a jamais été plus facile d’apprendre toutes sortes de choses et de faire connaître son travail, hors de son domaine d’origine.
“Le temps est LA ressource rare par excellence. L’argent, ça va et ça vient. L’amour, ça va et ça vient. Mais le temps, lui, ne fait que s’en aller.”
Qu’est-ce que cette “malédiction de Vinci” ?
Les symptômes décrits par Lospennato sont familiers à beaucoup d’entre nous et sont de plus en plus communs : intérêts multiples et parfois contradictoires, des flambées d’enthousiasme qui faiblissent rapidement, et le sentiment que l’on n’accomplit jamais vraiment quoi que ce soit. En somme, c’est une malédiction qui donne les mêmes envies de Léonard de Vinci, les résultats en moins.
Les personnes qui ont des intérêts et talents multiples pensent souvent qu’elles ont besoin de “grandir” et de trouver leur “vocation”, une profession qu’elles pourront garder jusqu’à la fin de leur vie active. Comme ils ne “grandissent” pas, ils se pensent en situation d’échec permanent. L’expression “malédiction de Vinci”, inventée par Lospennato, fait référence au “multipotentialisme”, un concept popularisé par le célèbre TED talk d’Emily Wapnick (à voir absolument !).
Les “multipotentiels” (ou “maudits de Vinci”) sont des personnes qui adorent toutes sortes de choses, ont une sensibilité esthétique développée, ont de nombreux hobbies et ont parfois changé de carrière plusieurs fois au cours de leur vie professionnelle. Mais ce qui pourrait être une bénédiction (s’intéresser à beaucoup de choses) peut parfois être un problème. Plus le choix est large, plus on risque de rester paralysé, de perdre du temps, de rester superficiel. Le multipotentialisme peut se transformer en hyperactivité et trouble de déficit de l’attention. Il peut engendrer frustration et angoisse, voire provoquer des dépressions.
De plus, le monde professionnel récompense encore presque exclusivement les spécialistes. A l’époque de la Renaissance, si on possédait des connaissances multiples et variées, on était invité à la cour des princes. Aujourd’hui, ce sont surtout les personnes spécialisées qui peuvent espérer obtenir de la reconnaissance professionnelle. Il y a peu de place pour les “touche-à-tout”.
Apprendre à être soi
La frustration et l’insatisfaction que ressentent les multipotentiels est fondamentale car elle déclenche une quête de sens indispensable à la santé mentale. Les multipotentiels consacrent beaucoup d’énergie à la quête de sens en action, là où elle est la plus pertinente. Comme l’écrit Victor Frankl, un psychiatre qui a survécu à l’holocauste, “la question du sens de la vie doit être réinterprétée non pas comme une question, mais comme une réponse exprimée dans un domaine qui transcende le langage : l’action”. La réponse se trouve dans la vie elle-même : faire l’expérience de la beauté et de la bonté, trouver l’amour, travailler et agir, et lorsque l’on souffre, se mettre au défi de changer. Le sens ne peut pas se « trouver » dans la vie, il doit être donné à la vie ! C’est de cela qu’il s’agit lorsque l’on parle d’individuation. Etre multipotentiel, c’est un bel avantage car on s’efforce de trouver des réponses dans l’action.
Le chemin vers la connaissance de soi est le chemin de l’individuation—l’intégration d’un soi fragmenté et conflictuel au sein d’un ensemble stable et fonctionnel. C’est plus un processus de développement graduel qu’un simple événement. Il s’agit rarement d’une “révélation” soudaine. L’individuation prend forme plus facilement quand on dispose d’un large spectre de possibilités. C’est un processus complexe, car nous sommes souvent alourdis par l’histoire de nos parents. L’individuation ratée d’un parent se transmet à ses enfants, qui vont soit répéter la vie du parent, soit surcompenser dans la direction opposée.
Lors de la crise de la quarantaine, on traverse fréquemment une période de perte de sens. La souffrance liée à l’absence d’authenticité devient un moteur de transformation. Les multipotentiels en font généralement l’expérience plus tôt : leur quête de sens perpétuelle les encourage très tôt à en savoir plus sur eux-mêmes.
Faire de la “malédiction” un moteur de vie
- Faites la liste de vos passions, intérêts et activités, et cherchez l’intersection entre ce que voulez faire, ce que vous savez faire et ce qui vous permet de gagner de l’argent. C’est sur cette intersection qu’il faut concentrer le plus d’efforts. Bien sûr, il sera toujours possible d’exercer d’autres activités en “amateur”. Pour les multipotentiels, la notion d’équilibre est critique : il faut investir énergie et attention sur une chose, alors que vous voudriez les investir sur plusieurs choses à la fois. Tâchez de faire toujours moins de choses que ce que vous auriez spontanément envie de faire.
- Mettez en ordre vos priorités et apprenez à utiliser des critères pertinents : la priorité, c’est un subtil mélange entre l’urgence et l’importance. Malheureusement, nos vies modernes sont remplies d’urgences de faible importance. Donc ne travaillez pas avec un sens artificiel de l’urgence ; arrêtez de toujours chercher à épater les gens ; choisissez une voie et si possible, tenez-vous y ; et ne vous servez pas du temps que vous avez gagné pour travailler plus.
- Ne laissez pas le narcissisme se mettre en travers de votre chemin : le narcissisme est naturel, et même sain… jusqu’à un certain point. Il devient pathologique lorsqu’il vous conduit à alterner sans cesse entre arrogance et haine de soi. Acceptez la critique, débarrassez-vous de tout sens de supériorité et de tout sentiment de honte, ayez des objectifs modestes, abandonnez la quête de la perfection, arrêtez de vous plaindre à propos de tout, ayez des vraies relations avec des personnes authentiques…
Inspirez-vous davantage sur : Laetitia Vitaud
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