Marque employeur : faut-il être prêt à tout pour séduire des candidats ?
09 févr. 2023
4min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
En 2022, 71 % des employeurs ont déclaré éprouver des difficultés à recruter. Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que la stratégie de marque employeur prenne de l’importance. Mais une marque employeur de façade peut rapidement vous nuire. Gare à l'effet boomerang !
Se mettre en scène comme un employeur ultra-séduisant avec des locaux où il fait bon vivre, une culture du travail douce où chacun peut s’épanouir et un rapport au travail qui fait la part belle à l’équilibre des temps de vie, sur le papier, c’est tentant. Dans les faits, en revanche, si le décalage entre l’image montrée aux candidats et la réalité vécue par les salariés est disproportionnée, façon « village Potemkine », cela peut coûter très cher. Pour la petite histoire, au XVIIIe siècle, le ministre russe Grigori Potemkine avait fait ériger de luxueuses façades en carton-pâte pour cacher la pauvreté des villages à l’impératrice Catherine II en visite en Crimée. On ignore à quel point les décors étaient effectivement factices (ou seulement enjolivés), toujours est-il que cette expression est restée pour désigner les trompe-l’œil créés à des fins de propagande.
S’inspirer de ces outils pour booster sa marque employeur, beaucoup d’entreprises le font à leurs risques et périls. Car face au décalage entre le carton-pâte et la réalité vécue, les salariés se démotivent à grande vitesse, jettent l’éponge, quittent leur emploi de plus en plus vite (parfois avant la fin de leur période d’essai) et « balancent » les employeurs les plus mensongers sur les réseaux sociaux, les forums ou auprès de leurs amis. Entre turnover élevé, name and shame et réputation toxique, la dissonance cognitive fait des ravages pour la marque employeur. Autant de raisons qui font qu’il faut absolument éviter le « village Potemkine », en restant notamment authentique dans sa communication.
Attirer les candidats… ou les faire rester
Pour Jérémy Clédat, CEO de Welcome to the Jungle, il n’y a pas de meilleure comparaison que les sites de rencontres amoureuses. « Quand vous vous inscrivez sur un site pour faire des rencontres, vous allez choisir une bonne photo de vous pour vous montrer sous votre meilleur jour. Mais si cette photo ne correspond en rien à ce à quoi vous ressemblez aujourd’hui, vous allez vous faire insulter à la première rencontre. On ne voudra pas vous voir une deuxième fois car le mensonge est rédhibitoire, explique-t-il. Il y a un juste équilibre à trouver entre le soin apporté à la création de votre profil (qui montre que vous respectez celui qui s’y intéresse) et la propagande qui vous fera passer pour malhonnête quand on vous rencontrera en vrai. »
En somme, à l’ère du règne de l’image sur les sites de rencontres (comme dans le recrutement), vous êtes face à un choix : soit vous attirez davantage de candidats au risque de faire des déçus lors de la rencontre (grâce à cette photo de vous d’il y a 20 ans), soit vous attirez moins de candidats en montrant une image plus fidèle de qui vous êtes (avec vos 5 kilos de plus maintenant). Ces derniers, moins nombreux, viennent néanmoins à vous pour de bonnes raisons et ont plus de chances de rester.
Pour les employeurs, c’est la même chose. Il est bien plus payant à moyen et long termes de ne pas céder aux sirènes du papier glacé du recrutement. On pense à tort qu’il faut forcément avoir des bureaux cool, des salariés jeunes et des modèles innovants pour attirer les candidats. En fait, n’importe quelle image authentique, si « ringarde » soit-elle, est perçue comme un bol d’air frais par ces toujours plus nombreux candidats rétifs au bullshit. Et puis, attirer c’est bien, mais avoir un second rendez-vous, c’est encore mieux. Les candidats qui partent avant la fin de la période d’essai (l’équivalent de ne pas solliciter un deuxième date) coûtent très cher à l’entreprise.
En France, en 2022, 1 salarié sur 2 envisage de quitter son entreprise pendant la période d’essai et 40% d’entre eux interrompent leur contrat au cours des six premiers mois. La raison principale ? La déconfiture après la découverte de ce qui se cache derrière le « village Potemkine ». La désillusion est d’autant plus violente que l’image idyllique est éloignée de la réalité. En poste, les candidats séduits se sentent trahis. Ils sont rapidement démotivés et éprouvent parfois une forme de ressentiment préjudiciable au rayonnement de la marque employeur.
3 règles d’or pour éviter l’effet « village Potemkine »
Ne pas confondre profil soigné et profil mensonger
Embaucher des photographes et rédacteurs talentueux et des professionnels de la communication, c’est une bonne chose. Soigner sa présentation, mettre les moyens pour mettre au point une vitrine fidèle et séduisante de ce que vous avez à offrir aux candidats, c’est un signe de respect pour ces derniers. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut que cette image soit conforme à l’idée stéréotypée que l’on se fait d’une entreprise « à la mode ». Le plus important ? Qu’il n’y ait pas de discours fallacieux sur les valeurs, l’organisation du travail, les espaces et la réalité de la culture…
Miser sur un ton décalé et authentique
Vous n’avez pas d’open space ultra cool comme ceux mis en scène par vos concurrents ? Qu’importe ! D’une part, ceux de vos concurrents ne sont peut-être eux-mêmes que des « villages Potemkine », d’autre part, il ne faudrait pas sous-estimer le pouvoir d’attraction des espaces « ringards » : un bureau fermé et bien insonorisé, par exemple, ça plaît ! La hype, c’est fatigant. Alors que les GAFAM licencient en masse et maltraitent leurs salariés, tout ce qui rappelle la Silicon Valley est désormais beaucoup moins attirant qu’on ne croît. Vous n’avez pas idée à quel point l’absence de bullshit fait envie !
Confier les rênes aux salariés, dans toute leur diversité
Votre équipe n’a pas 25 ans d’âge moyen ? On vous en dira merci. Nous avons tous besoin de rôles modèles plus âgés (et de se sentir mieux représentés). Si vous proposez des carrières sur la durée, montrez les individus qui les incarnent ! Et offrez leur la possibilité d’exprimer leur vulnérabilité. Les posts parfaitement maîtrisés sur les réseaux sociaux semblent factices et forcés (comme s’ils étaient le fruit de consignes précises exécutées par des salariés qui ne veulent pas fâcher leurs supérieurs). Il est essentiel d’éviter les photos de stocks d’images corporate lisses de gens qui sourient avec des dents parfaites. Quoi que vous fassiez, montrez-vous avec toutes vos imperfections, car il n’y a finalement rien de plus charmant !
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Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ.
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