« L’impression d'être bonne à rien » : la difficile réinsertion après un long chômage

20 juin 2024

6min

« L’impression d'être bonne à rien » : la difficile réinsertion après un long chômage
auteur.e
Coline de Silans

Journaliste indépendante

contributeur.e

Si le chômage n’est généralement pas très bien vécu, la fin de cette période peut aussi s’avérer difficile ! Comment retourner sereinement au boulot quand cela fait plusieurs mois, voire plusieurs années, que l’on n’y a plus mis les pieds ? Comment garder confiance en soi et postuler sereinement, sans s’auto-saboter lors des entretiens ? Noémie Le Menn, coach et psychologue du travail, nous livre quelques conseils avisés.

Lorsque son entreprise a mis la clé sous la porte il y a deux ans, Céline, chargée de communication de 32 ans, était plutôt sereine : « Je suis partie suite à un licenciement économique. Au début, j’étais plutôt ravie de cette pause, et je n’ai pas cherché tout de suite activement un emploi, d’autant plus que j’étais partie avec une belle enveloppe financière. Puis au bout de 4-5 mois, le besoin de reprendre une activité et de refaire fonctionner mon cerveau s’est fait sentir. J’ai commencé à chercher, plutôt sereinement : j’avais fait 6 ans d’études, une école de communication assez reconnue, je ne doutais pas que j’allais retrouver rapidement ». S’ensuivent plusieurs mois pendant lesquels sa confiance en elle descend en flèche, au rythme du manque d’offres et de l’absence de réponses à ses candidatures, la faisant douter de sa capacité même à retrouver un emploi. « J’avais l’impression de n’être plus bonne à rien, d’avoir complètement décroché du monde du travail, et qu’on ne voudrait plus jamais me réembaucher. Je culpabilisais de rester chez moi quand tous mes amis partaient bosser, j’avais l’impression de n’avoir rien à raconter lorsque j’avais un entretien, et de perdre en compétences chaque jour un peu plus…. Je revoyais aussi mes exigences à la baisse, en postulant à des offres dont je savais d’avance qu’elles ne me plairaient pas ». C’est finalement grâce à un CDD largement en-dessous de ses compétences que Céline remettra le pied à l’étrier.

Cette perte de confiance en soi après une période de chômage plus ou moins longue, la psychologue et coach Noémie Le Menn la connaît bien : « c’est le phénomène classique du trac de la rentrée. Or cette peur-là, il faut l’apprivoiser, et ne surtout pas la voir comme un symptôme. Le but du trac, c’est de mobiliser de l’énergie, d’augmenter la vigilance, et de se mettre en position d’affronter un défi. Donc avoir le trac, c’est très bien. Il faut accepter que quand on arrive dans un nouveau job, on ne va pas être en capacité de faire face à tout, comme si on était là depuis deux ans. Il faut accepter de ne pas être performant tout de suite ».

Néanmoins, la peur de ne pas être à la hauteur après une longue période sans avoir travaillé est parfois telle, que certains préfèrent viser plus bas, au détriment de leur épanouissement professionnel, comme ce fut le cas pour Céline. « J’ai fini par décrocher un CDD dans une start-up qui ne me passionnait pas, mais qui a eu le mérite de me redonner un peu confiance en moi, reconnaît la jeune femme. Je savais que j’étais sous-payée et que le poste était en-dessous de mes capacités, mais je me sentais plus en confiance de cette façon. Cela m’a permis de renouer en douceur avec le rythme du monde professionnel, sans pression. Bon, évidemment, la contrepartie, c’est que je me suis aussi ennuyée assez vite… » Pour affronter cette angoisse, Noémie Le Menn conseille d’abord de reconnaître ses émotions, et d’être bienveillant avec soi-même : « Le meilleur moyen de gérer ses émotions, c’est de les reconnaître. Se dire, “de quoi est-ce que j’ai peur ? De ne pas être à la hauteur ? Ok, c’est de l’anxiété de performance, je sais ce que c’est. Il va falloir que j’accepte qu’il y ait une phase d’adaptation et d’apprentissage, sans m’auto-flageller”. Il faut apprendre à devenir son propre manager, pour s’accompagner soi-même, pour mieux réussir. »

Ne pas fixer la barre trop haute

Car, bien souvent, ce sont les candidats eux-mêmes qui s’imposent des objectifs inatteignables. Alice, la trentaine, reconnaît être tombée dans le piège : « Après avoir dû fermer mon entreprise à l’arrivée du Covid, j’ai enchaîné deux grossesses coup sur coup. Au bout de trois ans, j’ai senti qu’il fallait vraiment que je retourne bosser, pour ma santé financière aussi bien que psychologique. Quand j’ai vu que mon ancienne manager, que j’adorais, cherchait un CDD, j’ai sauté sur l’occasion. Mais plus la date de mon embauche approchait, plus je stressais : mes collègues avaient le souvenir de la Alice d’avant, super efficace, sans enfants, qui faisait de gros horaires… Mais je n’étais plus cette personne-là. Résultat, je me suis mise une énorme pression ». Pour parer à cette tentation de s’auto-saboter en se mettant des objectifs trop élevés, Noémie Le Menn conseille tout simplement de faire confiance au processus de recrutement : « on vous a recruté parce que vous avez fait des choses équivalentes, ou parce que l’on a confiance en votre capacité d’acquérir de nouvelles compétences ». En ce sens, l’entretien d’embauche apparaît plus comme une opportunité d’être honnête face au recruteur, d’expliquer ce que l’on sait faire ou ce que l’on pense pouvoir apprendre, plutôt que comme un moment où il faut se survendre à tout prix. « À partir du moment où l’on est en phase avec son projet professionnel, que l’on possède les compétences nécessaires ou que l’on est prêt à les acquérir, il n’y a pas de raisons que ça ne marche pas », rassure la coach.

Face à de longues périodes d’interruption, force est de reconnaître que femmes et hommes ne sont pas toujours égaux, en témoigne le cas d’Alice, que ses grossesses successives ont contraint à s’arrêter plus longtemps que prévu. « Toutes les études le montrent, souligne Noémie Le Menn, la maternité est l’enjeu qui impacte le plus la carrière des femmes. En théorie, il devrait y avoir moyen de faire des enfants et que les tâches, les responsabilités, la charge mentale et émotionnelle soit partagée entre les parents, mais il se trouve qu’encore aujourd’hui, ce n’est pas le cas ».

Pour autant, quelle que ce soit la raison et le temps qu’a durée une période d’interruption, garder en tête que la personne qui vous a recruté a tout intérêt à ce que vous réussissiez est précieux. Plutôt que de voir les managers comme des personnes à impressionner à tout prix, mieux vaut alors ne pas hésiter à les considérer comme des alliés, et à demander des feedbacks dès le début, pour être certains de s’engager dans la bonne voie.

Ne pas voir le mal partout

Quant à ceux qui craignent de retrouver dans leur potentielle future nouvelle entreprise les travers qui les ont fait quitter la précédente, la psychologue invite à se prémunir de la tentation de voir le mal partout : « Quand on a été traumatisé par quelque chose, on va avoir tendance à le voir venir de loin, alors que ce n’est pas nécessairement cela. Il faut arriver à sortir de ces pensées réflexes et se challenger en réfléchissant à quelles seraient les autres hypothèses ». Un exemple fréquent est le cas de managers plus ou moins toxiques : il peut vite être tentant de voir ce schéma se répéter à la moindre réflexion désagréable. Or il peut tout simplement s’agir d’une remarque bienveillante, qui a pour but premier, même si la formulation est maladroite, de faire progresser. « Si on s’accroche à tout prix à son hypothèse de base, on risque de la transformer en prophétie auto-réalisatrice, prévient Noémie Le Menn. Si on se dit d’emblée qu’un manager est contre nous, on risque de lui faire ressentir notre hostilité, et effectivement d’envenimer la relation de travail ». Questionner ses schémas mentaux, et accepter que toutes les entreprises ne se ressemblent pas, est donc aussi un bon point de départ pour repartir sur de bonnes bases quand on reprend une activité après une longue période d’interruption.

Et à ce sujet, qu’est-ce qu’une longue période d’interruption ? Y a-t-il un moment où il faut s’inquiéter plus que d’autres de ne pas retrouver d’emploi ? « Pour moi ce n’est pas tant le temps de recherche qui compte, que certains indicateurs, explique la coach. Par exemple, tout dépend évidemment du profil et du poste recherché, mais si au bout de six mois on n’a décroché aucun entretien, il faut s’en préoccuper. Idem si on ne passe jamais la barre du second entretien. Dans ce cas, c’est la technique de recherche d’emploi qui n’est pas bonne ».

Et en cas de démotivation, ne pas hésiter à se faire aider par des professionnels, coachs ou psychologues du travail. « Dans mon entreprise actuelle, on peut réserver des sessions avec des coachs. J’en ai vu une, car je suis pétrifiée à l’idée de devoir chercher de nouveau à la fin de mon CDD », reconnaît Alice. Noémie Le Menn conseille même de se faire aider quand germe l’idée de quitter un emploi pour un autre : « cela permet d’anticiper et de réduire le temps de recherche. Quelqu’un qui est accompagné par un professionnel retrouve en général deux fois plus vite », souligne la psy. Et, là encore, ne pas se culpabiliser de devoir faire appel à une aide extérieure, mais plutôt le voir comme un soutien.

Postuler spontanément, entretenir son réseau, se faire confiance, accepter qu’il y aura une période d’adaptation au moment de la reprise… sont autant d’outils précieux pour faire face à une recherche d’emploi qui s’éternise et reprendre sereinement le chemin du travail. Et, surtout, relativiser : non seulement six mois restent une période relativement courte pour retrouver un emploi dans le contexte actuel, mais le chômage n’est pas une tare. Comme le dit malicieusement Noémie Le Menn : « si tout le monde n’était pas concerné par le chômage à un moment ou à un autre de sa vie professionnelle, l’assurance chômage n’existerait pas ! »


Article écrit par Coline De Silans ; édité par Gabrielle Predko ; Photo Thomas Decamps pour WTTJ