Alternance : nos 5 conseils pour gérer le rythme intense et la pression
13 avr. 2022
9min
SP
Journaliste chez Welcome to the Jungle
L’alternance, qui combine école et apprentissage en entreprise, n’a jamais eu aussi bonne réputation pour se préparer à entrer dans le monde du travail. Pourtant, ce double cursus d’un ou deux ans selon le programme choisi peut s’avérer un casse-tête pour bon nombre d’étudiants qui s’y frottent. Entre difficultés à jongler entre les attentes de l’entreprise et de l’école, une charge de travail importante et un rythme difficile à tenir sur le long terme, beaucoup d’étudiants s’épuisent avant la fin de leur contrat. En 2016, presque 30% des étudiants en apprentissage avaient arrêté prématurément, selon une étude de la Dares.
Mais alors, comment savoir quand la situation est devenue intenable ? Lisa et Julie (1), toutes deux alternantes, nous racontent sans langue de bois, les avantages et les limites de ce contrat, dont les chiffres atteignent un record en 2021 avec 718 000 nouveaux contrats d’alternances signés, soit une augmentation de 37% en un an. De son côté, Saïd Mouri, psychologue du travail et enseignant à la Sorbonne Nouvelle, analyse la situation et nous livre ses conseils pour vivre ses premiers pas dans le monde du travail plus sereinement.
Une pression avant même de débuter
L’arrivée en entreprise pour un étudiant est déroutante. « L’étudiant passe d’un système scolaire qu’il connaît depuis longtemps, à celui de l’entreprise qui est tout à fait nouveau. Les méthodes de travail, les techniques et les stratégies ne sont pas du tout les mêmes, souligne Saïd Mouri. Dans le supérieur, on a beau essayer de préparer les étudiants à l’entreprise, entre la théorie et ce qu’ils vont retrouver dans le concret, ça n’est pas la même chose. » Pas étonnant, dans ces conditions, que l’idée même de s’insérer dans un monde inconnu puisse s’avérer être une source de stress pour ces étudiants.
C’est ce qu’explique Julie, après avoir passé deux ans en alternance dans une entreprise des médias : « On dit trop aux jeunes qu’il n’y a pas de boulot, qu’ils vont galérer. Le travail est très tôt perçu comme quelque chose de négatif. » Mais avant même d’en arriver là, les étudiants grandissent dans un système qui fonctionne sur la base de choix et de pressions : « Est-ce normal qu’à 17 ans, les jeunes soient obligés de faire un choix sur Parcoursup qui va conditionner leur futur professionnel ? », poursuit-elle. Plus de trois ans après sa mise en place, Parcoursup continue de susciter la critique. Anxiogène, vecteur d’inégalités… la plateforme ne cesse de faire parler.
La plupart des étudiants ont d’ailleurs du mal à faire des choix en ce qui concerne leur avenir professionnel et à se projeter dans une vie active. « C’est un âge où les choix sont nombreux et que ce soit pour les études ou pour les projets d’avenir, les envies changent souvent. On se cherche, on tâte tous les terrains parfois en se trouvant un job d’appoint ou en accumulant de petites expériences en stage. Pourtant, rencontrer une entreprise pour le projet d’avenir qui nous convient est une tout autre affaire, c’est un travail différent et il faut s’y préparer », argue le psychologue. Les écoles et les universités n’aident pas les jeunes à bien définir leur projet professionnel et la plupart des étudiants pensent que prendre du temps pour faire son CV et sa lettre de motivation suffit à se préparer à entrer dans le monde professionnel. « On oublie toute la préparation et l’accompagnement méthodologique nécessaire aux étudiants pour les aider à trouver leur chemin, affirme le psychologue. Certains sont par exemple totalement secoués devant la phrase “parlez-moi de vous”. » En d’autres mots, les étudiants sont conscients des enjeux liés à l’alternance, mais ils ne sont pas toujours au clair sur leurs envies et cela a tendance à les stresser.
Aussi, concernant l’alternance, beaucoup s’interrogent sur le choix laissé aux étudiants lorsqu’il s’agit de poursuivre leurs études supérieures. D’après une étude Ipsos de mai 2021, près de 72% des étudiants se déclarent en difficultés financières et ne peuvent donc pas se permettre de payer des écoles, sans toucher un revenu. « Mes parents ne peuvent pas m’aider financièrement, je vis seule, j’ai un prêt étudiant donc indépendamment du côté professionnel, j’avais besoin de cette alternance », explique Lisa, étudiante en alternance en marketing qui n’a malheureusement pas commencé son contrat de la meilleure des façons : « On m’avait promis un contrat de professionnalisation, donc avec un revenu plus élevé qui me permettait d’être plus à l’aise. Mais ils ont finalement changé leurs plans. Et avec cette promesse, j’avais arrêté mes autres recherches d’alternances… »
Sous pression pendant la période de contrat d’alternance
Des attentes trop élevées de la part des entreprises
Outre les questionnements du futur alternant avant sa prise de poste, l’entreprise avec laquelle il s’engage peut porter une lourde responsabilité quant à la pression que peut subir ce dernier. Tout d’abord, dans la façon de recruter. « Lorsqu’elles recrutent, les entreprises mettent les mêmes critères aux alternants qu’aux professionnels expérimentés. C’est une grosse erreur », affirme Saïd Mouri. Un problème de fond pour le psychologue qui estime qu’il s’agit là d’« une faute d’appréciation puisque le travail de recrutement consiste à repérer le potentiel de l’alternant, ses capacités à apprendre, à évoluer. Les entreprises qui fonctionnent ainsi évoluent avec le prisme opposé, avec un microscope à défauts, pour chercher l’étudiant déjà “presque employable”. » Avec cette méthode, l’alternant se retrouve généralement à supporter le poids d’un travail que l’on donnerait à un employé expérimenté. « C’est à ce moment qu’il y a un décalage qui se crée entre une entreprise qui cherche à mettre en avant ses intérêts et un alternant qui fait ses premiers pas, et qui peut sentir la pression s’installer », insiste le psychologue.
Une double vie difficile à tenir sur le long terme
Même lorsque l’entreprise ne cherche pas un salarié expérimenté, la première difficulté pour un alternant réside dans le fait de jongler entre le travail à produire dans le cadre de ses études, et celui relatif à son entreprise. C’est un double enjeu auquel sont confrontés ces étudiants, qui doivent d’une part réussir leur année et obtenir leur diplôme, et d’autre part réussir leur entrée du bon pied dans le monde professionnel. Dans toutes les situations, l’alternance représente une charge de travail élevée, avec peu de repos possible. Cinq semaines de vacances contre plusieurs mois pour les jeunes en cursus initial, weekends chargés voire inexistants, difficultés à s’engager dans une vie sociale étudiante, les alternants manquent d’un second souffle. « Entre les cours, l’alternance, la certification, j’ai tout le temps la tête sous l’eau et je n’arrive pas à en sortir. Je perds un peu la notion de ce qu’il se passe. J’ai compris qu’il y avait un problème le jour où j’ai fait la recherche sur Google “Comment caler 37h dans une journée de 24h” » raconte Lisa.
Pour certains, cette situation ressemble à un cercle dont ils n’arrivent pas à sortir. Pourtant, sur le papier, les conditions sont supposées être claires. La mise en place de l’alternance se fait à trois et bien souvent, lorsqu’un décalage se crée, c’est l’étudiant qui en subit les conséquences. « J’ai choisi de sacrifier mes cours et mon diplôme, parce qu’on dit souvent que c’est l’expérience qui vaut le plus, surtout lorsqu’on est dans mon domaine d’activité », confie Lisa. Inconsciemment, il y a une pression qui est exercée sur ces jeunes par rapport à leur première expérience dans leur domaine. Ce poids les pousse à prioriser leur travail en entreprise avec la volonté “de bien se faire voir”. Une vision que partage Julie : « Je me suis plus impliquée dans mon travail, car c’était concret, je voyais le résultat de ce que je faisais. Les enjeux ressemblaient plus à la réalité de ce que j’allais retrouver par la suite. »
Un après contrat tout aussi anxiogène
Enfin, autre source de stress pour les jeunes qui travaillent en entreprise : la vie post-alternance. Après avoir eu la tête sous l’eau pendant un an ou deux, certains accusent le coup physiquement et psychologiquement à la fin de leur contrat. Une situation que les étudiants ne voient pas toujours venir car ils n’y étaient pas ou peu préparés dans leur cursus scolaire. « En finissant mon alternance, j’ai eu comme un contrecoup, comme si j’étais arrivée sur le marché du travail en étant déjà fatiguée », se souvient Julie.
Monopolisés par leur charge de travail, la plupart des alternants sont une majorité à n’avoir pas pu sérieusement commencer leur recherche d’emploi, et se retrouvent plusieurs mois sans rien. Parce que contrairement à ce que l’on fait croire à ces jeunes, être embauché dans l’entreprise où l’on fait son alternance, n’est pas la règle et malheureusement, les structures d’accueil attendent parfois trop longtemps pour annoncer à ces étudiants que leur contrat ne débouchera pas sur un CDI..
Dans une étude datant de 2020, 79% des jeunes se disaient angoissés par leur insertion sur le marché de l’emploi. La fin d’un contrat d’alternance peut aussi être révélatrice d’une absence de sens pour des étudiants qui, après avoir eu un objectif à court terme toute leur vie, se retrouvent sans rien. « J’avais l’impression d’être dans un tunnel, à bosser… tunnel qui d’ailleurs était rassurant, confie Julie. Mais à la sortie on peut ressentir un grand vide ou ne pas savoir répondre à la question “mais maintenant où je vais ?”. »
5 conseils pour vous aider à gérer toutes les étapes de l’alternance
1. Prenez le temps de vous connaître
Pour définir son projet professionnel et s’y épanouir pleinement, vous devez absolument vous connaître. « C’est essentiel de savoir avant même de postuler, quels sont mes points forts, ceux que je dois améliorer mais aussi quelles sont mes limites », assure le psychologue du travail. Savoir ce dont vous avez besoin pour affronter le monde du travail peut vous aider à alléger la pression. Pour cela, vous pouvez essayer par exemple de répondre à la question “parlez moi de vous” qui fait défaut à la plupart des candidats lors d’un entretien d’embauche. En définissant vos valeurs, vos envies et vos limites, vous pourrez plus aisément écarter les contrats d’alternance qui ne vous conviendraient pas. Aussi, une fois arrivé dans l’entreprise, vous pourrez être plus lucide pour rapidement faire part de vos potentielles inquiétudes.
2. Établir un programme clair
Pour éviter une surcharge de travail qui pourrait vous conduire à ressentir un poids ou une pression, Saïd Mouri recommande d’établir un plan de progression avec votre tuteur dans votre entreprise. « Cette stratégie permet de définir en amont quelles sont vos tâches à effectuer et à anticiper leur évolution. » Ainsi, vous pouvez éviter tout ce qui déborde sur votre temps scolaire. Ce n’est pas tout : cette planification peut également éviter « toute notion de rentabilité à 100% et vous permet de vous recentrer sur ce principe d’apprentissage ». De cette façon, votre évolution en termes de compétences sera mieux suivie par votre formateur ou votre tuteur, et cela vous aidera à gagner en autonomie.
3. Écoutez-vous ! Observez-vous !
Lorsque l’on est sous l’eau, on a tendance à ne pas se rendre compte qu’il y a un souci. Face à ce problème, il faut être particulièrement attentif à toute une série de signaux, qui sont là pour vous alerter. « Lorsque l’alternant n’arrive plus à remplir ses objectifs, alors qu’il y arrivait auparavant, c’est qu’il y a une surcharge quelque part. Cela peut venir du travail en lui-même ou parce qu’il n’arrive plus à gérer la pression », alerte le spécialiste. Le premier conseil prend une importance particulière car c’est dans ces moments où vous connaître et avoir délimité vos limites est primordial. Vous devez porter une attention particulière à des signaux physiques : « La fatigue, le stress, le manque de confiance, le retrait de la vie sociale… ce sont des indicateurs qui doivent vous alerter. »
4. Partagez ! Osez parler !
Lorsque vous vous rendez compte que ça ne va pas, que vous avez pu déceler une fatigue psychologique et physique anormale, il faut en parler ! « Votre premier contact doit être votre tuteur en entreprise, conseille Saïd Mouri. Lorsque ce n’est pas possible parce que les relations sont tendues avec cette personne, tournez-vous vers des collègues de confiance ou aux services RH, qui pourront comprendre vos problématiques et apporter une solution. » Aussi, votre entourage peut être un soutien important lorsque rien ne va. Généralement, il suffit de se confier, de prendre du recul et d’être dans le dialogue pour trouver des solutions concrètes. Et si vous n’arrivez pas à débloquer la situation, vous pouvez également vous tourner vers un professionnel de l’écoute qui n’hésitera pas à vous donner un point de vue neutre.
5. Préparez l’après !
Entre le travail d’école et celui que l’on abat en entreprise, beaucoup d’alternants oublient de prendre soin d’eux et de penser à l’après. « Si vous ne prenez pas soin de vous pendant ces années particulières, vous allez accumuler de la fatigue et ces effets pourraient apparaître après la fin de votre contrat, comme une sorte de contrecoup physique, avertit le psychologue. Pour éviter cet écueil, vous pouvez solliciter l’avis de votre tuteur, comme un retour qui vous aidera à faire le point sur vos compétences et de jauger vos efforts. Ça vous empêchera de tomber dans le cercle du toujours plus, jusqu’à l’épuisement. » Attention, ne pensez pas que vous serez forcément intégré dans l’entreprise à la fin de votre contrat : « Dans la mesure où rien n’est acté sur votre contrat, ne vous focalisez pas que sur cette piste. Et élargissez votre horizon », conclut notre expert. En prévoyant l’après, vous vous assurez de ne pas être déçu et sans projet ou opportunités.
Une alternance est une belle opportunité pour vous de vous professionnaliser et d’acquérir de nombreuses compétences dans des conditions réelles. Cependant, attention à ne pas vous négliger et à savoir dire stop quand vos limites ont été atteintes !
(1) Les prénoms ont été modifiés
Édité par Romane Ganneval
Photographie par Thomas Decamps
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