Rechercher un emploi avec le syndrome de la Tourette : le poids des préjugés

22 mai 2023

5min

Rechercher un emploi avec le syndrome de la Tourette : le poids des préjugés
auteur.e
Michele O'Brien

Freelance writer and podcast producer

La recherche d’emploi n’est pas de tout repos, mais pour les personnes souffrant du syndrome de la Tourette, la mission peut s’avérer un vrai parcours du combattant.

D’après Carly, créatrice de contenus derrière la chaîne YouTube et le compte TikTok Ticcing Together, le syndrome de la Tourette est injustement stigmatisé dans la société, et les répercussions sur la recherche d’emploi sont bien réelles. Elle témoigne et nous livre ses conseils pour se frayer un chemin sur le marché de l’emploi quand on souffre de ce trouble neurologique. Gérer ses tics pendant les entretiens, trouver le bon environnement de travail : l’œil avisé de Carly est une source d’inspiration et d’espoir pour d’autres personnes souffrant du syndrome de la Tourette. Elle est aussi une ressource pour les managers qui recrutent et leur permet de comprendre comment mieux adapter leurs process à ces candidats.

Une réalité qui peut faire mal

Comme le dit Carly sur sa chaîne YouTube, ses contenus visent à faire de la pédagogie et sensibiliser le grand public sur le quotidien des personnes souffrant du syndrome Gilles de la Tourette (SGT). Mais offline, ce n’est pas la même affaire. Carly dit « craindre de devoir en parler en entretien, par peur du regard que les gens continuent de poser sur le SGT ». L’idée qu’on s’en fait est souvent alimentée par les films, séries et autres productions humoristiques : « On se figure des personnes qui jurent de façon compulsive, sont belliqueuses, nerveuses, un peu ingérables, résume Carly. Quelle boîte – si tout ça était vrai – aurait envie d’embaucher ce genre de profil ? »

Si la discrimination fondée sur le handicap est interdite en France comme aux États-Unis et au Canada, où est née Carly, les préjugés ont la vie dure. En 2019, l’Equal Employment Opportunity Commission américaine a ainsi intenté un procès à une supérette du Missouri qui refusait d’embaucher une personne souffrant du SGT.

Le syndrome de la Tourette en bref

Le syndrome de la Tourette est un trouble neurologique caractérisé par des tics moteurs ou vocaux. Le diagnostic est souvent posé durant l’enfance ou l’adolescence et les tics peuvent évoluer au fil du temps. Le type et la gravité des tics varient d’une personne à l’autre. La coprolalie (le fait de proférer des termes orduriers de façon involontaire) représente tout au plus 20% des cas. Dans les tics moteurs les plus courants, on retrouve le fait de cligner des yeux ou de grimacer. Dans les tics vocaux, on retrouve les grognements et la répétition d’un mot ou d’une phrase.

La Haute autorité de santé estime entre 0,5 et 1 % le nombre de personnes touchées par le SGT en France et 45 000 enfants seraient concernés. Les personnes souffrant du SGT ont plus de risques de développer un TDAH, de l’anxiété, des problèmes comportementaux et des difficultés d’apprentissage. Certains enfants parviennent à se débarrasser de leurs tics en grandissant. Une étude menée auprès d’un groupe d’enfants a montré que presque la moitié n’avait plus de tic à l’âge de 18 ans. Mais les autres peuvent être confrontés à de véritables difficultés – notamment lorsqu’il s’agit de trouver un travail.

Le temps de l’observation

Pour Carly, la décision de dévoiler son SGT ou non dans un contexte professionnel dépend surtout de l’accueil qu’elle pense recevoir de la part de ses collègues et/ou de ses supérieurs. Si elle sent que la réaction risque de ne pas être positive, elle réprime ou redirige ses tics, tâchant provisoirement de retenir ses mouvements amples ou ses vocalisations les plus sonores jusqu’à ce qu’elle puisse les exprimer en toute sécurité.

Carly explique que réprimer ses tics provoque un « inconfort physique violent, bouillonnant, brûlant » – une pratique pas vraiment tenable ! En revanche, quand les gens font preuve de saine curiosité ou désirent authentiquement lui rendre la vie plus facile en procédant à des ajustements, Carly dit se sentir bien plus à l’aise pour parler du trouble dont elle souffre.

Se préparer à l’entretien

Le stress est l’un des principaux déclencheurs du syndrome de la Tourette. « Donc à moins d’avoir un pouvoir magique pour limiter le stress en entretien d’embauche, les tics risquent d’être encore plus de la partie. » S’il est assez inévitable avant et pendant un entretien, ce stress peut être démultiplié chez les personnes souffrant du SGT, soumises à la fois à l’enjeu de devoir impressionner la personne qui recrute ET à la peur d’avoir des tics pendant l’échange.

Pour lutter contre ça, Carly conseille avant tout la pleine conscience : « Les techniques de respiration m’aident beaucoup, ainsi qu’essayer de rester bien ancrée. » S’entraîner à répondre aux questions et préparer au maximum l’entretien peut aussi vous permettre de relâcher un peu la pression avant le jour J.

Si vous vous sentez suffisamment à l’aise pour parler en amont de vos tics à votre interlocuteur ou interlocutrice, cela peut aider à faire descendre un peu le stress au moment de l’entretien.

Trouver le bon environnement de travail

Carly a beau travailler au contact de la clientèle dans une librairie, elle estime que « la vente en magasin et autres métiers où la relation client est centrale ne sont pas forcément idéaux pour les personnes avec le syndrome de la Tourette, parce qu’on est sans cesse sous le regard des autres » et donc exposé aux questions, aux jugements ou aux commentaires des clients. Carly a eu de la « chance » de tomber sur une hiérarchie compréhensive et des clients qui ne lui posent pas (trop) de problèmes. Les confinements pendant la crise du Covid lui ont permis de mieux vivre le travail. Elle est passée en rythme hybride et a pu profiter des journées de télétravail, qu’elle a particulièrement appréciées.

Carly pense que le télétravail peut être une très bonne option pour les personnes souffrant comme elle du SGT. Chez soi, « on peut se concentrer, rediriger ses tics ou leur laisser libre cours dans un lieu plus sécurisé, où on n’a pas l’impression d’avoir des regards sur soi ».

Avant de postuler, renseignez-vous sur l’entreprise, fouillez, creusez pour en savoir plus sur sa culture, ses valeurs et ses initiatives en faveur de la diversité. Autant d’indicateurs pour vous permettre de jauger si cet environnement serait fait pour vous.

Pour finir, la présence d’un processus de recrutement inclusif est déterminante. Si certaines choses vous interpellent (et pas dans le bon sens) dès la phase de candidature, ce n’est peut-être pas la bonne entreprise pour vous. Mieux vaut vous en rendre compte à ce stade, pour ne pas investir trop de temps et d’énergie sur une mauvaise piste.

Ne vous imposez pas de limites

Il est fréquent que les personnes avec un SGT se rongent les sangs face au monde du travail. Mais Carly insiste : « Il n’y a rien que le syndrome de Tourette vous empêche de faire. » D’après la Tourette Association of America, « les personnes atteintes du SGT réussissent dans de nombreuses professions, que ce soit conduire des bus, réaliser des films ou encore enseigner. »

Carly cite l’exemple de Brad Cohen, professeur et conférencier salué par la critique, que les tics n’ont pas empêché de mener une carrière brillante dans l’enseignement et la défense de sa cause. Elle souligne également que la seule chose qui freine les personnes avec le syndrome de la Tourette, ce sont finalement les préjugés des autres sur leurs tics : « Si les gens ne portaient pas ce regard dessus, bien plus de portes s’ouvriraient à nous. »

Pour Carly, c’est maintenant aux entreprises de « *faire preuve d’ouverture d’esprit, ne pas écouter les préjugés. » C’est aussi le rôle des recruteurs, RH et managers de se renseigner en amont sur ce trouble, à la fois pour poser les bonnes questions au sujet des éventuels ajustements à opérer et s’assurer de créer un environnement accueillant. « Parce que finalement, une nouvelle recrue atteinte du SGT pourrait bien être le prochain employé du mois* », s’amuse Carly.

Traduit de l’anglais par Sophie Lecoq, édité par Gabrielle Predko
Photo de Jake Carty pour WTTJ

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