Inscrire nos activités militantes sur notre CV : bonne ou mauvaise idée ?
13 oct. 2020
6min
Journaliste @Welcome to the jungle
Afin de mettre toutes les chances de notre côté pendant notre recherche d’emploi, on a tendance à montrer patte blanche face aux recruteurs : cela ne nous viendrait pas (ou peu) à l’esprit d’afficher nos convictions politiques, syndicales ou religieuses sur notre CV. Mais qu’en est-il de nos activités militantes ? À l’heure, où les entreprises mettent de plus en plus en avant leurs valeurs, et communiquent sur leurs responsabilités sociétales et environnementales, les candidats peuvent-ils en faire de même ? Arborer le hashtag #Blacklivesmatter, être engagé dans un mouvement féministe ou défendre chevillé au corps le réchauffement climatique font -ils de nous un profil attractif ou au contraire rebutant pour les entreprises ? Décryptage.
De quoi parle t-on ?
D’après les sociologues Frédéric Sawicki et Johanna Siméant, on peut définir l’engagement militant comme « toute forme de participation durable à une action collective visant la défense ou la promotion d’une cause ». Concrètement, cela peut se matérialiser de bien des manières :
- participer et/ou organiser des manifestations
- faire du bénévolat dans une association
- s’exprimer en ligne ou dans l’espace public pour sensibiliser à la cause que l’on défend interpeller les médias, etc.
Dans tous les cas, le point de départ est un engagement fort pour une cause qui nous tient à cœur, et pour laquelle on agit. Un véritable atout lorsque l’on postule dans le milieu associatif. Pour les autres secteurs d’activité, en revanche, la question est plus complexe et plusieurs arguments s’opposent…
Les pour :
Une transparence accrue
À travers nos engagements militants, ce sont nos valeurs qui transparaissent et ça en dit beaucoup sur nous, comme le confirme Juliette, chargée de développement dans une ONG de solidarité internationale qui recrute elle-même les membres de son équipe : « L’investissement militant du candidat va révéler sa vision de la société. Cela permet de situer tout de suite sur quel côté de l’échiquier la personne se positionne. »
Des indications claires, en somme, qui font gagner du temps, autant aux recruteur qu’au candidat, si l’objectif de ce dernier est de matcher avec une entreprise alignée avec ses valeurs, et d’autant plus s’il souhaite s’engager dans la durée.
Un révélateur de compétences
Participer ou être à l’initiative d’actions militantes peut démontrer un certain nombre de compétences qui peuvent être transférables et recherchées dans le milieu professionnel.
Avoir organisé une conférence va mettre en avant des talents en logistique et en coordination, œuvrer pour une campagne de sensibilisation nécessite de maîtriser l’usage des réseaux sociaux, ou encore mener une manifestation atteste d’un bon leadership. « D’autant que les groupes militants sont de plus en plus professionnels, et mettent en place des stratégies de communication poussées, orchestrent des campagnes, trouvent des financements… Autant de missions complexes que l’on peut mettre en avant pour un job », complete Juliette. Et dans tous les cas, cela montre une capacité à travailler en équipe, car sauf exception, les actions militantes se mènent toujours au sein d’un collectif.
Une occasion de se démarquer
Ces dernières années, le recrutement s’axe beaucoup autour des soft skills (52% des DRH accordent autant d’importance voire davantage aux “soft skills” qu’aux “hard skills”, selon l’étude Robert Half 2016). Des compétences qui font appel à des qualités humaines, comme la capacité à s’intégrer facilement ou à gérer les conflits. Au-delà de la performance pro, les employeurs recherchent des profils singuliers, des personnalités ! Mettre en avant ses actions militantes montre que l’on a des convictions, et peut permettre de sortir du lot : « J’ai rencontré un candidat qui avait milité pour défendre les droits des migrants. Il avait ainsi manifesté sa volonté d’évoluer dans un milieu multiculturel et ce trait de personnalité était particulièrement intéressant pour notre organisation internationale, cela a fait la différence », raconte Juliette.
Et cela peut même être le point de départ de la collaboration, comme le raconte Anaïs, rédactrice en freelance : « Atteinte d’endométriose, j’ai choisi de prendre la parole sur le sujet pour mieux faire connaître cette maladie. Je voulais être transparente quant à mon engagement auprès de mes futurs employeurs. Pour moi, ça s’est révélé très positif : je travaille désormais pour des marques alignées avec mes valeurs qui étaient justement très intéressées par mes connaissances sur le sujet. »
Un atout pour les profils juniors
S’investir au sein d’une association ou d’un collectif, peut venir compenser un manque d’expérience et compléter un CV. Selon Hugo Perrier, DRH chez Cheerz : « Un engagement militant en début de carrière peut permettre à un candidat dont les expériences professionnelles sont encore trop peu nombreuses et courtes, de valoriser des compétences précieuses. » Car si ce sont des expériences non rémunérées, elles peuvent, dans certains cas, être l’équivalent d’expériences professionnelles : « J’ai déjà recruté un profil junior qui n’avait aucune expérience directe pour le poste mais qui en revanche avait été actif pendant trois ans au sein d’Amnesty International et attestait de solides réalisations. J’ai considérée cette expérience au même titre qu’un CDD ! », confie Juliette.
Les contre :
Peut effrayer les recruteurs
Le pendant négatif du militantisme, c’est qu’il peut faire peur à certains recruteurs. Les mots “militants” ou “activistes” sont connotés, comme l’explique Linda, Talent Acquisition manager dans un grand groupe d’assurances « Malheureusement, il y a toujours des confusions sur ces sujets. C’est comme quand on assimile les gilets jaunes aux black blocks par exemple, c’est un mauvais amalgame mais un amalgame quand même, qui peut déservir le candidat. » Mentionner ses actions militantes sur son CV peut être une prise de risques car qui sait quelle interprétation le recruteur pourra en faire ? : « Il pourrait très bien se demander : jusqu’où va son militantisme ? Et craindre d’embaucher un semeur de trouble, le pire scénario pour un employeur… », avertit Linda.
Pas les codes du CV
Un CV, c’est avant tout un outil professionnel sur lequel on est censés rester factuels. Linda, qui tient à respecter tous les principes de non discrimination à l’embauche, est formelle : elle ne prête pas attention aux rubriques secondaires. « Comme je sais que je n’aborderais pas ces questions lors de l’entretien, je ne m’attarde plus sur les activités extraprofesionnelles pour me concentrer que sur des critères objectifs de recrutement comme les formations et les expériences pro. » Et tout ce qui est inscrit sur le CV doit avoir son utilité : « Un jour, j’ai rencontré une candidate qui avait mis en avant son engagement en faveur de l’égalité femmes/hommes, et j’en ai gardé une appréciation positive. Elle faisait parti d’un groupe de travail qui proposait des chartes, ce qui était intéressant parce que cela montrait qu’elle était proactive le sujet. Si elle avait juste indiqué “je manifeste tous les samedis”, cela n’aurait pas été pertinent. Pire, cela aurait pu discréditer l’ensemble de sa candidature, car je me serais dit “elle me raconte sa vie perso !” » Dans un CV, chaque phrase compte. À en croire notre experte, il faudrait ainsi limiter au minimum toutes les informations qui relèvent de la sphère privée, sauf si bien sûr elles ont un intérêt pour le poste visé.
Peut fermer des portes
S’il est vrai que certaines entreprises affichent des engagements sociétaux, la grande majorité des boîtes privilégie encore la neutralité dans le cadre du travail et vont préférer des profils plus discrets. Afficher clairement ses engagements, « c’est une prise de risque, celle de ne pas faire l’unanimité », nous rappelle Linda. D’autant que, même si l’on a vérifié que nos convictions militantes vont bien matcher avec celles des patrons, on ne sait jamais qui va recevoir notre CV, et chaque individu porte ses convictions et ses biais… on peut se faire évincer dès le premier tour.
De plus, les logiciels de tri automatique des CV, de plus en plus utilisés en entreprise, mettent de côté les CV qui ne rentrent pas dans les “cases”. Les algorithmes de ces logiciels sont paramétrés en fonction de mots clefs précis qui ne concernent que la formation et les expériences professionnelles : plus on ajouterait d’informations sur le CV, plus on risquerait donc de “brouiller” le message et d’être “exclu” par les algorithmes.
Des sujets clivants
La thématique du sujet militant est aussi un point déterminant : plus la cause est considérée comme radicale, plus l’on risque de s’aventurer sur des sujets clivants. « Il y a des combats plus à la mode ou du moins plus consensuels. Personne ne reprochera à un candidat qui lutte contre la pauvreté, de distribuer la soupe populaire en tant que bénévole ! En revanche, difficile de postuler dans une banque lorsque l’on a des prises de position anti-capitalistes…», ironise Juliette.
Un choix personnel
Finalement, la vrai question à se poser c’est : à quel point est-ce important pour moi de faire correspondre mes activités militantes à ma vie professionnelle ? Ou de rejoindre une entreprise qui partage mes valeurs et mon idéologie ? Si nos engagements sont tels, que l’on ressent le besoin de les indiquer sur notre CV, c’est un choix positif. En effet, c’est une manière simple et directe d’être sûr que les personnes qui nous recevrons en entretien partageront les mêmes valeurs que nous ou a minima, qu’elles ne considèreront pas ces dernières comme un frein pour intégrer l’entreprise.
A contrario, on peut très bien estimer qu’on distingue totalement son activité professionnelle de ses convictions de militant car le travail n’est pas là où l’on choisit de placer sa lutte. Dans ce cas là, il est inutile de les mentionner et risquer de louper une opportunité professionnelle. Sphère personnelle, militante, professionnelle : à vous de décider où vous placez le curseur !
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Photo by WTTJ
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