Culture projet vs. culture produit : le choc des titans ?
17 oct. 2019
5min
Journaliste indépendante.
Louer l’appartement d’un parfait inconnu, avoir le choix entre des centaines de séries ou se faire conduire en berline noire flambant neuve est presque devenu une banalité. AirBnb, Netflix, Uber… autant de David qui ont challengé des Goliath en mettant le client au coeur de leur stratégie.
De nouvelles habitudes qui ont changé le quotidien de millions d’individus… et si ce n’était pas simplement le fruit du hasard ? Éclairage avec Fabrice des Mazery, Chief Product Officer chez Thiga.
Mettre en œuvre de nouvelles idées, entre hier et aujourd’hui
Retour en arrière
À la fin des années 1950, la marine américaine souhaite rattraper son retard face à l’URSS et accélérer le développement de son programme de missiles balistiques nucléaires miniaturisés. Son programme, nommé Polaris, implique alors 9000 sous-traitants et 250 fournisseurs. Pour réduire le temps de développement annoncé à sept ans, la marine fait appel à la société de conseil en stratégie Booz Allen Hamilton pour développer une nouvelle méthodologie de travail. Le programme est finalisé en quatre ans. Une nouvelle approche qui séduit la NASA puis, petit à petit, les entreprises du secteur privé.
Le travail “en mode projet” permet à l’époque à des équipes de métiers différents de travailler efficacement grâce à un ensemble de règles. La culture projet invite à atteindre un objectif défini, dans un temps donné et avec une enveloppe budgétaire dédiée. Une méthode qui fait ses preuves - notamment sur des projets d’envergure - mais se heurte à quelques limites. Car l’envers de la médaille de cette planification est son manque de flexibilité… avec pour conséquence le développement de produits et services qui s’avèrent parfois inutiles ou obsolètes une fois sortis sur le marché.
Avancée rapide
En 2007, des milliers de designers cherchaient à séjourner à San Francisco pour l’un des plus importants événements de design industriel d’Amérique du Nord. Alors qu’ils étaient eux-mêmes dans une situation financière difficile, deux amis ont décidé d’acheter des matelas pneumatiques et de les louer dans leur appartement. Une idée qui n’était ni particulièrement révolutionnaire, ni particulièrement ambitieuse… mais qui est née d’un besoin urgent et d’une solution à un problème immédiat. C’est ainsi que les fondateurs d’Airbnb ont créé l’entreprise que l’on connaît aujourd’hui.
Ce sont les débuts de la “culture produit”. « Penser produit, c’est avant tout penser à son utilisateur. », explique Fabrice des Mazery. C’est concentrer toute son attention sur le problème qu’il rencontre, le besoin qu’il cherche à satisfaire, l’habitude qu’il pourra mettre en place. Contrairement au fonctionnement historique “en mode projet” - qui invite à suivre une feuille de route précise et développer des fonctionnalités déterminées dès le départ - le produit laisse davantage de place à l’inconnu. Quand la culture projet est centré sur les processus et les ressources pour atteindre un objectif commun, la culture produit a pour vocation de créer de la valeur pour l’utilisateur.
Le problème d’abord, la solution ensuite. Le succès d’entreprises comme Airbnb offre une alternative aux méthodes classiques et éveille la curiosité des entreprises. Alors, la culture produit sonne t-elle le glas de la culture projet ? Quand et comment utiliser chacune de ces approches ?
À la croisée du business, de la tech et de l’expérience utilisateur
Les entreprises qui cherchent à “penser produit” orientent généralement leur approche autour de trois éléments clés : l’écoute, le doute et le focus.
L’écoute, car il faut prêter une oreille attentive à son marché et à son client. « La difficulté, c’est de savoir faire fi de ses convictions personnelles. », souligne Fabrice des Mazery. Penser produit, c’est donc remettre en cause ce que l’on croit être la bonne solution et challenger sa vision directement auprès de ses potentiels utilisateurs.
Le doute, car il faut accepter de ne pas détenir la vérité ou l’expertise absolue, et au contraire de tester des solutions jusqu’à trouver la bonne… ou passer à autre chose. « C’est une notion en opposition avec les enseignements scolaires et professionnels traditionnels, qui nous conduit à penser qu’il faut détenir le savoir », alerte Fabrice des Mazery.
Le « focus », qui permet de tirer le meilleur du doute. « La conception du produit est un labyrinthe dans lequel plusieurs chemins peuvent s’avérer justes, pour autant il est indispensable de faire des choix pour avancer sans se disperser », précise Fabrice des Mazery.
Penser projet ou penser produit ?
Face à la nécessité d’optimiser l’impact business à long terme, de plus en plus d’entreprises entraînées dans le sillage du digital remettent en cause leur culture projet, au profit d’une culture produit. Retour sur trois principaux points de divergence.
La construction de l’équipe
Les équipes projet sont constituées pour la durée d’un projet puis dissoutes une fois l’objectif accompli alors que les équipes produits sont construites et dédiées à un produit ou service, de sa conception à sa maintenance. L’objectif étant d’assurer une meilleure collaboration entre le produit, la conception de l’expérience utilisateur, la technologie et les unités commerciales dans le temps.
L’évolution de l’idée
Une équipe projet est capable d’accomplir sa mission sans s’écarter de la vision initiale. Une équipe produit part d’un problème donné et cherche sa solution par tâtonnement. Elle n’est pas certaine de parvenir à son objectif mais est plus en capacité de stopper une “mauvaise idée” (ou une bonne idée arrivée trop tôt) si cela est nécessaire.
L’objectif final
Une équipe projet tient ses objectifs si elle parvient à clôturer son projet en tenant les délais et les coûts. Une équipe produit travaille par itérations pour l’amélioration continue de son produit, elle “réussit” lorsque son utilisateur est satisfait.
L’objectif qui anime des équipes qui “pensent projet” et des équipes qui “pensent produit” est également différent, comme l’explique Fabrice des Mazery : « Dans le premier cas, les équipes sont composées de mercenaires, capables d’assurer le déroulé optimal d’une feuille de route et de livrer de nouvelles fonctionnalités ou d’optimiser un produit en un temps record. Dans le second, on se trouve face à des missionnaires qui, bien souvent, ont rejoint l’entreprise parce qu’ils croient en sa mission et qu’ils cherchent à aider les clients à résoudre leurs vrais problèmes. »
Passer de la culture projet à la culture produit : c’est possible ?
La culture produit est plus qu’une nouvelle mode, c’est une réponse pertinente au développement de certaines idées et à la nécessité de réfléchir avec et pour le client. Toutes les organisations sont capables de la mettre en place. Pour y parvenir, il est nécessaire de légitimer le droit à l’erreur et au doute et de créer un espace de sécurité psychologique, recommande Fabrice des Mazery. Le passage à une culture produit est d’ailleurs, souvent, particulièrement difficile pour les managers qui voient leur rôle se transformer : « Il n’est plus là pour donner des solutions mais pour poser les bonnes questions. »
Alors, est-ce la fin de la culture projet ? Pas si sûr. Il faut souvent faire co-exister plusieurs typologies d’organisation pour répondre au mieux aux besoins de chaque équipe. « La culture projet n’est pas morte. Il est même nécessaire d’articuler les deux en fonction des besoins de l’entreprise. » Car l’organisation en projet permet aussi de faciliter le travail des activités de support, de mettre de l’huile dans les rouages et d’assurer une bonne coordination dans les équipes de taille importante.
« La culture projet n’est pas morte. Il est même nécessaire d’articuler les deux en fonction des besoins de l’entreprise. » - Fabrice des Mazery
Cependant, Fabrice des Mazery alerte sur les questions éthiques liées à l’approche produit : « on ne peut plus choisir d’ignorer les conséquences que les produits vont avoir sur la vie et l’environnement individuel ou professionnel de nos utilisateurs. » Concevoir un produit n’est pas un acte anodin, chaque product builder porte une véritable responsabilité et ce, même si la tentation est grande de vouloir rendre l’utilisateur “accro”. « L’attention est la ressource la plus limitée du monde digital. Tous les produits l’exploitent d’une façon ou d’une autre, et tous sont en concurrence pour la capter. » Il est donc indispensable de trouver l’équilibre entre la stratégie de l’entreprise… et le besoin réel de l’utilisateur.
L’organisation projet restera toujours pertinente, notamment quand l’environnement est prédictible, quand il n’y a pas de débat sur le problème, le bénéfice et la solution. L’organisation produit permet, elle, d’explorer de nouvelles possibilités, de challenger les réponses que l’on a apportées jusqu’ici. Culture projet, culture produit… et s’il ne fallait pas choisir ? Ces deux approches permettent d’innover et d’apporter des réponses aux enjeux de l’entreprise de manière différente et complémentaire. Les avantages de l’une contre-balançant souvent les limites de l’autre.
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Photo d’illustration by WTTJ
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