Du bizutage au harcèlement : ils racontent comment leur stage a viré au cauchemar
19 déc. 2023
7min
Le stage, première expérience inoubliable du monde du travail… qui peut parfois tourner au vinaigre ! Entre les managers toxiques adeptes du harcèlement moral, ceux qui considèrent les stagiaires comme des préposés au café, ou encore ceux qui brisent les frontières entre vie privée et vie perso, tout n’est pas forcément rose pour ces jeunes recrues fraîchement débarquées dans le monde du travail. Clément, Camille, Clara, Annabelle et Élodie ont accepté de témoigner.
Clément, 30 ans : « Je me suis dit que j’allais intégrer un milieu professionnel violent »
Pendant mes études, j’ai fait un stage de trois jours sur le tournage d’une vidéo pour une grande marque de voiture. Mon rôle était celui de deuxième assistant chef opérateur, ce qui consistait à déplacer des caisses de matériel et installer des câbles. En clair, j’étais une petite main. Ce n’était pas un poste gratifiant, mais il était en revanche indispensable. Au cours du dîner collectif qui avait suivi la première journée de tournage, j’ai dû me servir en dernier parce que je devais d’abord finir mon travail et tout ranger. J’étais sur le point de piocher dans la nourriture quand le chef électricien est arrivé, m’a doublé, m’a pris la cuillère des mains et a terminé le plateau devant moi. Il m’a lancé « T’es stagiaire ? Prends du riz » et il s’est barré. Je suis retourné le voir et j’ai repris ce qu’il y avait dans son assiette. Il m’a regardé et m’a dit « Ok, t’as du caractère. Peut-être que ça va bien se passer ». J’étais complètement décontenancé.
Après ça j’ai voulu m’asseoir avec le reste de l’équipe pour finir de manger, mais on m’en a empêché sous prétexte que la dernière chaise était réservée. J’ai mangé tout seul dans mon coin et j’ai senti que c’était une histoire de hiérarchie et d’humiliation. Une différence de statut peut entraîner une différence de traitement, ce qui n’est à mon sens pas normal. En plus, c’était très masculin, très « je marque mon territoire », alors que je n’ai pas eu de problème avec les femmes sur le plateau. Ce genre d’expérience, ça met un coup de massue. Je me suis dit que j’allais intégrer un milieu professionnel violent. Par la suite, j’ai fait attention à prendre en compte les réflexions passives-agressives avant de m’engager à aller plus loin dans une aventure professionnelle.
Camille, 27 ans : « J’étais tellement choquée que je me suis enfermée dans les toilettes pour pleurer »
Dans le cadre de mes études en école de commerce, j’ai suivi ce stage au sein d’une fondation d’entreprise. Tous les jours, je travaillais dans un bureau isolé avec pour seul vis-à-vis, ma tutrice plantée en face de moi. Pour m’occuper, elle me demandait de répondre à des mails. Une tâche ingrate et peu valorisante, qui pouvait durer quasiment trois heures, c’était complètement lunaire ! Un jour, elle m’a mis sur un projet où je n’avais aucune expérience. Je l’avais prévenu que j’étais là pour apprendre, ce qui me semble logique dans la posture d’une stagiaire. J’ai mené ce projet du mieux que j’ai pu. Mais évidemment, ce n’était pas ce qu’elle attendait. Elle a donc tout jeté et s’est emportée en me disant que j’étais une petite fille pourrie gâtée, née avec une cuillère en argent dans la bouche et que je n’avais pas à lui répondre. J’étais tellement choquée que je me suis enfermée dans les toilettes pour pleurer. Je me suis sentie humiliée.
Malgré ça, je me suis accrochée. Mais elle a dépassé les bornes une nouvelle fois, lorsqu’elle m’a dit que je n’avais rien dans la tête. J’en tremblais. Je lui ai demandé fermement d’arrêter de me parler de cette façon. Le pire, dans tout ça ? C’est qu’elle m’a confié qu’elle-même avait été harcelée au travail… Comme si ça excusait le fait qu’elle reproduise ce comportement ! Et cerise sur la gâteau, lors de mon bilan de sortie, elle m’a accusée d’avoir eu une attitude « séductrice » avec mes autres collègues, quand bien même il n’y avait que des femmes dans le service et que j’avais uniquement des interactions avec elle. Je pense qu’elle voulait me faire mal une dernière fois…
Au départ, je voulais travailler dans les fondations d’entreprise et le social. Aujourd’hui, je m’investis dans l’associatif mais je ne veux plus en faire ma carrière. C’est un monde que j’ai banni de mes choix de carrière à cause de cette expérience. D’ailleurs, une des raisons qui m’a poussé plus tard à quitter un cabinet de conseil au bout de deux mois, c’était le fait qu’un manager, pas foncièrement malveillant, me rappelait trop ma tutrice de stage…
Clara, 25 ans : « C’est un vrai travail de savoir dire non par rapport à ses capacités »
J’avais réalisé un stage dans une entreprise de production de documentaire dans le cadre de mon Master en production audiovisuelle. Ça a été une expérience assez dévalorisante parce qu’on m’a principalement demandé de faire des tâches ingrates, comme faire des photocopies à longueur de journée ou chercher des disques durs à l’autre bout de la ville, tout en me donnant trop de responsabilités. Mais surtout, j’ai reçu des remarques assez insidieuses pour me faire comprendre que je devais charbonner. Lors de mon premier jour, j’ai dit à ma supérieure que je comptais partir à 19h et elle m’a répondu « On n’est pas à La Poste ici ». J’étais habituée à beaucoup travailler, mais j’ai parfois dû travailler le week-end alors que ce n’était pas légal.
Au fur et à mesure que je venais au travail, une boule au ventre s’était formée, la peur de me faire engueuler parce que j’avais fait quelque chose de travers. Le problème, c’est que je me suis écrasée. Je gardais tout pour moi. Quand c’est ta première expérience professionnelle, tu as l’impression que c’est toi le problème. Résultat des courses, j’ai fait un burn-out deux semaines avant la fin de mon stage, confirmé par mon médecin qui m’a dit de tout arrêter. Je ne sais pas comment j’ai fait pour tenir mais sur le moment je me disais que j’étais nulle et pas adaptée au monde du travail. J’ai mis du temps à m’en remettre.
Après cette expérience, j’ai revu mes attentes : être mieux payée, mieux traitée, avoir un environnement de travail et un management sain. Un an plus tard, j’étais encore hyper méfiante lors de mon entretien de stage de fin d’études parce que je ne voulais surtout pas revivre ça. Par la suite, j’ai constaté que d’autres jeunes se retrouvaient dans la même situation. J’aurais bien voulu le savoir sur le moment pour apprendre à me mettre des limites. C’est un vrai travail de savoir dire non par rapport à ses capacités.
Annabelle, 25 ans : « J’ai tenu deux mois dans cette boîte »
Mon parcours est assez particulier parce que je faisais des études en marketing digital et en management de l’art. Je devais faire un stage mais je me suis retrouvée à en faire deux parce que j’ai eu de très mauvaises expériences. La première, c’était dans une entreprise de cosmétique qui est venue vers moi tout en sachant que je n’avais jamais travaillé dans ce milieu. J’étais curieuse et on m’avait proposé une bonne rémunération. Sur le papier, rien à signaler, donc je ne me voyais pas refuser.
Dès le premier jour, j’ai constaté une ambiance très portée sur les potins et où tout le monde jugeait tout le monde. On m’a posé des questions personnelles du style « C’est quoi ta skincare routine ? » pour ensuite me lancer des piques sur ma façon de prendre soin de moi comme « À ton âge, tu devrais mettre de la crème anti-ride ». Côté travail, ma manager était visiblement dégoûtée d’être dans cette entreprise donc elle passait son temps à surveiller tous mes faits et gestes. Dans mes précédents stages, on me faisait confiance et on me laissait en autonomie. Ici, je n’avais aucune autonomie et le jour où j’ai osé envoyer un mail sans son aval, elle m’a incendié devant tout l’open space. Elle savait aussi que j’étais dyslexique mais ça ne l’a pas empêché de me faire vérifier une publication pendant une heure pour trouver une virgule mal placée ! C’était de l’infantilisation et du management toxique en permanence. Un jour, la DRH m’a vu en train de fumer sur une terrasse avec des amis. Elle en a parlé à ses collègues et je me suis pris plein de réflexions le lendemain comme « Tu sais, quand on travaille dans ce milieu, il faut arrêter de fumer ». C’était ma vie privée, je n’avais pas à me justifier. Mais le pire, c’est quand ma manager a balancé sur le groupe Whatsapp de l’équipe marketing que j’étais incompétente. J’ai tenu deux mois dans cette boîte. La personne avant moi avait démissionné au bout d’une semaine.
Avant de démissionner, j’ai trouvé un autre stage dans une agence de communication de marque d’entreprise. L’expérience n’a pas été plus saine. La boîte était gérée par quelqu’un de très connu. Son associé était un véritable tyran qui passait son temps à péter des plombs. On m’appelait en claquant des doigts et on me demandait explicitement de maltraiter les prestataires au téléphone. Je me retrouvais à les rappeler par derrière pour m’excuser… Suite à ça, j’ai demandé à ma fac de blacklister l’entreprise pour que d’autres stagiaires ne tombent pas dessus. Il ne faut pas hésiter à demander de l’aide à son école mais aussi à bien s’entourer parce que l’entourage c’est tout ce qui compte pour tenir. Désormais, je suis plus exigeante en entretien. Quand je sens que le courant ne passe pas, je refuse direct. Si on ne le sent pas, on n’y va pas.
Élodie, 26 ans : « Ma supérieure a commencé à s’immiscer dans ma vie privée »
J’ai fait mon stage de fin d’études dans une grande société d’audiovisuel et j’ai fini en arrêt maladie avant la fin de mon contrat. C’est assez difficile à décrire, mais j’ai subi une forme insidieuse de harcèlement de la part de ma supérieure, ce qui fait que ce n’était pas évident à identifier sur le moment. Cela a commencé par des missions qui m’ont été confiées et qui n’avaient rien à voir avec ma fiche de poste. Elles relevaient plus de l’assistanat de ma manager. Mais la dépréciation que j’ai subi était vraiment trompeuse parce que ça partait souvent de compliments comme « Tu sais trop bien faire le café ». C’était des compliments sur des compétences basiques et une forme de manipulation.
Au bout d’un moment, ma supérieure a commencé à s’immiscer dans ma vie privée en voulant influencer mes décisions dont certaines concernaient ma relation avec mon copain et mon avenir professionnel. De l’extérieur, ça pouvait ressembler à une bonne action de sa part, mais elle n’écoutait jamais mon avis et ce que je souhaitais moi, personnellement. Elle avait un peu pris possession de ma vie, sous couvert d’intentions bienveillantes.
Pourtant, après la fin de mon stage, la parole s’est libérée et j’ai rencontré des personnes qui avaient travaillé avec elle, qui m’ont dit que cette femme était toxique. J’aurais aimé qu’elles me préviennent plus tôt, au cours de mon stage au lieu qu’il y ait une omerta à ce sujet. Une semaine avant la fin de mon contrat, j’ai vu mon médecin qui m’a dit que je faisais un burn-out. J’ai réussi à m’en sortir parce que j’étais en partie entourée par ma coloc qui avait aussi vécu une mauvaise expérience en stage avec ses supérieurs. Elle a su identifier certaines choses dans la mienne. Globalement, j’ai appris à me méfier des petits éléments au travail qui participent au brouillage des limites entre vie pro et vie perso.
En stage, nous sommes encore jeunes, inexpérimentés et par conséquent des proies idéales pour des actes de harcèlement. Si vous vous retrouvez dans une telle situation, notre article dédié au harcèlement en stage pourrait vous aider à identifier ces abus et à y mettre fin.
Les prénoms des témoins ont été modifiés pour préserver leur anonymat.
Article édité par Manuel Avenel ; Photo par Thomas Decamps.
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