Rencontre avec un agriculteur urbain qui cultive dans un parking souterrain
23 févr. 2022
6min
Photographe chez Welcome to the Jungle
Journaliste
Lorsqu’on vous parle d’agriculture, vous avez sûrement en tête le cliché de la campagne, avec des fermes traditionnelles et ses ouvriers qui travaillent toute la journée sur des tracteurs. Eh bien il va falloir oublier tout ça ! L’agriculture urbaine est venue repenser le secteur agricole, insufflant un vent nouveau sur les cultures. Jean-Noel Gertz fait partie de cette nouvelle famille d’agriculteurs citadins. Jeune trentenaire, il s’est reconverti dans la culture de champignons et d’endives, après un diplôme d’ingénieur thermicien. Dans les entrailles d’un parking souterrain du XVIIIème arrondissement de Paris, sa ferme urbaine, La Caverne s’est imposée comme la solution alternative à une agriculture traditionnelle. Rencontre avec cet entrepreneur agricole qui fait pousser des légumes en plein cœur de Paris.
Tu es agriculteur urbain, mais ça n’a pas été toujours le cas, peux-tu revenir sur ton parcours professionnel et ton début de carrière ?
Alors, je suis originaire de Strasbourg et j’ai une formation d’ingénieur thermicien. À la fin de mes études en 2012, je ne trouvais pas de travail. Suite à la crise de 2008, le marché de l’emploi était très contracté dans le secteur du bâtiment. Puis, j’avais envie de me lancer dans un nouveau projet, alors je me suis dit que c’était le bon moment pour me reconvertir. En cherchant ce qui me plaisait vraiment, j’ai fouillé du côté de l’agriculture urbaine. Ça m’a bien plu mais il me manquait des compétences donc j’ai dû me former. J’ai suivi une sorte de MBA Business et management dans un incubateur public. Ajouté à cette formation, mon background technique d’ingénieur thermicien m’a beaucoup servi puisqu’il m’a appris l’écoconception et la réhabilitation d’espaces urbains durables. Pour le reste, j’ai appris tout seul, je suis de nature autodidacte.
À Strasbourg, j’ai commencé à travailler le modèle de l’agriculture souterraine sous éclairage et j’ai monté la start-up Cycloponics. Je me suis installé dans une vieille poudrière construite par les Allemands en 1878 pour créer ma première ferme urbaine, Le Bunker Comestible. L’espace était assez petit mais l’idée a su séduire les Strasbourgeois et la ferme existe encore aujourd’hui. C’est comme ça que j’ai démarré mon métier d’agriculteur urbain !
Depuis, tu as créé la ferme urbaine La Caverne. Comment le projet a-t-il vu le jour ?
La Caverne est issue d’un appel à projets : Les Pariculteurs, lancé par la Mairie de Paris en 2016 pour développer l’agriculture urbaine. Comme j’étais le seul à proposer la transformation d’un parking de 9 000m2 à Porte de la Chapelle, à Paris, en une gigantesque ferme urbaine, j’ai remporté le concours avec succès. L’idée était atypique à l’époque. Sur place, j’ai rencontré Théophile Champagnat, mon futur associé qui m’a transmis tout son savoir-faire sur la culture de champignons. Le bailleur se plaignait alors des problèmes de sécurité qu’il y avait sur le site, dans un quartier en proie au trafic de stupéfiants. Plusieurs incendies avaient eu lieu entre ces murs et près de deux cent squatteurs vivaient encore dans le sous-sol lorsque nous nous sommes installés. Notre activité était une façon originale de redynamiser le lieu. Quant aux productions d’endives et de champignons, elles nous ont paru évidentes puisque ce sont les deux seules cultures hors-sol autorisées à la certification biologique en Europe.
Peux-tu nous expliquer concrètement en quoi consiste ton métier ?
Je suis simplement un agriculteur, en milieu urbain. Ce n’est pas un nouveau métier, mais je le fais dans un lieu atypique.
Dans notre ferme, nous cultivons des produits ultra frais qu’on propose en circuit court à tous les consommateurs du nord de Paris. Aujourd’hui, on travaille avec environ quatre-vingt clients, majoritairement des magasins et on participe au boom de l’épicerie bio parisienne. Nous sommes également membres de la coopérative Bio d’Île-de-France à travers laquelle on livre toutes les Biocoop de la région. Avec 42 autres producteurs en société coopérative, nous avons également ouvert notre magasin au 168 boulevard de Charonne.
Y-a-t-il un parcours spécifique pour devenir agriculteur urbain ?
Ce qui est principalement recherché, ce sont les profils avec une formation d’ingénieur agronome, car ce sont eux qui vont s’occuper de la production. Mon parcours d’ingénieur thermicien est également en pleine cohérence avec le métier que j’exerce. Mais il n’y a pas vraiment de “formation type”. Le tout, c’est d’avoir de bonnes connaissances en agriculture. Hormis le lieu, le reste est assez semblable au métier d’agriculteur : nous aussi nous cultivons des légumes, vendons à des épiciers et transportons nos produits. Certes, la chaîne de valeurs est un peu modifiée, mais la structure générale est identique à celle d’une exploitation agricole traditionnelle.
Et si l’on veut démarrer son activité, comme dans toute entreprise, il faut être persévérant et être prêt à travailler sans compter. Il faut aussi être malin, trouver le modèle le plus rentable, savoir structurer socialement son entreprise et écouter les gens.
Cultiver des légumes bio dans un parking peut surprendre. Cela ne représente-t-il pas des risques pour la sûreté et la qualité des aliments ?
À notre arrivée, le parking était particulièrement insalubre. Mais on a sorti les voitures, on l’a nettoyé de fond en comble et supprimé toutes les sources de pollution. Nous sommes très sensibles à l’environnement dans lequel nous travaillons, il était donc primordial que ça soit propre ! Aujourd’hui, les salles de culture sont lavées à grandes eau toutes les semaines, je pense qu’on peut presque y manger par terre ! (rires) Et pour les légumes, nous utilisons un substrat très propre. Car il faut savoir que les champignons captent énormément de ce qu’il y a dans leur sol, alors pour éviter tout risque, nous utilisons de la paille biologique. Nos produits sont aussi analysés pour qu’il n’y ait aucun résidu de quoi que ce soit.
L’agriculture urbaine est-elle plus facile que l’agriculture traditionnelle ?
Honnêtement, notre métier est bien moins difficile qu’à la campagne. Un agriculteur “classique” va généralement passer 25% de son temps à livrer ses produits. Nous, on ne le fait plus. Ce sont nos livreurs qui viennent directement les chercher. Cela nous soulage énormément car les dépenses énergétiques et financières sont plus faibles. On livre aussi directement aux épiciers, on arrive ainsi à récupérer de la marge et de la valeur sur notre travail, ce qui est quand même un gros avantage financier par rapport à une exploitation traditionnelle.
Qu’est-ce que tu aimes le plus dans ton métier ?
J’aime surtout sa polyvalence. En travaillant avec du vivant, notre métier consiste à en connaître beaucoup d’autres. Il faut se former à la gestion, à l’agroalimentaire, au management, mais aussi aux ressources humaines. Après il y a des connaissances à avoir en business, il faut savoir maîtriser la logistique, s’occuper de la maintenance du site, du développement technique, faire de la comm’, vendre nos produits, gérer le marketing, les relations presse. Vous l’aurez compris, ça demande un éventail de compétences très variées.
Et qu’est-ce qui te plaît moins ?
Difficile à dire… Je suis d’abord très content d’avoir un travail que j’aime. Mais si je dois chercher la petite bête, je dirais que je ne suis pas très fan de la gestion des contentieux, des mauvais clients, des impayés, bref, de tout ce qui est source de crise et de stress. Mais globalement, je m’éclate dans ce que je fais et j’ai plutôt la pêche même s’il y a beaucoup de travail ! J’ai la chance de pouvoir me vider la tête très facilement.
Quels sont les avantages écologiques et éthiques par rapport à une agriculture “classique” ?
Nous avons la chance de pouvoir nous passer des gros distributeurs qui ont détruit le modèle agricole traditionnel français. On essaye d’être décarboné, on recycle des structures déjà existantes, donc on n’a pas besoin de bétonner les terres agricoles pour se faire un entrepôt. De ce point de vue-là, c’est quand même hyper écolo. On distribue à vélo, les gens peuvent venir chercher leurs produits chez nous, la fraîcheur en est d’ailleurs améliorée. Autre avantage : on a zéro perte, on ne jette plus rien à la poubelle, ce sont Les Restos du cœur, toutes les épiceries sociales du coin ou les gens du quartier qui récupèrent les invendus.
En plus de l’aspect écologique, on arrive à construire avec un capital d’investissement bien plus faible que pour une exploitation traditionnelle car on a déjà une structure avec ce parking : c’est tout ça de moins à fabriquer. On fait du bio, du local, on essaye d’être socialement responsables, de ne pas dépenser d’énergie et de recycler un max tous les outils qu’on utilise et d’en consommer le moins possible. Tout le monde est gagnant.
Quelles sont tes ambitions pour le futur ?
À court terme, on voudrait développer la première exploitation de champignons bio de Paris, alors que ça a disparu il y a une centaine d’années. Une fois qu’on aura fait ça, on ouvrira d’autres sites en France. Le défi est de réussir à se financer pour développer très rapidement notre concept au niveau national.
Penses-tu que c’est un métier qui va se développer ou que c’est seulement un effet de mode ?
On va se développer, c’est certain. Mais est-ce que ce métier va se développer, je ne saurais le dire. Je pense que dans l’agriculture urbaine, tous les business models ne sont pas viables, il y a un grand tri encore à faire avant de voir ce qui va émerger.
Mais à en croire la croissance du marché bio, l’état actuel désastreux de l’agriculture française et au regard de l’absence totale de concurrents sur le marché, je suis serein pour la suite. Il y avait 4 000 endiviers contre 500 aujourd’hui, 300 champignonnistes contre 30 aujourd’hui. On connaît une catastrophe généralisée dûe aux méfaits de l’agro-industrie et de l’agriculture industrielle qui détruisent tout sur leur passage. De ce fait ,il y a beaucoup de possibilités pour le futur. Le modèle agricole change et il faut savoir s’adapter.
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