Le retour à la terre de Madhi et Gwendoline, reconvertis dans l'agriculture
21 févr. 2020
6min
Photographe chez Welcome to the Jungle
Journaliste - Welcome to the Jungle
Pour sa 57e édition, le Salon International de l’Agriculture qui se déroule du 22 février au 1 mars à Paris, a choisi « L’agriculture vous tend les bras ! » comme thématique. Entendu comme un cri du cœur, ce slogan montre l’importance pour le monde agricole de tisser de nouveaux liens et de donner envie aux jeunes en quête de nature de se lancer dans l’aventure. Et si tout plaquer pour reprendre une exploitation et devenir paysans peut sembler un pari fou pour la plupart des citadins, certains ont déjà passé le cap. Encore ingénieur et directrice marketing à Paris il y a trois ans, Mahdi et Gwendoline nous ont ouvert les portes de leur ferme dans le Calvados.
« Il faut planter un piquet tous les huit carreaux », Gwendoline et Mahdi expliquent à Dana, biologiste en Allemagne et Romain, qui travaille dans la logistique en région parisienne, comment poser une bâche sur le sol avant de pouvoir le cultiver. Une masse à la main, bottes vissées aux pieds, les deux apprentis venus passer quelques semaines à la Closerie, une exploitation maraîchère située à une vingtaine de kilomètres de Bayeux en Normandie, suivent chaque instruction à la lettre. Comme beaucoup, les deux trentenaires se posent des questions sur leur avenir professionnel et espèrent bientôt quitter une vie de bureau qu’ils aiment qualifier d’« hors-sol ».
Reposer les pieds sur terre
Mahdi et Gwendoline eux ont sauté le pas en 2017. Lui était ingénieur dans l’industrie et elle, responsable marketing à Paris. « Avant je commandais des machines qui servaient à fabriquer des bouteilles en plastique, j’ai même bossé un temps pour les centrales nucléaires, se souvient Mahdi. Gwendoline s’occupait de la partie marketing commercial de la société dans laquelle elle bossait avec toujours cette injonction à augmenter les ventes, d’encourager plus de consommation… Alors qu’à la maison on avait déjà entrepris une démarche de décroissance. » En 2016, ils ne sont plus du tout en phase avec leur quotidien et, sur un coup de tête, ils lâchent leurs boulots respectifs. En rupture avec le mode de vie urbain qui encourage la surconsommation et l’hyperconnexion, ils voyagent un an sans avoir encore réfléchi à la suite. Les rencontres aidant, ils décident finalement de se lancer dans l’agriculture.
« Avant je commandais des machines qui servaient à fabriquer des bouteilles en plastique, j’ai même bossé un temps pour les centrales nucléaires. » Mahdi
Et voilà qu’ils se lancent dans une aventure aux parfums d’herbe coupée, de chant de coq aux aurores, de contact direct avec la terre… perçue dans l’inconscient collectif comme l’essence d’une vie plus authentique, loin du stress et des agressions de la ville. D’ailleurs à l’heure où le réchauffement climatique s’accélère, les citadins sont de plus en plus à nombreux à déménager à la campagne. Le phénomène n’est pas nouveau - dans les années 60 et 70, des citadins quittaient les métropoles pour le Larzac ou le Lubéron et on les appelait déjà les « néoruraux » - mais il prend de l’ampleur. D’après une étude BVA de 2017 sur le rapport des Français à la nature, 65% des personnes interrogées déclarent qu’elles souhaiteraient vivre à la campagne si elles avaient le choix. Mais parfois, à la découverte de la nature, c’est le grand frisson.
Retour sur les bancs de l’école
Gwendoline et Mahdi ne sont pas de simples rêveurs de nature, ils savent déjà qu’en tant qu’agriculteurs en bio ils travailleront beaucoup, seront dépendants de la météo, prendront peu de congés et ne gagneront pas ou peu d’argent. Ils se sont donné trois ans pour gagner un Smic chacun. Alors pour éviter les déconvenues, ils décident de se remettre dans les études. Ce sera un bac « production horticoles » pour lui et un brevet professionnel « responsable d’exploitations agricoles » pour elle. « Aujourd’hui, on s’est réparti les responsabilités sur la ferme, détaille Gwendoline. Moi, ce qui me tient à coeur c’est le maraîchage et Mahdi, l’élevage et l’arboriculture. Après, comme lui est ingénieur de formation, il s’est aussi occupé de refaire les canalisations et l’électricité de la ferme. »
Les parcelles de l’exploitation achetée en 2017 ne sont pas grandes, mais tout y est optimisé. En hiver, ils cultivent essentiellement choux, poireaux, pommes de terre, carottes et navets. « Là on repart sur une nouvelle saison, explique la jeune femme. Aujourd’hui, par exemple, je vais planter des aubergines, des poivrons, des petits pois… Et dans quelques semaines, j’espère pouvoir lancer les premières tomates. » Pour mettre toutes les chances de son côté, elle a même décidé de suivre le calendrier lunaire. « Certains pensent que c’est de la sorcellerie quand je dis que la plantation doit se faire tel jour et surtout pas un autre, s’amuse-t-elle. La semaine dernière par exemple, je ne pouvais pas toucher le sol parce qu’on était dans un noeud lunaire. Mais ça marche ! »
Le métier d’agriculteur, un challenge quotidien
Dans le pré qui jouxte le bâtiment principal de la ferme, les quarante poules nettoient le sol des petits nuisibles. Mais c’est l’heure du repas et celles qui ne sont pas occupées à pondre au chaud dans le poulailler savent qu’elles vont bientôt déguster un savoureux mélange de grains bio évidemment.
« Au fond, on a choisi ce métier parce qu’on savait qu’entre les cultures, les arbres, les animaux ce serait un challenge quotidien, relève Mahdi qui récupère au passage quelques oeufs, sans déranger ces dames. Ça nous stimule en permanence surtout si on espère un jour devenir autosuffisant ! » Toujours à ses côtés, Gwendoline ajoute qu’avant elle avait « tendance à s’ennuyer assez rapidement, alors comme tous les jours sont différents ici, je n’ai pas le temps de tourner en rond et le soir je sais pourquoi je suis épuisée. » Et ça ne risque pas de changer. Création d’espaces de coworking, mise en place d’un marché hebdomadaire à la ferme, organisation de concerts, stages accueil d’urbains qui hésitent à se reconvertir… les projets du couple sont toujours plus nombreux. Le dernier en date : présenter une liste alternative à l’élection municipale.
« Au fond, on a choisi ce métier parce qu’on savait qu’entre les cultures, les arbres, les animaux ce serait un challenge quotidien » Mahdi
« Le maire actuel nous a étiqueté “ écolos-bobos “, plaisante Mahdi. Mais ça nous va ! Ce que nous voulons, c’est mettre l’accent sur le lien social dans la commune. On voudrait aussi désenclaver un peu le village, en mettant en place une navette. Après, il y a des choses un peu plus techniques comme l’assainissement, la protection du patrimoine culturel et historique de la commune. Sans faire la police, on voudrait faire réfléchir les riverains. »
Des déconvenues mais aussi de bonnes surprises
Dans cette quête de nature, tout n’a pas été simple pour le jeune couple. D’abord, la lourdeur administrative. « Avant de commencer on s’était dit qu’on arriverait facilement à gérer la paperasse, parce que c’était ce qu’on faisait avant, détaille Gwendoline. Surtout qu’on ne pouvait pas commencer l’activité si tous les papiers n’étaient pas réglés. Nous avons finalement commencé à planter nos légumes en juillet 2018, alors qu’on pensait faire une année complète. »
Ensuite, la charge mentale. Il peut arriver que les plants ne fonctionnent pas, que les tempêtes s’enchaînent et que les mulots dévorent la récolte. Tout peut potentiellement disparaître du jour au lendemain. « On y pense tout le temps, rappelle l’agricultrice de 37 ans. Alors, le soir, quand on a fini notre journée, on a du mal à couper et à dissocier le perso du pro. Typiquement dans la salle à manger, nous avons installé le tableau de tout ce qu’on a faire dans la journée et dans la semaine. J’aime bien comparer ce que l’on fait avec l’hôpital. Le chirurgien, il opère et bien nous c’est comme-si on devait construire l’hôpital, y installer l’électricité et l’eau et ensuite opérer. »
Mais dans le lot, il y a aussi eu des bonnes surprises. S’ils ont un temps appréhendé l’isolement et le fait de ne pas s’intégrer au milieu agricole, ils reconnaissent aujourd’hui avoir plus d’amis qu’en ville. « On ne va pas seulement dîner ou boire des coups avec nos proches, mais on construit des choses ensemble, explique Mahdi. De ce fait, les relations sont plus profondes. Aussi, comme la vie à la campagne n’est pas facile, les personnes qui vivent ici sont plus solidaires. Cet été, nous voulions faire un marché paysan et bien, deux jours avant l’événement, plusieurs voisins sont venus chez nous avec des débroussailleuses. » Deux ans après leur installation, Gwendoline et Mahdi ne regrettent absolument pas, même s’il leur arrive de se rassurer en se disant qu’ils ont toujours la possibilité de revenir à leur vie précédente. Mais au fond, ils savent. Ils savent que le retour en arrière n’arrivera pas. Parce qu’agriculteur ce n’est pas une simple vocation, c’est un choix de vie.
La Closerie, Les Hauts Vents, 743 route de Caen, 14240 Cormolain. contact@lacloserie.net
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