« Non, la curiosité n’est pas un vilain défaut. Au travail, c'est même un atout ! »
21 juin 2021
9min
Coach certifiée en reconversion professionnelle et auteure passionnée par l’évolution du monde du travail et les profils multipotentiels.
OUTSIDE THE BOX - Vous avez parfois l’impression de devoir entrer dans un moule qui ne vous correspond pas ? Les cases présupposées du monde du travail, très peu pour vous ? Notre experte du Lab Sonia Valente vous invite à rêver et penser “en dehors de la boîte”, pour révéler (enfin) votre plein potentiel en entreprise et en dehors !
Pourquoi le ciel est bleu ? Pourquoi dois-je faire ce reporting ? Comment sont fabriqués nos smartphones et tablettes ? Vous faites partie de ces personnes qui posent des questions, qui s’interrogent sur le monde qui les entoure, et qui, avides de connaissances, aiment comprendre tout, tout le temps ? Je ne vous apprends donc rien : vous êtes curieux. Malheureusement, la curiosité a longtemps été rangée dans la catégorie des défauts alors qu’elle n’a rien à y faire.
Si vous voulez mon avis, il est grand temps de la remettre à sa juste place. Car non, la curiosité n’est pas un vilain défaut. C’est une qualité et surtout un atout - pour vous, et donc pour les entreprises qui vous emploient - que vous avez tout intérêt à cultiver, quitte à déranger ! Pour quelles raisons, me direz-vous (vous êtes donc définitivement curieux) ? Voyons ça de plus près.*
La curiosité a mauvaise presse
Étant enfant, qui n’a jamais entendu un parent ou un “adulte” dire « la curiosité est un vilain défaut » ? Une formule qui s’apparente à une réprimande, souvent après une question jugée trop indiscrète. Si l’on peut admettre que « pourquoi tata a un gros ventre ? » peut instaurer un climat un peu gênant en plein repas de famille, l’intention à l’origine de cette question est on-ne-peut-plus compréhensible.
Se poser des questions est un processus naturel qui permet à l’enfant de comprendre et d’appréhender le monde qui l’entoure. La curiosité est donc nécessaire à son développement. Mais malheureusement, les normes sociales et les bonnes manières lui font vite comprendre qu’il s’agit, en fait, d’un défaut. Dans nos relations sociales, être curieux, c’est être impoli. Être curieux, c’est être intrusif. Être curieux, c’est remettre en cause l’autorité. Et voilà comment de nombreux enfants deviennent des adultes qui n’osent plus poser de questions parce qu’ils veulent être perçus comme des personnes mesurées et polies.
La curiosité favorise des relations de travail saines
Pourtant, si l’on décortique l’étymologie du mot, c’est tout l’inverse. « Curiosité » vient du latin cura, qui signifie la cure. Or, faire une cure, prendre un traitement curatif, signifie prendre soin. Poser des questions sur la vie de ses collègues, sur leurs ressentis, ou bien sur le fonctionnement de notre entreprise et le bien-fondé de certaines décisions serait donc - par essence - le signe d’une attention portée à l’autre qui, par la suite, crée du lien social. N’est-ce pas là une preuve que la curiosité est utile pour améliorer le bien-être et le sentiment d’appartenance au travail ?
Combien de personnes n’osent pas poser de questions parce que « ça ne se fait pas », que « ce ne sont pas mes affaires » ? Cette attitude de « fausse politesse » favorise une culture de « non-dits » qui, elle-même, peut conduire à des situations de mal-être au travail.
Mettons fin à cette idée que la curiosité « sociale » est un défaut ! Que l’on soit indépendant ou salarié, travailler c’est être en interaction les uns avec les autres. Et poser des questions aux personnes avec qui nous collaborons est la base de la communication. Ou plutôt : la curiosité est la base d’une communication et de relations saines, dès lors que l’intention de cette curiosité est bienveillante. Car c’est la bienveillance, couplée à l’empathie, qui permet de ne pas franchir la frontière de l’intrusion et de respecter l’intimité de son interlocuteur.
Alors qu’avec le Covid-19, le télétravail a été « la norme » pendant plus d’un an, son importance s’est imposée à nous. Durant cette période, nous posions plus de questions qui nous permettaient de prendre la température, de sonder le moral de nos collègues et de créer un lien de proximité que l’on ne s’autorisait peut-être pas autant avant la crise, où la scission pro et perso était plus nette. Et je suis convaincue que ce basculement - entre autres - nous a aidé à surmonter cette période difficile, surtout quand on sait que le lien social est un « ingrédient clé » du bien-être pour 4 actifs sur 10 (40 %), selon l’étude OpinionWay pour Microsoft France.
Mais nous, travailleurs, ne sommes pas les seuls à avoir un intérêt à développer la curiosité dite « sociale ». La curiosité est aussi un atout pour les entreprises et la société.
Être curieux, gage de créativité et d’innovation
Vous auriez vécu à l’époque de la Renaissance, les curieux comme Léonard de Vinci étaient des modèles à suivre. On valorisait ceux qui passaient leur temps à se nourrir de connaissances, à explorer et expérimenter. On accordait du crédit aux penseurs visionnaires à l’imagination débordante et aux idées innovantes.
Malheureusement, la course à la productivité et à la croissance dans laquelle nous nous sommes engagés après la Seconde Guerre mondiale a changé la donne. Pendant plus de cinquante années, les entreprises ont recherché avant tout des exécutants, des opérationnels et le modèle de management était directif. Les hauts décisionnaires étaient les seuls à avoir le privilège de poser des questions.
Si aujourd’hui des entreprises rompent avec ce modèle en tendant vers une culture d’entreprise qui laisse place à la curiosité, à la créativité et à l’expression des idées, les vieilles habitudes sont dures à abandonner. Il n’y a qu’à voir comment les profils multipotentiels sont encore étiquetés. Animés par une grande curiosité, ils s’intéressent à de nombreux sujets, parfois éloignés les uns des autres. Leur curiosité les amène à enrichir leurs connaissances, à explorer différents domaines dans leur vie personnelle et professionnelle. Et ce n’est pas du goût de tout le monde. Beaucoup de recruteurs et d’entreprises les considèrent comme des paumés, des instables, des éléments trop difficiles à manager, tant ils se questionnent « pourquoi fait-on ceci ? » « Qu’apporte cette étape dans le processus ? » A-t-on oublié que si l’Homo Sapiens a réussi à s’imposer sur le règne animal, c’est grâce à sa curiosité ? A-t-on oublié que les plus grandes découvertes et avancées de notre monde, nous les devons à des hommes et des femmes curieux·ses ?
Ainsi, si Benjamin Franklin s’était contenté d’être un homme politique et ne s’était pas intéressé aux sciences et plus particulièrement à la foudre, nous n’utiliserions pas aujourd’hui de paratonnerres. Si Steve Jobs n’avait pas également suivi des cours de calligraphie, les différentes polices du Mac n’existeraient pas. Si John Kabat-Zinn, au départ doctorant en biologie moléculaire n’avait pas, porté par sa curiosité, poussé la porte d’une conférence sur la méditation dans les couloirs du MIT, il n’aurait jamais créé le programme MBSR (Mindfulness-based stress reduction) utilisé notamment en oncologie pour aider les patients atteints de cancers et faire avancer la recherche en neurosciences. La curiosité nous pousse à explorer, à nous informer, à développer de nouvelles connaissances mais surtout, à créer.
Justement, parlons de créativité. Dans le classement des compétences les plus recherchées en 2021, La France est le seul pays à faire apparaître la créativité dans son Top 3, juste devant le leadership. Bon point pour la France, mais ce n’est pas suffisant. C’est surtout révélateur du fait qu’à travers le monde, nous ne sommes globalement pas suffisamment éduqués ni encouragés, à développer notre curiosité ! Les entreprises restent encore trop attachées aux seules compétences dites « techniques », et c’est bien dommage. À ce titre, la célèbre étude réalisée par Dell sur le futur du travail en 2018 expliquait que « la capacité à acquérir un nouveau savoir vaut plus que le savoir déjà appris ».
La curiosité permet de résoudre des problèmes nouveaux et complexes
Le futur commence dans le présent. Nouvelles technologies, nouveaux métiers, nouveaux enjeux économiques et environnementaux… Avec la vitesse à laquelle les choses changent en permanence, nous sommes constamment amenés à résoudre de nouvelles problématiques, sans forcément y avoir été préparés par nos études ou nos précédentes expériences.
Or, résoudre des problèmes complexes demande de savoir prendre de la hauteur. Pour arriver à trouver des solutions innovantes, il faut s’extirper du contexte et du problème lui-même, pour s’ouvrir à d’autres points de vue et perspectives. S’intéresser à d’autres domaines et activités, varier ses centres d’intérêt, se former à d’autres sujets, avant de se lancer en faisant des expérimentations (et des erreurs !) En somme, des comportements qui demandent une seule chose : de la curiosité.
Dès lors, les entreprises ne devraient pas chercher à recruter exclusivement des clones hyperspécialisés qui travaillent, fonctionnent et raisonnent de la même manière. Ces profils sont efficaces quand le contexte reste connu et n’évolue pas, ou peu. Mais dès qu’il change, ils bottent en touche, les solutions qu’ils appliquaient jusque-là ne fonctionnant plus.
Pour moi, les pays Anglo-saxons ont un train d’avance et semblent davantage conscients des limites de l’hyperspécialisation. Lorsque j’échange avec des Français y ayant travaillé quelques années, j’entends toujours le même discours : la carrière hétéroclite est davantage valorisée, les entreprises sont plus attentives à la personnalité et aux soft skills comme la curiosité. De retour en France, ils se heurtent souvent à une vision vieillotte qui sacralise la carrière linéaire et les seules compétences techniques. Aussi, des initiatives y ont vu le jour comme le site InnoCentive, qui propose aux entreprises de poster sur le site web les problèmes qu’elles n’arrivent pas à résoudre pour permettre à tout un chacun de proposer des solutions en contrepartie d’une belle somme d’argent. C’est là que les profils curieux et multipotentiels s’avèrent d’une grande aide. Pourquoi ? Dans son livre Range, le fameux journaliste d’investigation David Epstein explique que : ce sont souvent des personnes curieuses, sans aucune expertise dans le domaine de la problématique posée, avec divers centres d’intérêt et des expériences variées, qui trouvent les meilleures solutions !
C’est pourquoi, je pense que les entreprises ont tout intérêt à porter une attention particulière aux candidats curieux, même (surtout !) s’ils ont des parcours éclectiques. C’est le cas de certaines, mais le phénomène se fait encore trop timide.
La curiosité développe la performance et l’adaptabilité d’une organisation
Encore peu d’organisations valoriseraient les talents curieux, donc, mais elles n’encourageraient pas non plus la curiosité au sein de leurs équipes. C’est ce qu’a voulu prouver Francesca Gino, professeur spécialiste du comportement à la Harvard Business School et auteure. Les conclusions d’une étude qu’elle a menée sur plus de 3000 salariés d’entreprises et de secteurs différents révèlent que seuls 24% des participants pouvaient faire preuve de curiosité dans leur travail. Et 70% disaient se heurter à des obstacles lorsqu’ils posaient trop de questions. Une barrière que vous connaissez ou avez probablement déjà connue si, un jour, votre N+1 vous a répondu sur un ton sec et agacé « c’est comme ça » ou « on a toujours fonctionné comme ça ».
Or, pour l’experte, la curiosité est synonyme d’organisations plus performantes et plus adaptables. Dans un contexte professionnel, la curiosité permettrait selon elle de ne pas tomber dans le piège du biais de confirmation (chercher des informations qui confortent nos croyances, ndlr) et ainsi, de faire moins d’erreurs et de prendre de meilleures décisions.
Être curieux, ça procure du plaisir !
Nombreuses sont les études qui expliquent que si nous sommes accros aux réseaux sociaux et aux activités en ligne, c’est parce qu’elles activent notre « système de récompense ». (je vous recommande à ce titre le documentaire Dopamine, Arte, 2019). Moi la première : likez cet article et dans mon cerveau, mon système de récompense va faire la danse de la joie. Eh bien sachez que c’est la même chose pour la curiosité ! Ce même système de récompense pourrait aussi être activé par l’envie d’apprendre, de découvrir de nouvelles choses. C’est en tout cas ce que deux chercheurs de l’Inria de Bordeaux et de l’Université de Columbia ont mis en lumière. Le simple fait de chercher à acquérir de nouvelles connaissances sans autre but que l’envie pure de savoir serait donc source de plaisir ! Tout comme l’est la curiosité « intéressée » lorsque, pour résoudre un problème complexe ou atteindre un objectif professionnel, vous vous lancez dans une démarche exploratrice. Souvenez-vous de votre dernière grande découverte au travail. N’avez-vous pas éprouvé du plaisir ? Un sentiment qui, je suis sûre, vous a donné l’impression d’être utile et a boosté votre confiance en vous !
Être curieux permet d’avancer vers l’activité professionnelle qui nous correspond
Trouver le job qui nous correspond, cela peut être la quête d’une vie ! Si l’introspection permet d’apprendre à mieux se connaître et donc à identifier les activités et jobs qui nous conviennent le mieux, l’exploration est tout aussi importante dans ce travail sur soi. Alors, encore une fois, cultivons notre curiosité ! Varions nos activités et nos centres d’intérêt, échangeons avec des personnes ayant des opinions différentes des nôtres et venant d’horizons éloignés, entraînons-nous à développer nos savoirs et ne cessons jamais d’apprendre. C’est comme cela que nous nous rapprocherons de ce qui nous correspond le mieux. Et c’est aussi grâce à notre curiosité que nous serons adaptables tout au long de notre parcours.
Bref, non, la curiosité n’est pas un « vilain défaut ». Bien au contraire. C’est un merveilleux atout que nous nous devons de ne pas censurer. Quand on y pense, sans ma curiosité, je n’aurais pas écrit cet article. Et sans la vôtre, vous ne seriez pas en train de le lire. Sans la curiosité, nous ne vivrions pas les plus beaux voyages, de ceux qui nous emmènent sans crier gare vers de fabuleuses découvertes et les plus belles rencontres. Et qui a dit que le travail n’en était pas un ?
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Article édité par Eléa Foucher-Créteau
Photo by WTTJ
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