Entretien annuel : que faire si on n'est pas raccord avec son manager ?

13 févr. 2025

7min

Entretien annuel : que faire si on n'est pas raccord avec son manager ?
auteur.e.s
Gabrielle Predko

Journaliste - Welcome to the Jungle

Manuel Avenel

Journaliste chez Welcome to the Jungle

contributeur.e

L'entretien annuel, c’est un peu comme un rendez-vous chez le dentiste : stressant mais nécessaire. Pourtant, ce moment devrait être une opportunité privilégiée d'échange avec son manager. Mais que faire lorsque la discussion tourne au vinaigre ou que le compte-rendu ne reflète pas la réalité ? On fait le point sur vos droits et les bonnes pratiques à adopter avec Gaël Chatelain-Berry, expert en management.

L’entretien annuel est une étape incontournable qui permet d’échanger avec son manager sur les réalisations passées et définir ensemble les perspectives futures. Près de 60% des salariés bénéficieraient de ce moment privilégié avec leur manager, d’après une étude Javelo pour l’Ifop de 2023. Crucial pour déterminer les grandes orientations de l’année à venir et faire le bilan de l’année écoulée, l’exercice peut aussi être source d’appréhension en tant que salarié. D’après une étude d’Opinion Way pour l’entreprise Javelo en 2022, 41% des salariés redoutent l’entretien annuel. Pour près de la moitié d’entre eux, celui-ci est avant tout corrélé à un pic de stress. 47 % des salariés interrogés estiment que cet exercice repose trop sur leur capacité à se justifier à l’oral, qu’il est subjectif, déséquilibré en faveur de l’employeur et que ses résultats manquent de suivi concret.

Même si l’entretien ne doit pas être perçu comme un combat de boxe, il peut néanmoins être décevant ou mal se dérouler.

Quand le désaccord s’invite à la table

L’entretien annuel peut être chargé en émotions. Après une année d’efforts et d’implication, il est naturel d’avoir des attentes en matière de reconnaissance. Mais comment savoir si l’échange a été satisfaisant ou non ?

Voici quelques questions à vous poser pour analyser la situation et identifier ce qui vous a déplu :

  • Évaluation : les critères étaient-ils objectifs et fiables ? L’appréciation reflète-t-elle réellement votre travail ? Des erreurs sont-elles présentes dans les commentaires ?
  • Objectifs fixés : sont-ils atteignables ? Avez-vous été consulté·e sur leur pertinence ? Disposez-vous des moyens nécessaires pour les atteindre ?
  • Travail accompli : toutes vos réalisations ont-elles été prises en compte ? Vos efforts sont-ils correctement mesurés ? Vos compétences sont-elles reconnues ?
  • Perspectives d’évolution : vos demandes de formation ou de promotion ont-elles été considérées ? Un plan d’accompagnement a-t-il été proposé ?
  • Attitude du manager : a-t-il pris le temps d’échanger avec vous ? Son ton était-il respectueux ? A-t-il écouté et noté vos remarques ?
  • Procédure : l’entretien a-t-il respecté les règles de l’entreprise (timing, format, etc.) ? Un compte-rendu écrit a-t-il été rédigé ?

Certains comportements ou décisions peuvent cacher un traitement injuste. Voici quelques signaux qui doivent vous alerter :

  • Un accès bloqué : tout le monde passe un entretien… sauf vous. On ne vous explique pas pourquoi, ni sur quels critères vous êtes évalué. Pire, on vous écarte du processus sans raison claire.
  • Des évaluations incohérentes : vos performances restent constantes, mais vos évaluations sont mauvaises. Vous relevez des erreurs ou des oublis qui jouent en votre défaveur.
  • Des écarts troublants : vos collègues obtiennent de meilleures évaluations pour des résultats similaires.
  • Un climat pesant : votre entretien dure anormalement longtemps, les critiques sont floues et répétitives, on vous reproche des choses subjectives plutôt que des faits concrets.
  • Des remarques discriminantes : vous êtes victime de remarques liées à votre genre, âge, couleur de peau…

Si vous vous retrouvez dans ces situations, ne laissez pas passer. Prenez des notes, gardez des traces écrites et renseignez-vous sur vos droits. Ces éléments peuvent être cruciaux pour prouver une discrimination et agir en conséquence.

Comment contester de manière constructive ?

Vous y voyez plus clair sur ce qui vous a chiffonné·e à l’issue de l’entretien ? Maintenant, il est temps d’agir. Car si nous vous déconseillons de réagir à chaud pour maîtriser au maximum votre communication, n’attendez pas non plus trop longtemps avant de faire parvenir vos retours et visez la semaine qui suit l’échange pour vous manifester. Voici que faire pour assurer vos arrières.

1. Privilégiez le dialogue

Oui, vous êtes remonté·e et on vous comprend. Mais dans un premier temps, privilégiez la discussion avant de monter au créneau. Pour être sûr de ne pas vous lancer dans une guerre avec votre employeur ou votre manageur, laissez le bénéfice du doute et commencez par sortir la carte « Il faut qu’on parle ».

2. Demandez un autre rendez-vous et préparez-le bien !

L’idée n’est pas de rester sur ce désaccord mais de résoudre le différend. Vous pouvez pour cela demander une autre audience à votre manager si ce dernier ne vous le propose pas. Mais à nouveau, cela n’a d’intérêt que si vous préparez ce second entretien. Vous pouvez tout simplement demander à votre manager d’échanger à nouveau avec un simple message de ce style : « Bonjour [Prénom du manager], je voulais te remercier pour le temps que tu as pris lors de notre entretien annuel. Après réflexion, il y a certains points que j’aimerais clarifier avec toi, notamment [mentionner brièvement les sujets concernés, ex. mes objectifs pour l’année à venir, certains retours sur mon travail, etc.]. Serait-il possible de convenir d’un moment pour en discuter ensemble ? Je pense que cela pourrait être bénéfique pour mieux aligner nos attentes. »

Ensuite, il va falloir prendre du recul sur l’entretien : relisez le compte-rendu. Identifiez les points précis qui vous posent souci et essayez de comprendre pourquoi, quels sont les désaccords.

Si par exemple vous reprochez à votre manager de vous avoir fixé des objectifs inatteignables, préparez des questions pour vous assurer des moyens mis à votre disposition (« prévoyons-nous des recrutements pour nous permettre d’atteindre ces objectifs ? ») pour être certain·e d’avoir toutes les infos en main. Et essayer de montrer factuellement pourquoi l’atteinte de ces objectifs vous semble impossible.

3. Restez factuel

Même si votre petit cœur est piqué, ou que vous êtes gonflé à bloc, votre meilleure arme : ce sont les faits ! « Il faut toujours rester dans le rationnel », conseille l’expert. Face à des critiques vagues comme « Tu es moins impliqué », demandez des exemples concrets. Qu’est-ce qui nourrit cette perception ? Quels sont les faits qui la justifient ? Réunissez également des éléments pour justifier votre contestation : vos réalisations de l’année avec résultats à l’appui, chiffres, retours clients, feedbacks de vos collègues, etc.

4. Documentez les échanges

En cas de désaccord persistant, gardez une trace écrite de vos échanges et de vos réserves. Ces documents pourront s’avérer précieux si la situation s’envenime. Et si votre deuxième rendez-vous s’est révélé positif, n’oubliez pas de faire apporter les modifications à votre compte-rendu.

5. Contestez le compte-rendu de l’entretien

Même avec de la communication et de la bonne volonté, vous n’arrivez pas à faire entendre raison à votre manager ? « Il faut avoir conscience que si on n’est pas en phase à 100% avec les retours de notre manager, on ne signe pas. Il n’y a d’ailleurs aucune obligation à signer un entretien annuel », insiste Gaël Chatelain-Berry. Pour lui, cette signature n’a rien d’anodin puisqu’elle valide le contenu du document et peut être utilisée plus tard, notamment en cas de procédure de licenciement. « Ça reste une trace écrite et si le collaborateur signe un document qui stipule qu’il a été une quiche, dans le cadre d’une posture de licenciement, ça pèse très lourd. » Sans pour autant tomber dans la paranoïa vis-à-vis de votre employeur, prendre quelques précautions peut s’avérer utile pour écarter tout malentendu. Dans une moindre mesure, on peut aussi signer mais émettre des réserves.

Refuser de signer n’est pas une déclaration de guerre. « On peut très bien le faire de façon constructive en disant “Non, moi ça ne me convient pas cette formulation. Est-ce que ça te dérange si tu changes la formulation pour que ça soit plus en phase avec ce qu’on s’est dit”. »

Dernière option, plus procédurière et donc à garder pour les cas les plus extrêmes : rédiger un courrier recommandé avec accusé de réception à votre manager et aux RH pour décrire les faits de manière précise et argumentée et demander officiellement une révision de votre évaluation ou une modification des objectifs pour l’année suivante.

6. Faites vous accompagner

Si vous estimez que la situation atteint un point de non retour, que vous êtes victime de discrimination ou que le conflit avec votre manager ne fait aucun doute, vous pouvez aussi solliciter un accompagnement. Soit d’un·e membre des RH de votre entreprise, soit des représentants du personnel ou syndicats. Faire appel à un tiers peut vous aider à trouver une médiation plus objective, mais aussi à ramener un cadre légal pour vous soutenir.

Enfin, si l’entretien a des conséquences négatives sur votre carrière (refus de promotion injustifié, discrimination, objectifs inatteignables menant à un licenciement), vous pouvez aussi saisir l’inspection du travail si vous estimez qu’il y a un non-respect du droit du travail, ou consulter un avocat spécialisé pour évaluer un recours aux Prud’hommes.

Les bonnes pratiques pour éviter d’en arriver là

Évidemment, on ne vous souhaite pas de devoir franchir tous ces obstacles et de devoir à passer par toutes ces étapes pénibles. Alors pour maximiser vos chances d’être satisfait·e de votre entretien annuel, voici quelques bonnes pratiques à garder en tête.

Avant l’entretien

  • Préparez votre dossier et rassemblez des preuves concrètes de vos réalisations : résultats chiffrés, projets menés à bien, feedback positifs reçus, compétences développées.
  • Anticipez les points sensibles : si vous savez que certains aspects de votre travail peuvent être critiqués, préparez des explications factuelles et des propositions d’amélioration. La conscience de soi reste une compétence professionnelle très valorisée dans l’entreprise.

Pendant l’entretien

  • Prenez des notes : « Il faut rentrer non pas avec une âme de guerrier, mais avec l’intention de ne pas sortir avec des points d’interrogation », conseille Gaël Chatelain-Berry. Notez les points importants et n’hésitez pas à demander des clarifications.
  • Posez des questions : si quelque chose n’est pas clair, c’est le moment d’en parler. « Le rôle de votre manager, c’est avant tout de répondre à vos questions et de vous aider ! », rappelle notre expert.

Après l’entretien

Relisez attentivement le compte-rendu et prenez le temps d’analyser chaque point. En cas de désaccord : identifiez précisément les passages contestés, rassemblez des éléments factuels pour appuyer votre position, préparez des propositions de reformulation. Demandez un nouveau rendez-vous si nécessaire.

Cultiver le dialogue toute l’année

Le meilleur moyen d’éviter les mauvaises surprises lors de l’entretien annuel ? Maintenir un dialogue constant avec son manager tout au long de l’année. « Si la seule fois où tu parles à ton manager, c’est pendant l’entretien annuel, ça n’est pas normal, insiste Gaël Chatelain-Berry, votre manager doit vous laisser la possibilité de communiquer très régulièrement avec lui pour éviter les incompréhensions, ajuster rapidement le tir si nécessaire, construire une relation de confiance. ». N’hésitez pas à solliciter régulièrement des feedbacks sur vos dossiers car « On doit parfois aussi manager son manager », rappelle l’expert.

L’entretien annuel ne devrait pas être source d’angoisse mais une opportunité de dialogue constructif. En cas de désaccord, gardez à l’esprit que vous avez des droits et des options. L’important est de rester professionnel et factuel dans vos contestations, tout en privilégiant toujours le dialogue. Et si la relation avec votre manager est vraiment toxique ? « Malheureusement, parfois la seule solution c’est d’aller voir ailleurs. Heureusement, il y a quand même des cas où tout se termine bien », conclut Gaël Chatelain-Berry. À condition d’être bien préparé !

Article édité par Gabrielle Predko, écrit par Manuel Avenel, photographie par Thomas Decamps

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