Confinement : les étudiants s'engagent. Témoignages
03 avr. 2020
7min
Journaliste
Comme tous les matins depuis le début du confinement, Laura se lève à 8h30. « Ni trop tôt, ni trop tard. » Elle regarde sa to-do list de la journée et les derniers mails de sa maître de stage. Sa charge de travail n’a pas vraiment diminué, mais elle peut s’organiser un peu plus librement. Vers 10h, elle sort de chez elle et sonne chez sa voisine. Catherine, 86 ans, lui ouvre sa porte pleine d’entrain. « Comment ça va ce matin ? Que voulez-vous que je vous ramène aujourd’hui ? » lui demande Laura, en veillant à garder une certaine distance de sécurité. Après avoir échangé quelques minutes sur la pluie et le beau temps - tradition qui renforce leur complicité de jour en jour -, Laura prend note de la liste de courses et file au supermarché. À son retour, elle dépose soigneusement le cabas dans la cuisine de Catherine, puis retourne chez elle pour avancer sur son travail.
Ça, c’est le nouveau quotidien de Laura. Mais elle n’est pas la seule ! Beaucoup d’étudiant(e)s ont en effet mis à profit leur temps pour s’engager et contribuer au bien commun. Certains, comme elle, le font seuls, d’autres préfèrent s’organiser en réseaux ou en associations. Quand il y en a qui apportent leur soutien aux plus vulnérables, d’autres prêtent main forte à ceux qui sont toujours au front, et quelques-uns cherchent même des solutions pour aider le pays à sortir plus rapidement de la crise. Une chose est sûre, les étudiants sont bel et bien décidés à apporter leur contribution bénévolement durant la crise. On est allé à leur rencontre. Témoignages.
Quand les plus jeunes viennent en aide aux plus âgés
À l’image de Laura, la plupart des étudiants qui s’engagent un peu partout en France le font pour pour permettre aux personnes âgées et/ou vulnérables de se protéger le mieux possible contre le virus. Ainsi, des réseaux d’étudiants se sont organisés pour s’occuper des courses de ces derniers, leur évitant ainsi de s’exposer aux risques extérieurs. C’est le cas par exemple de l’association Les Jeunes Landais dans le sud ouest de la France, qui a très vite regroupé de nombreux volontaires. Coloma, lycéenne, raconte comment elle s’est décidée à rejoindre le réseau : « J’ai entendu parler de cette action par d’anciens camarades de classe qui faisaient partie du réseau. Quand j’ai vu qu’ils recherchaient du monde pour aider, ça m’a tout de suite intéressée car j’ai envie de faire le maximum pour apporter mon aide. Je ne peux pas faire grand chose pour lutter contre l’épidémie, alors si je peux protéger les personnes plus vulnérables que moi en faisant les courses à leur place, je suis prête à le faire, évidemment. » En rendant ce service aux personnes âgées de son quartier, elle les protège contre le virus, certes, mais elle leur apporte aussi un peu de contact humain. Ce qui n’est pas négligeable. Comme beaucoup d’étudiants et de lycéens en ce moment, elle a plus de temps qu’avant, ou du moins l’annulation des cours en présentiel la rend plus disponible. « Je ne croule pas sous le travail pour les cours, ça me tenait à cœur d’utiliser ce temps là pour faire quelque chose d’utile. »
Plus disponibles pour s’engager auprès d’associations
C’est aussi le cas de Vincent, étudiant en école d’ingénieur à Nantes qui a décidé de s’engager avec les Restos du cœur à l’annonce du confinement. « Avec mes colocs, on a décidé de ne pas retourner chez nos parents mais de rester en ville pour essayer de servir comme on pouvait » Et c’est tant mieux puisque cela répond à un vrai besoin, comme l’explique Jacky, vice-président de l’association en Loire-Atlantique : « Nombreux de nos bénévoles habituels ont plus de 60 ans ou des enfants à garder, ce qui les oblige à rester à la maison. On s’est retrouvé avec beaucoup moins de bénévoles disponibles au début du confinement pour continuer les distributions de repas. Sur certains centres, alors qu’on comptait habituellement 18 bénévoles, il n’en restait plus que 3… » Les appels aux renforts ont été entendus, notamment par une population d’habitude peut difficilement se rendre disponible : « Normalement, les étudiants ont cours aux heures de préparation des paniers repas ou travaillent avec des contrats étudiants pour payer leurs factures. Avec le confinement, ils sont un peu plus disponibles, et on est heureux d’en avoir accueilli plusieurs parmi nous. Sur les 14 bénévoles présents aujourd’hui dans le centre où je travaille, on a 5 étudiants, ce qui est énorme par rapport à d’habitude ! »
« Sur certains centres, alors qu’on comptait habituellement 18 bénévoles, il n’en restait plus que 3. » - Jacky, vice-président des Restos du cœur Loire-Atlantique.
Vincent gère maintenant les stocks d’approvisionnement du centre de distribution des Restos du cœur, l’occasion de mobiliser des compétences qu’il avait déjà développées à l’Ecole Navale, avant d’embrasser ses études d’ingénieur. C’est une des raisons pour lesquelles il conçoit aussi cette expérience comme un enrichissement personnel « Je découvre que j’aime beaucoup la gestion de stock, mais aussi le contact avec les gens. L’associatif est un milieu qui m’attirait déjà avant, c’est d’autant plus vrai aujourd’hui. »
La frustration comme moteur
Lorsque le confinement a démarré, comme pour beaucoup d’élèves de sa promo de l’Ecole Polytechnique, Ulysse s’est senti frustré de ne pas mobiliser son énergie pour le bien commun « Je me sentais vraiment désemparé et inutile, alors dès que j’ai pu, j’ai sauté sur l’occasion de pouvoir m’engager. » Motivé “à bloc”, il a répondu à l’appel d’une ancienne étudiante qui demandait un renfort dans certaines tâches de l’Hôpital Henri Mondor, à Créteil. Après un court entretien, il a été engagé pour prêter main forte au service administratif de l’hôpital. Même si les tâches ne sont pas en lien direct avec ce qu’il apprend en cours, il est ravi de pouvoir aider ceux qui sont au front.
Ne manquant pas d’énergie, le futur ingénieur s’est par ailleurs engagé à accompagner à distance un élève de terminale dans le cadre du dispositif de Ma classe à la maison. « Je me débrouille pour trouver le temps de maintenir tous mes engagements : j’ai une quinzaine d’heures de cours concentrées sur quelques jours, ce qui me libère des journées pour me rendre à l’hôpital. Et les soirs, vers 21h, je donne des cours de soutien. » Un suivi pédagogique qui lui tient très à cœur car il est sensible aux inégalités qui s’exacerbent durant la crise « On ne se rend pas assez compte des inégalités qui existent. Tous les élèves n’ont pas des parents disposés à les aider tous les jours, ni des conditions de travail propices à l’apprentissage. L’élève que j’accompagne rêve de faire une classe prépa pour intégrer une grande école. Il est très motivé mais n’a pas la chance de bénéficier des conditions idéales pour atteindre ses objectifs, et ça lui coupe l’herbe sous le pied. J’espère rétablir une justice sociale en l’aidant comme je peux. » En plus de la satisfaction personnelle de répondre à un réel besoin, cette expérience lui a permis de se découvrir de nouvelles aptitudes : « Je n’avais jamais donné de cours avant, mais je dois avouer que j’aime voir que mon tutoré assimile ce que je lui explique d’un jour à l’autre, j’ai l’impression qu’on avance et j’aime bien cette sensation. »
« Tous les élèves n’ont pas des parents disposés à les aider tous les jours, ni des conditions de travail propices à l’apprentissage. » Ulysse, étudiant mobilisé dans l’accompagnement d’élèves
Les yeux tournés vers l’avenir (proche), certains cherchent des solutions
Il y a très peu de temps, Lucille fréquentait encore les salles de classes et les amphithéâtres. Diplômée d’HEC en 2019, elle est depuis en recherche d’emploi, pour enfin lancer sa carrière professionnelle après toutes ces années de formation. Ses candidatures étant actuellement à l’arrêt, elle a vite ressenti le besoin de se montrer utile. « Je n’avais plus rien à faire, alors je n’avais aucune excuse pour ne pas le faire. » Avec son amie de promo Camille, elles ont alors l’idée d’organiser - avec le soutien de leur ancienne école - un Hackathon (un événement regroupant un certain nombre de volontaires qui réfléchissent ensemble sur un problème pendant une très courte période, ndlr) sur la crise du coronavirus. Celui-ci aura lieu en ligne (la plateforme est actuellement en préparation) et son but sera de récolter des idées qui permettront de sortir le pays de la crise sanitaire et économique actuelle. « Il nous a semblé que c’était le moyen le plus simple et le plus rapide de “mobiliser des cerveaux” pour réfléchir aux problèmes provoqués par la crise du coronavirus ». Parmi les différents thèmes autour desquels seront lancées les réflexions, il y a notamment l’aide au personnel de santé, les soutiens au gouvernements, aux entreprises, et aux communautés (familles, système éducatif, etc.)
« On espère juste que l’initiative participera à l’effort commun et si une idée utile en ressort, on en sera déjà ravies. » - Lucille, organisatrice d’un Hackathon sur la crise liée au coronavirus
Des événements virtuels similaires ont d’ailleurs déjà eu lieu en Finlande ou encore en Allemagne, où près de 40 000 personnes se sont connectées pour réfléchir ensemble à des solutions. Sciences Po et l’Ecole Polytechnique ont d’ores et déjà rejoint le mouvement et proposé leur soutien aux deux jeunes diplômées. Mais pour Lucille, « Le but n’est pas de créer un événement entre grandes écoles parisiennes, mais de l’ouvrir à tout le monde. L’événement s’adresse à tous les étudiants et à toutes les personnes qui le souhaitent, quelque soit leur secteur professionnel. Le but est vraiment de parvenir à une confrontation d’idées et de compétences pour permettre de trouver les meilleures solutions à la crise ». Le Hackathon aura lieu du 10 au 12 avril, mais les inscriptions sont déjà ouvertes. « D’ici là, notre travail, en plus de gérer l’organisation, consiste à aller à la rencontre d’un maximum d’acteurs de la crise pour comprendre leurs besoins. Ce n’est qu’une fois qu’on aura identifié les besoins concrets que les participants pourront réfléchir aux solutions les plus efficaces. » Un projet ambitieux dans l’idée, mais pour lequel les deux amies ne se mettent pas la pression « On espère que ça portera ses fruits. C’est un projet réalisé en un temps record et nous ne sommes pas des professionnelles de ce genre d’événement, on le sait. On espère juste que l’initiative participera à l’effort commun et si une idée utile en ressort, on en sera déjà ravies. »
Ils s’engagent auprès des autres mais ont aussi parfois besoin de soutien. Les étudiants, souvent seuls dans leurs petits appartements, sont en effet les plus susceptibles de souffrir de l’isolement durant le confinement. À Nancy, la Fédélor (Fédération des associations étudiantes de Lorraine) a mis en place une hotline pour éviter au étudiants de faire face à la solitude et répondre à toute sollicitation. Une initiative qui, on l’espère, ne tardera pas à être imitée dans d’autres régions.
Alors que bien souvent, les étudiants sont réduits au statut d’”espoirs” et assimilés au futur d’une société, certains ne manquent pas les occasions d’exprimer leur volonté d’appartenir au présent et de participer à l’effort commun. Leurs engagements depuis le début du confinement n’en sont qu’une preuve de plus. Goog job !
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