Travailler dans son lit : « L’inspiration me vient en m’enfonçant dans le matelas »
30 janv. 2025
5min
Stagner au fond du lit des heures durant engendrerait douleurs dorsales, maux de tête, dérèglement du sommeil, idées moroses... Bref, le mode opératoire reviendrait à s’engouffrer dans un couloir seulement éclairé d’une lumière lointaine, synonyme d’une mort certaine. Je ne donne donc pas cher de ma carcasse et de ma santé mentale dans mes vieux jours, puisque mon lieu de travail favori mesure 140 centimètres par 190.
Une grande partie de la population active commence ses journées par une douche rapide avant d’avaler un café et de trottiner jusqu’à sa voiture ou la bouche de métro la plus proche. Pour ceux qui travaillent depuis chez eux et dont je fais partie, les matinées ont une toute autre saveur, et pas seulement parce qu’on peut s’autoriser à snoozer son réveil plusieurs fois. Ce moment où il faut enfiler sa veste, lacer ses souliers et vérifier trois fois que oui, on a bien pris ses clés, n’a tout simplement pas lieu puisque rayer des tâches sur sa to-do list et goûter à la satisfaction du travail bien fait – ou juste fait – implique précisément de ne pas bouger. Ce qui laisse le loisir d’enchaîner les cafés allongés jusqu’à ce que palpitations s’ensuivent, mais aussi de choisir la surface sur laquelle on jettera son dévolu (composé de carnets, stylos et feuilles volantes).
Les dents et au lit
C’est un comparatif auquel tout indépendant ou télétravailleur confiné à domicile s’est déjà heurté : où installer son bordel avant de se poser, des heures durant ? La table du salon, gage d’aisance et d’une ambiance presque cérémoniale ? Le bureau IKÉA de la chambre, plus étriqué mais vecteur de création à en croire Virginia Woolf ? Le mange-debout de la cuisine, pour s’approcher métaphoriquement de l’efficacité d’un équipier de chez McDo ? Reste une option moins conventionnelle qui n’implique pas de poser ses fesses sur l’assise d’une chaise : le lit. Il est l’épicentre du foyer, son lieu le plus intime, un espace matelassé et drapé dédié au sommeil, au sexe et à la paresse où le travail n’est pas censé avoir voix au chapitre. Mais à l’heure où j’écris ces lignes, me voilà enfoncée dans le matelas où je passe mes nuits, un oreiller dans le dos et un plaid autour de mes jambes. Par-dessus cet assemblage qui m’apporte la chaude sensation d’être une chenille dans son cocon, mon ordinateur posé en équilibre sur mes genoux est le signe visible d’une journée de travail déjà bien entamée.
Autant écarter tout de suite une idée reçue sur le travail à l’horizontal : rester au pieu n’est pas synonyme de paresse, et encore moins de manque d’hygiène. Mes matinées ne consistent pas à ouvrir les yeux et à me saisir de mon PC pour continuer de baigner dans mon jus de la nuit passée. Si Winston Churchill aimait plancher sur ses dossiers et tenir ses réunions en robe de chambre, je préfère de loin m’affaler dans mon lit avec une haleine fraîche en ayant troqué mes haillons de la nuit. Soyons plus indulgents avec Frida Kahlo et Henri Matisse, qui ont tous deux transformé leur pieu en atelier d’artiste mais qui avaient eux de bonnes raisons de ne pas se changer : des douleurs post-accident de la route pour l’une, une paralysie pour l’autre. Bien contente de toucher du bois niveau santé et impacts motorisés, j’aime me préparer comme si j’allais braver le froid et socialiser en cochant les cases douche-vêtements propres-brossage de dents avant de retourner avec soulagement à la quiétude de mon pieu. Carrie Bradshaw a-t-elle les yeux bordés de crottes lorsqu’elle bosse couchée sur son lit ? Bien sûr que non.
L’épicentre de la zone de confort
N’ayant côtoyé des locaux d’entreprise que quelques mois au cours de ma courte carrière, j’en ai sans doute nourri une vision clichée et amochie par des séries comme The Office ou Parks and Recreation. Toujours est-il que les faux plafonds, la moquette au sol et les chaises à roulette ont le pouvoir d’anéantir toute potentielle libido, et de me faire réaliser ma chance de pouvoir bosser chez moi, dans un confort qui me ressemble – détail important. Au début de ma vingtaine, une première expérimentation du travail au lit m’avait en effet menée à en détester l’idée. J’étais de passage dans une coloc dans les Dom-Tom, l’eau du Pacifique était chaude, la maison était bordée d’une bananeraie… Bref, je frôlais le cliché de la freelance qui bosse sur un transat’, du sable entre les orteils. En réalité, je me retrouvais seule chaque matin dans cette maison isolée qui ne disposait d’aucune table sur laquelle se poser. J’écrivais mes articles enfoncée dans mon matelas et mes journées s’écoulaient face à un paysage linéaire du matin au soir : quatre murs blancs et une fenêtre avec vue sur les bananiers. Certains jours, j’avais la désagréable impression d’être une incarnation vivante du terme « sédentarité », une masse de chair chaque jour un peu plus happée par la gravité. Des années après, je sais ce qui n’a pas fonctionné entre ce lit et moi : on manquait d’atomes crochus, d’éléments décoratifs et personnels autour de nous pour créer un lien affectif et durable.
Le potentiel séduction du travail au lit réside justement dans le fait qu’il permet de s’enfoncer au plus profond de sa zone de confort, loin de l’hostilité et des désagréments de la vie de bureau. Ici l’assise est chaude et molle, et la lumière tamisée. Exit les babioles glanées à des Secret Santa entre collègues et le pendule de Newton – Michael Scott en possède un et j’aime à croire qu’il n’est pas le seul –, mon champ de vision n’est peuplé que d’éléments rassurants auxquels je suis attachée : mes peluches, mes livres, une Crocs en céramique, une sérigraphie d’un minuscule personnage perdu dans un lit immense à la Poucelina… Il paraît que sortir de sa zone de confort a du bon, mais soyons honnêtes : se vautrer dedans aussi.
L’inspiration de Carrie Bradshaw
Adieu les chaises ergonomiques, les swiss ball qui mettent le dos en mouvement et les bureaux adaptés à la physionomie de leur propriétaire. Au diable les recommandations des ergothérapeutes et la bonne aération de mon ordi, qui hurle à la surchauffe sur les poils de mon plaid. Mes genoux craquent après une poignée d’heures passées repliés en tailleur, mais qu’importe : je voue un culte moins grand à Nature & Découvertes, qui capitalise sur une idée coûteuse du bien-être, qu’à Carrie Bradshaw (on y revient). L’héroïne de Sex and the City rédige ses sujets pour le New York Star à plat ventre sur son lit, à même le sol, son ordi calé entre les jambes et parfois sur un bureau – à condition de poser un pied de chaque côté de son PC, sinon c’est pas marrant. Varier les positions, aussi inconfortables soient-elles sur une longue durée, me semble en effet être une technique habile pour contrer une panne d’inspiration, sur un lit que l’on sait source de créativité.
Jetons un coup d’œil derrière nous : c’est bien sur son lit à roulettes orné de moulures que Marcel Proust a donné naissance à son chef-d’œuvre À la recherche du temps perdu, tandis que Truman Capote se décrivait comme un écrivain « absolument horizontal », considérant qu’il n’arrivait à penser seulement « allongé, soit dans un lit soit sur un canapé, et avec une cigarette et un café à portée de main » – le gars aurait facilement pu passer une tête dans Mad Men. Les journaux intimes et leurs récits sans filtre sont bien souvent griffonnés sur un lit, eux aussi. Cet espace matelassé et bordé d’oreillers à plumes, synonyme de sécurité et de repos, est un terrain favorable à l’expression sans autocensure. Même si, à la relecture de mes confessions de lycéenne, l’autocensure a parfois du bon.
Défiant toute bien-pensance médicale, le plan de travail de 140x190cm a ainsi l’avantage de m’immerger doucement et confortablement dans mes obligations d’adulte et de m’aider à m’atteler enfin à ces tâches créatives que je préfère procrastiner jusqu’à frôler une deadline tant appréhendée. Considérant que tout le monde ne dispose pas d’une chambre à soi et que les quatre murs d’une même pièce peuvent mener à l’overdose à la longue, une alternative consiste à déplier son canapé en lit pour migrer dans le salon. Un léger dépaysement, sans perdre une once de confort. Ne me remerciez pas.
Article écrit par Pauline Allione et édité par Gabrielle Predko ; photo de Thomas Decamps.
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