Peut-on compter sur l’intérim pour faire face à la crise ?

07 avr. 2021

5min

Peut-on compter sur l’intérim pour faire face à la crise ?
auteur.e
Coline de Silans

Journaliste indépendante

Le secteur de l’intérim n’a pas été épargné par la crise sanitaire : 185 000 emplois auraient disparu au cours de l’année 2020, selon le Baromètre Prismemploi, ce qui correspond à une baisse de 23,6% par rapport à 2019. Un chiffre qui en dit long sur la très forte dépendance de l’intérim aux fluctuations de l’activité économique. Avec des missions courtes et à durées modulables, des contrats faciles à prolonger ou interrompre, la souplesse qu’offre l’intérim peut vite se retourner contre les salariés en temps de crise. Pourtant, cette flexibilité pourrait aussi être vue comme un atout pour des entreprises dont les perspectives de recrutement sur le long terme demeurent incertaines. L’intérim pourrait-il alors être une solution pour faire face à la crise ? Pour en savoir plus, nous avons échangé avec Bruno Ducouré, économiste à l’OFCE, qui nous a fait part de ses analyses.

Qu’est-ce que l’intérim ?

Reprenons les bases. Selon la Dares, l’intérim « consiste à mettre à disposition provisoire d’entreprises clientes, des salariés qui, en fonction d’une rémunération convenue, sont embauchés et rémunérés à cet effet par l’entreprise de travail temporaire ». L’intérim est donc une forme de contrat triangulaire, entre une entreprise de travail temporaire, un salarié, et une entreprise cliente. Aujourd’hui, la durée maximale d’une mission en intérim est de 24 mois (et 36 mois pour de la formation en apprentissage).

Cette forme de travail est née à la fin des années 20 aux États-Unis. Elle doit son apparition à l’activité des dockers, embauchés pour décharger les bateaux naviguant sur les grands lacs du Wisconsin. Faute d’activités en hiver, les dockers quittaient la région pour trouver un emploi ailleurs, compliquant la tâche des entreprises portuaires, qui devaient à chaque saison estivale trouver de nouveaux employés. Pour fidéliser ses dockers, l’entreprise D.J Nugent eut alors l’idée de “louer” leurs services à d’autres entreprises lors des périodes hivernales. L’intérim était né.

Aujourd’hui l’intérim emploie plus de 2,5 millions de personnes en France, selon l’Observatoire de l’Interim et du Recrutement. Cette forme de contrat est couramment désignée comme “précaire” en raison de ses missions de courte durée, dont la date de terme peut varier, et des clauses spécifiques qui permettent à l’entreprise de proroger ou au contraire d’écourter le contrat sans préavis.

Parmi les intérimaires, on trouve en majorité des hommes, ouvriers, de moins de 35 ans. Outre les ouvriers, en 2018, 13% des intérimaires étaient des employés, 8% des professions intermédiaires, et 2% des cadres. Des statistiques qui pourraient bien être amenées à évoluer suite à la crise sanitaire.

Un secteur particulièrement touché par la crise

En effet, si la crise a frappé durement le marché de l’emploi, elle a été particulièrement dévastatrice pour le secteur de l’intérim. « L’intérim est très volatile, explique Bruno Ducouré, il dépend essentiellement du niveau d’activité des entreprises. Depuis plus de vingt ans, le nombre de salariés dans l’intérim évolue au rythme des fluctuations de l’activité économique. » Et quand l’activité économique s’effondre, c’est tout un secteur qui plonge. Lors du premier trimestre 2020, le secteur de l’intérim a connu un recul historique, soit -40,4%, atteignant ainsi son niveau le plus bas depuis 1998, selon la Dares.

Parmi les professions les plus touchées, les emplois qualifiés sont les plus concernés par cette baisse : les cadres, les professions intermédiaires, et les ouvriers qualifiés. Un phénomène qui pourrait s’expliquer par la généralisation du télétravail dans les services aux entreprises et dans la finance, qui rend la formation des intérimaires cadres plus compliquée à distance et sur de si courtes périodes de temps.

Certains secteurs de l’intérim sont aussi plus durement touchés que d’autre : l’hôtellerie et la restauration notamment, dont l’activité n’a toujours pas repris, mais aussi l’industrie aéronautique et automobile, habituellement friande de ce type de contrat.

Depuis le 25 mars 2020, les salariés en intérim ont aussi droit au chômage partiel. Ainsi, si leur mission a été interrompue par la crise parce que l’entreprise a fermé, ou y a mis un terme, ils ont droit à 84% de leur salaire net jusqu’à la fin de leur contrat de mission. À la différence d’un salarié classique en contrat permanent, qui touchera du chômage partiel le cas échéant jusqu’à reprise complète de l’activité, l’intérimaire ne peut en bénéficier que le temps de sa mission. Il pourra ensuite faire une demande de chômage “classique” auprès de Pôle Emploi s’ils se retrouvent sans mission, au même titre que n’importe quel salarié. Bon à savoir, depuis le 28 décembre, la demande d’allocations chômage peut être obtenue en ayant travaillé 88 jours au cours des 31 derniers mois (vs 130 jours sur les 24 derniers mois auparavant).

Si l’activité reprend de façon inégale selon les secteurs (la construction, par exemple, se redresse doucement), ce n’est pas pour autant que l’intérim devrait perdre en popularité dans les années qui viennent. « Nous sommes toujours 4 à 5% en dessous des niveaux d’activité générale d’avant crise, donc c’est tout à fait normal que les chiffres de l’intérim ne soient pas revenus à la normale, explique Bruno Ducouré. Je ne vois en tout cas pas pourquoi l’économie reprendrait sans que la courbe de l’intérim ne suive. » Et pour cause, l’intérim pourrait même s’avérer une forme d’embauche intéressante à l’heure où la visibilité à long terme reste floue pour bon nombre d’entreprises.

L’intérim, une solution pour contrer la crise ?

L’intérim a cet avantage que les profils des salariés sont sélectionnés au préalable par les agences afin de correspondre au mieux au besoin des entreprises. C’est ce qui explique que certains secteurs qui ont souvent besoin de savoir-faire particuliers, comme l’industrie ou la construction, vont opter pour cette forme d’emploi plutôt que pour des CDD. Pas de raisons donc, quand ces secteurs reprendront de façon plus marquée, que l’intérim ne reprenne pas. De là à dire que l’intérim pourrait être une solution pour redresser l’économie ? Pas nécessairement, selon Bruno Ducouré : « Déjà il y a des questions d’usage. Dans l’industrie et la construction, on a beaucoup recours à l’intérim, mais dans les services, le modèle de contrat court qui prévaut est le CDD. Ensuite, il ne faut pas oublier que l’intérim a un coût pour les entreprises, plus élevé que pour les CDD, puisque l’entreprise rémunère aussi l’agence qui lui a fourni le salarié. Enfin, dans l’hypothèse où l’économie reprendrait plus vite que prévu, nous pourrions supposer que les entreprises chercheraient plutôt à fidéliser leurs salariés, et donc à passer par des contrats stables plutôt que par l’intérim. »

Car c’est là toute l’ambiguïté de cette forme d’embauche, sa flexibilité la rend à la fois attractive en cas de besoins ponctuels et précis, et peu avantageuse lorsqu’il s’agit de former un salarié pour collaborer avec lui sur le long terme.

Sans compter la précarité que cette forme de contrat engendre pour les salariés, qui ont une visibilité très court-termiste de leur carrière et, par conséquent, de leur rémunération. C’est d’ailleurs pour contrer ce problème qu’a été créé en mars 2014 le CDI intérimaire. Ce contrat, signé entre un salarié et une agence d’intérim, permet aux individus d’être liés sur le long terme à une entreprise d’emploi temporaire, et de toucher une rémunération entre deux missions. Toutefois, il faut savoir que les missions proposées ne peuvent être refusées si elles correspondent au contrat du salarié, et que ce dernier est tenu de rester à la disposition de son agence, y compris en inter-contrat. Un CDI en demi-teinte donc, qui offre certes une plus grande visibilité aux salariés, mais vient avec des contraintes non négligeables.

Si l’intérim a connu des évolutions depuis sa création, avec notamment un effort fait pour limiter la précarisation des salariés, cette forme d’emploi reste l’apanage de secteurs bien précis, dont certains ont été plus touchés que d’autres par la crise. Particulièrement ralenties en 2020, les embauches en intérim devraient donc redécoller au rythme de la reprise de l’activité économique, sans pour autant être amenées à se substituer aux contrats longue durée. L’intérim peut donc apparaître séduisant de prime abord pour amorcer une sortie de crise, mais favoriser cette forme d’emploi ne sera pas nécessairement compatible avec une reprise rapide de l’économie.

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