Le CV neutre : 5 conseils pour échapper aux préjugés sans perdre son identité
30 mars 2021
7min
Rédacteur & Photographe
20% de réponses en moins. C’est ce qui fait la différence entre le CV d’un candidat présumé d’origine nord-africaine et celui d’un candidat au patronyme “franco-français”. C’est le triste constat que révèle une étude sur les discriminations au travail annoncée en janvier 2020 par France Inter. On nous l’avait pourtant annoncé en grandes pompes dès la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances : le CV anonyme viendrait à bout de ces discriminations. Mais, depuis, on attend toujours son décret d’application. L’éléphant a accouché d’une souris et le CV anonyme est resté lettre morte. Pour autant, faut-il s’en désoler ? « Pas forcément », assure Fabienne Margotteau, fondatrice du cabinet de recrutement Auréane Conseil et membre de l’association À Compétence Égale qui lutte contre les discriminations à l’embauche. Le CV anonyme serait mort et enterré avant d’être né ? Vive le CV neutre alors ! Pas anonyme, mais débarrassé de tous les éléments intimes qui pourraient susciter des représentations personnelles dans l’esprit du recruteur, ce CV neutre serait un meilleur ticket pour l’égalité des chances… Voici 5 conseils pour rédiger un CV neutre, vidé de tous préjugés.
CV anonyme : la solution contre les discriminations ?
Véritable carte d’identité professionnelle, notre CV doit-il se défaire de tout ce qui constitue notre singularité ? Et, sous couvert d’anonymat, ne risque-t-on pas d’aboutir à un recrutement déshumanisé, réduisant l’identité au triste matricule ? L’heure du verdict a sonné.
Une bonne idée restée lettre morte…
Il y a plus de dix ans, avec d’autres membres de l’association À Compétence Égale, Fabienne Margotteau a participé au groupe de travail chargé d’étudier la pertinence de rendre obligatoire par décret le CV anonyme : « Ce projet de CV anonyme était une très bonne chose, il a permis d’étudier l’idée jusqu’au bout, de nous pousser dans nos retranchements, d’en débattre et de s’apercevoir de ses avantages et de ses inconvénients. » Loin de faire l’unanimité, la pratique a fait débat. Et, au sein du groupe de travail, les membres sont mitigés, divisés. Parmi les freins avancés, figurent les difficultés techniques de sa mise en place, son coût et les réticences des recruteurs, mais aussi des candidats, attachés au caractère personnel du CV.
Un problème qui vient surtout de sa définition. « Rendre anonyme un CV, explique Fabienne Margotteau, c’est en effacer le nom, uniquement. Or, ce n’est pas tant le nom dont il est question ici, mais plutôt le fait de ne pas alimenter les représentations personnelles “défavorables” qui peuvent apparaître dans la tête du recruteur à la lecture d’un CV. » Vous savez, ces biais cognitifs qui formatent notre esprit. Autant de critères subjectifs qui influencent notre manière de percevoir la réalité et dont on pourrait bien se passer… « Aujourd’hui, je préfère que l’on parle du CV neutre », poursuit-elle. Un CV ‘‘neutre’’ car purgé de tous ces indices personnels qui viennent fausser notre jugement et parasiter notre décision : l’âge, l’origine, l’adresse, la situation de famille, ou encore le physique. « Le CV neutre, explique l’experte, a pour ambition de focaliser l’attention du recruteur sur les informations essentielles, à savoir : les expériences, les compétences et la motivation du candidat. »
Le CV anonyme est donc bien mort et enterré. Un échec que l’on doit principalement au scepticisme des DRH et à son usage très limité dans les processus de recrutement. Ainsi, à l’exception de quelques exemples symboliques, le CV anonyme n’aura été testé que par une minorité d’entreprises (4% en 2013). Une agonie qui s’est définitivement achevée par un rapport remis au gouvernement en novembre 2016, dénonçant une pratique “lourde”, “coûteuse” et “inefficace”. C’est le coup de grâce…
L’anonymat : et si ça se retournait contre moi ?
« Matricule 9865327 » Comment taper dans l’œil du recruteur avec un nom pareil ? Pas de photo, pas de nom, ni prénom, juste un parcours académique et une liste d’expériences professionnelles. Avec un CV anonyme tel que pensé par la loi de 2006, vous aviez de fortes chances de voir votre candidature envoyée à la poubelle, jugée trop « boring » ou robotisée. Au mieux, votre CV se serait perdu dans une multitudes d’autres CV anonymes, au pire, il aurait été mis en concurrence avec des CV non-anonymes. « Le CV anonyme n’est pas très réaliste, assure Fabienne Margotteau, les systèmes de recrutement ne sont pas encore prêts pour cela. » À bien y réfléchir, qui l’est ? Gommer son identité n’est pas un geste anodin. Quelque part, cela revient à estomper ses aspérités et sa singularité. Certes, en adoptant l’anonymat, notre CV a plus de chance de passer la barrière des préjugés. Mais est-ce vraiment souhaitable d’effacer un peu de soi pour convenir au plus grand nombre ? N’est-ce pas finalement plus important de se montrer tel que l’on est, d’être transparent, au risque de déplaire à certains recruteurs discriminants ? Assumer son identité n’est-ce pas la garantie d’être recruté pour ce que l’on est, quel que soit son sexe, sa couleur de peau, son origine sociale ou son âge ?
Et cet anonymat ne risque-t-il pas de se retourner contre moi ? « Avec le CV anonyme, sans identité, peut-être, mais pas avec le CV neutre, moins clivant, objecte Fabienne Margotteau. Aujourd’hui, on trouve de plus en plus de CV vidés de ces éléments personnels. Ainsi, on reçoit de plus en plus de CV qui ne comportent plus de photo. Pour autant, sans donner trop d’éléments, les candidats ne nient pas ce qu’ils sont. L’objectif n’est pas de cacher quelque chose d’embarrassant, mais de se débarrasser du superflu qui peut malheureusement être défavorable et d’attirer l’attention du recruteur sur le nécessaire : le parcours et les compétences du candidat. Le CV est, et doit rester, une carte d’identité professionnelle. »
Faire un « CV neutre » : 5 règles à suivre !
Alors, comment s’y prendre pour rédiger un « CV neutre » sans neutraliser sa personnalité ? Quels éléments y faire figurer ? Que vous souhaitiez échapper à d’injustes préjugés, ou bien tout simplement être recruté pour vos compétences et rien d’autre, voici les 5 règles d’or de Fabienne Margotteau, pour envoyer son CV neutre, mais non moins singulier…
1. Focaliser son CV sur les éléments essentiels
« Le CV doit être focalisé sur les éléments essentiels que sont les compétences, les expériences professionnelles et la formation, conseille l’experte. Le recruteur a aussi besoin des coordonnées du candidat pour être en mesure de le convoquer à un entretien. Le CV doit donc comporter le nom, le prénom, le numéro de téléphone et l’adresse mail. » Le nom et le prénom peuvent révéler le sexe du candidat ou présenter une consonance étrangère. Certains font donc le choix d’un prénom et d’un nom neutre, comme « Camille Martin », ou encore d’un nom francisé. Une pratique qui se justifie quand on sait que 20% des candidats nord-africains reçoivent moins de réponses suite à l’envoi de leur CV que les candidats au patronyme ‘‘franco français’’ et lorsqu’il s’agit d’une femme ce taux atteint 22% contre un candidat masculin. « Mais c’est important que cela reste un choix délibéré du candidat », relève Fabienne Margotteau, fondatrice du cabinet de recrutement Auréane Conseil.
2. Gommer les informations intimes
« Lorsqu’on envoie un CV à un recruteur, on fait connaissance, résume Fabienne Margotteau. À ce stade, il faut éviter tous les éléments personnels qui viennent polluer la candidature. Ils ont pour effet d’attirer l’attention du recruteur et de le détourner de l’essentiel. » Alors que faut-il gommer de son CV ? « Un CV neutre ne mentionne pas l’âge, la date de naissance, ou encore la situation familiale du candidat, insiste-t-elle. La photographie n’est pas non plus nécessaire, je recommande d’ailleurs de ne pas en mettre. Aujourd’hui beaucoup de CV n’en comportent plus ! » Gommer, ne veut pas dire dissimuler, puisque tôt ou tard, le recruteur s’apercevra de ces éléments qui, au fond, ne regardent que vous. « L’important c’est de ne pas lui servir sur un plateau des informations qui puisse vous être “défavorables”, explique l’experte. Car, le plus dur reste d’être contacté pour un entretien. »
3. Ne pas trop en dire sur ses loisirs
Faut-il mentionner sur son CV que l’on fait du golf le samedi, ou bien du free fight le mercredi, que l’on a été scout d’Europe, membre actif de The Israel Project, ou bénévole au secours islamique ? « Non », répond sans appel Fabienne Margotteau. Il est vrai que tous ces éléments fournissent au recruteur autant de précisions sur votre religion, votre milieu social ou votre appartenance politique. Des informations intimes et sensibles qui pourraient un jour vous porter préjudice. À moins de postuler auprès d’une entreprise très ouverte sur ces sujets ou, au contraire, officiellement engagée, ces marqueurs identitaires sont risqués. « On ne sait jamais entre les mains de qui va circuler notre CV, poursuit-elle. Et on a parfois des surprises ! Certains vont peut-être se reconnaître dans ces hobbies, mais ce qui plaît à l’un va probablement faire l’objet d’un rejet chez l’autre. Donc, à moins d’avoir été trésorier d’une association et de postuler pour un poste en finance, cela n’a pas grand intérêt, ou pire cela peut vous desservir. » Gardez-vous donc de trop en dire sur vos loisirs !
4. Nul besoin de préciser son adresse
« Pourquoi l’adresse ? » pourrait-on penser. Il n’y a rien de plus formel qu’une adresse postale. D’abord, interrogeons-nous sur la pertinence de cette précision. Quand avons-nous été convoqué la dernière fois à un entretien professionnel par courrier ? Non, le téléphone et l’adresse e-mail sont bien nécessaires, mais pas l’adresse postale. Par ailleurs, celle-ci peut prêter à interprétation : c’est malheureux, mais une adresse dans un quartier cossu n’inspire pas la même chose qu’une adresse dans une cité… « Si vraiment le recruteur a besoin de connaître votre adresse pour savoir si vous résidez à proximité de ses locaux, il sera encore temps de le préciser ultérieurement, insiste Fabienne Margotteau. En attendant vous pouvez vous contenter d’écrire le nom de la ville ou même ‘‘France’’. »
5. Sélectionner ce qui est utile pour le job
D’une manière générale, l’association À Compétence Égale recommande de rester attentif à tout ce qui peut sortir du cadre purement professionnel. « À chaque fois que vous inscrivez dans votre CV une information qui pourrait vous être discriminatoire, interrogez-vous : est-ce vraiment utile pour le job ? », suggère Fabienne Margotteau. De même, faut-il absolument répertorier toutes ses expériences professionnelles même si elles commencent à dater ? « Si le recruteur veut vraiment calculer votre âge, il le peut, reconnaît-elle, mais pourquoi lui fournir cette information sur un plateau ? Vos expériences sur les quinze dernières années devraient lui suffire à se faire une idée sur votre profil. »
Moralité ? À moins d’être l’homme, blanc, célibataire et athée d’une trentaine d’années, que s’arrachent prétendument les recruteurs français, tout le monde peut avoir de bonnes raisons de considérer le CV neutre. Proposer un CV neutre, sans accrocs aux idées préconçues, mais sans pour autant renoncer à votre singularité en dosant les informations qui vous représentent et qui pourraient pencher en votre faveur en process de recrutement, c’est le meilleur moyen d’être recruté pour ce qui compte vraiment : un talent fort de compétences et d’expériences.
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