Entretien d’embauche : comment lire le langage corporel d’un candidat ?
31 mai 2022
6min
Rédactrice indépendante.
Bras croisés, voix qui oscille, regard à droite… Le décryptage du non verbal s’est progressivement imposé dans les entretiens d’embauche. Ces gestes inconscients sont loin d’être insignifiants !
Le décryptage du non verbal s’est progressivement imposé dans les entretiens d’embauche jusqu’à se professionnaliser via des formations en synergologie. Mais un recruteur doit-il forcément s’intéresser au langage corporel pour se forger une opinion exhaustive sur un candidat ? Dans un contexte de plus en plus hybride, les avis divergent dans la sphère RH.
Non verbal et recrutement : pourquoi s’y intéresser ?
Il est commun d’entendre que la communication non verbale joue un rôle important dans nos échanges quotidiens. Mais que comporte-t-elle ? Elle désigne toute forme de communication en dehors de la parole, incluant les gestes, les attitudes, les mimiques, les regards, etc. Elle inclut également le son de la voix et l’élocution, les tenues vestimentaires ou encore la coiffure. Selon une règle appelée « règle des 3V », qui s’appuie sur des études publiées en 1967 par le professeur Albert Mehrabian, seule 7% d’une communication est verbale. 38% est vocale (l’intonation et le son de la voix) et 55% est visuelle (expression du visage et langage corporel). En tout, 93 % d’une communication serait non verbale ! Transposé à un entretien d’embauche, il est évident que savoir déceler ces éléments offre un accès inédit à la personnalité d’un·e candidat·e. Manuel Constant, synergologue et formateur en communication non verbale, corrobore : « Il s’agit d’un atout majeur pour un recruteur car un individu peut aisément contrôler l’usage de ses mots. Or, il ne peut empêcher son corps de manifester certains micro-comportements ». Comment devenir le/la profiler du recrutement et développer un œil de lynx pour le non verbal ?
Non verbal : professionnaliser son analyse grâce à la synergologie
Maîtriser le non verbal en RH ne s’improvise pas. Cela s’apprend au travers d’une discipline appelée la synergologie, qui s’appuie sur un lexique corporel précis. Marie Spitz, synergologue à Toulouse (on en compte 300 en France) précise : « Lorsque l’on évoque le Langage corporel, on l’associe souvent à la PNL (programmation neuro-linguistique). Ce qui n’a rien à voir ! Là où la PNL prescrit des gestes et postures pour paraître plus à l’aise sur scène, par exemple, la synergologie s’intéresse aux gestes, micro-réactions, micro-démangeaisons et postures non-conscients ou mi-conscients. Cette approche ne proscrit aucun geste : elle met en œuvre une méthode de classification de l’information non verbale ». Le travail du/de la synergologue est en partie de mener une distinction entre le langage verbal et le langage corporel pour aller chercher l’authenticité de la personne. Pour ce faire, il / elle s’appuie sur 1200 items (codifiés) reliés à une cartographie du corps (axes de tête, clignements des yeux, postures, bras croisés, positions de chaise, rictus ou encore microdémangeaisons, etc.). Si la série Lie to me a largement popularisé le décryptage du langage corporel, cette lecture ne date pas d’hier : « Le psychologue Paul Ekman fut l’un des pionniers comme Charles Darwin, auparavant, et Duchenne de Boulogne, qui ont étudié les émotions dans leurs relations aux expressions faciales et ce, de manière universelle », explique Marie Spitz. Ces méthodes de décryptage sont adoptées par de nombreuses organisations et industries, notamment le FBI, la NASA, Apple, Scotland Yard, Google ou encore Emirates.
Synergologie : trois bénéfices clés pour le recrutement
1. Éviter les erreurs de casting
La synergologie révèle des indices insoupçonnés sur le/la candidat·e, notamment via la mise en évidence de certaines incohérences entre le langage verbal et le langage corporel. Et c’est important pour éviter les mauvais castings qui coûtent chers à l’entreprise ! Pour autant, il ne s’agit pas de le/la recaler simplement parce qu’il/elle se gratte le nez ou la tête. Marie Spitz insiste : « La synergologie bannit tous les clichés. Ce n’est pas parce que le candidat baisse les yeux, qu’il a forcément quelque chose à se reprocher. Ou encore, les bras croisés ne veulent pas forcément dire que c’est une personne fermée. Au contraire, cela peut signifier qu’il laisse la place à l’autre pour s’exprimer. Cela dépend du contexte ». La grille de lecture corporelle couplée au message verbal met en évidence les incongruences clés. « Par exemple, si la personne explique qu’elle a développé telle ou telle compétence, mais qu’elle émet un rictus et que la lèvre supérieure gauche se lève, on peut y lire une certaine agressivité, notamment envers soi-même. Pour le recruteur, c’est le moment de creuser et de la questionner habilement pour qu’elle se livre davantage », confie la synergologue. Dans la même veine, l’intonation de la voix ou les micro-réactions sont des amplificateurs intéressants : « Si sa voix part dans les aigus, cela peut traduire un manque de sincérité. Ou encore si elle se gratte en haut de l’épaule à droite (derrière la base du cou plus précisément), peut-être que la charge lui semble trop lourde. Le recruteur pourra alors lui demander une confirmation sur certaines capacités dans le cas de telle ou telle prise de poste ». On pourra également déceler des non-dits liés à d’autres compétences, on lui laissera donc l’opportunité de les exposer.
2. Mener des entretiens adaptatifs et agiles
Le langage corporel offre la possibilité d’individualiser la manière de mener ses entretiens. Marie Spitz prend l’exemple des positions de chaise : « Si la personne en face de vous semble détendue, en arrière, sur le côté droit, cela peut signifier qu’elle est en fuite. Si elle se met sur le côté, à trois heures, c’est davantage de l’inconfort (contrôle de ses émotions). Si c’est à neuf heures, cela traduit de la méfiance, elle est sur le qui-vive ». Cette lecture est une mine d’informations pour ajuster le déroulé ou le discours de l’entretien. Manuel Constant, lui-même synergologue, défend ce point : « Le corps du candidat nous renseigne en permanence : stress, malaise, aversion, non-dit, etc. Même certains traits de personnalité sont repérables via le langage corporel. Mais ces indices ne sont qu’une piste exploratoire : ils servent de tremplin pour aller là où un canevas de questions ne peut aller ». Le/la recruteur·se peut alors rebondir face à certaines postures ou micro-démangeaisons afin de mieux s’adapter au/à la candidat·e. « C’est pourquoi, pour être efficace, l’entretien doit être jumelé à des techniques de questionnement stratégique permettant d’obtenir des informations inaccessibles », insiste le formateur.
3. Mieux exploiter le recrutement hybride
Depuis la crise sanitaire, les entretiens vidéo deviennent une étape incontournable de l’expérience candidat. Notamment la vidéo différée, qui prend de l’ampleur. Pourquoi un tel engouement ? Selon les chiffres du groupe iCIMS, cela est dû aux économies générées : elle réduit la durée de présélection de 50 %, qui se limite à 3 jours. Par ailleurs, la plus grande diversité des profils assure une short-list de meilleure qualité grâce à un nombre de réponses supérieur (25 %). Il est possible de tirer parti de ces vidéos grâce aux techniques d’analyse des synergologues. « Il m’arrive de travailler en tandem avec les recruteurs en analysant des vidéos enregistrées grâce à la technique du “ballon qui passe” : on s’arrête sur un item particulier pour décrypter sa signification », explique Marie Spitz. Autre avantage : « Si un doute est soulevé lors d’une vidéo, cela permet de mener le prochain entretien de manière plus ciblée et d’insister sur certains points en vue d’obtenir des informations complémentaires souvent précieuses. Dans le cadre d’une shortlist de candidats, par exemple, on perd moins de temps ». Cette approche collaborative du recrutement, enrichie par un œil aiguisé extérieur, offre à l’entreprise une vision plus « méta » des talents.
Non verbal : attention à ne pas se perdre dans le superficiel !
Roseline Laloupe, experte RH au sein du Lab Welcome to the Jungle, est plus mesurée quant à l’utilisation de cette lecture systématique du non verbal : « Je trouve que ça ne devrait pas être la priorité du recruteur lorsqu’il rencontre un candidat. Il y a suffisamment d’éléments empiriques qu’il peut utiliser pour décrypter la personne : son parcours scolaire, son expérience, ses réalisations passées, ses résultats à un cas pratique, ses tests de personnalité, ses recommandations, etc. Pour moi, analyser le non verbal est une approche superficielle du recrutement où l’on risque de perdre l’essentiel : le fond ». Roseline Laloupe met en garde sur un autre aspect : la dimension culturelle. « Tous les individus n’ont pas le même langage non verbal. En Occident, une poignée de main molle pourrait être interprétée comme un manque d’assurance là où dans un autre pays, elle serait interprétée comme une marque de respect ». Pour finir, dans un contexte de recrutement plus virtuel, les recruteur·ses doivent apprendre à décrypter les candidats derrière leurs écrans. Julie Clément, recruteuse depuis plus de quinze ans, est rodée à l’exercice des entretiens. Mais en visio, les messages sont facilement brouillés : « Il existe plein d’éléments perturbateurs dont il faut faire abstraction : le contexte, le bruit, les enfants, la décoration… Le distanciel a imposé une forme d’intrusion dans la vie des gens… ». Pour éviter les éléments perturbateurs, il faut davantage s’intéresser aux histoires et aux discours tout en apprenant à faire confiance à l’autre, d’après Roseline Laloupe. En ce sens, elle propose d’ajouter une ou deux étapes au processus : d’une part, proposer de courts cas pratiques. Puis, en complément, organiser une séquence afin de découvrir davantage le candidat : ses savoirs, savoir-faire et savoir-être.
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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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