« Ça va pas le faire » : ils ont quitté leur poste pendant la période d’essai

25 juin 2024

6min

« Ça va pas le faire » : ils ont quitté leur poste pendant la période d’essai
auteur.econtributeur.e

On considère souvent n’être réellement embauché qu’après avoir validé sa période d’essai. Que jusque-là rien n’est acquis, vu qu’on peut nous remercier du jour au lendemain. Mais on pense moins à un autre cas de figure, pourtant courant : le salarié qui lui aussi peut revenir sur son embauche, et recaler son employeur après une entrée en matière tiède, voire carrément froide. Rencontre avec celles et ceux qui, à peine arrivés, ont préféré remballer leurs cartons.

38% des employés ont déjà rompu une période d’essai au moins une fois. C’est ce que révèle une étude menée par la plateforme française HeyTeam auprès de 500 personnes en CDI, rappelant dans le même temps, que la période d’essai est loin d’être faite uniquement pour les employeurs. Sorte de délai pré-engagement, elle est un outil précieux pour se jauger mutuellement avant de se dire oui, pour le meilleur et pour le pire. En effet, durant cette période, le salarié reste libre de rompre son contrat sans justification, en respectant un délai de prévenance – de 24h s’il reste moins de 8 jours dans l’entreprise, 48h s’il y passe plus de 8 jours. Sauf exception, partir avant la fin de la période d’essai implique toutefois de faire une croix sur ses droits au chômage, puisque cette rupture de contrat est considérée comme une démission. Bien sûr, les raisons de quitter prématurément le navire sont diverses : une mauvaise relation avec son N+1, des missions qui ne correspondent pas à la fiche de poste, une meilleure offre qui se présente… Autant d’histoires différentes que nous racontent ces salariés qui, après un passage express au sein d’ une entreprise, ont vite plié bagage avant de trop s’engager.

« Même si c’était ma décision de partir, j’ai mal vécu cette rupture de contrat », Marion, 41 ans, professeure de français

J’ai passé 18 ans à l’étranger où je donnais des cours de français et à mon retour en France, j’ai continué à donner mes cours en ligne, mais mes horaires étaient complètement décalées. J’ai postulé dans plusieurs écoles, dont une qui m’a proposé un poste que j’ai accepté. Quand j’ai commencé, j’ai vite compris que ça n’allait pas le faire : je trouvais leurs méthodes rétrogrades et les décisions ne convenaient à personne mais n’étaient jamais remises en question. Sans compter une intégration rendue difficile étant donné qu’on ne devait pas parler en salle des profs. Quand j’ouvrais la bouche on me lançait un « chut ! », ou on me répondait : « parle plutôt sur Slack », « regarde dans le drive »… L’ambiance était très perso, et quand je proposais des gâteaux à tout le monde, j’avais l’impression d’être le clown de la boîte. Moi qui avais choisi de donner des cours dans une structure pour rencontrer du monde après 20 ans passés à l’étranger, l’accueil s’est avéré glacial !

Aller travailler est devenu compliqué, je partais à l’école angoissée, parfois en pleurs. J’ai demandé à voir ma supérieure à plusieurs reprises pour lui faire part de mon souhait de partir mais elle ne s’est jamais rendue disponible, alors j’ai préparé une lettre à lui porter un matin. Ce jour-là je suis venue plus tôt, je n’en avais pas dormi de la nuit, je tremblais en arrivant… pour apprendre qu’elle avait pris un jour de repos sans prévenir. Je suis restée les bras ballants avec ma lettre que j’ai finalement déposée sur son bureau, dégoûtée : c’était l’anticlimax total ! Elle m’a reçu deux jours plus tard avec les larmes aux yeux alors que c’était Lady Glagla pendant un mois, me soutenant qu’elle ne comprenait pas ma décision et qu’elle était très déçue. J’ai préféré rester évasive et lui dire que je ne me sentais pas adaptée à l’entreprise. J’ai opté pour le classique : « C’est pas toi, c’est moi ». Etrangement, même si c’était ma décision de partir, j’ai mal vécu cette rupture de contrat que j’ai longtemps perçue comme un échec.

« Je faisais tout… sauf ce pour quoi j’avais été embauché », Victor, 31 ans, administrateur informatique

Il y a une dizaine d’années, à la fin de mes études, je me suis engagé dans un hôtel 5 étoiles à Paris pour une alternance de deux ans. Le problème ? J’étais censé faire de l’informatique mais je faisais tout… sauf de l’informatique. Le matin, je commençais par faire la tournée de l’hôtel pour vérifier que tout allait bien, remplacer les ampoules grillées et voir s’il y avait des choses à bricoler. L’après-midi, j’installais du matériel de sonorisation pour des salons et je gérais l’éclairage. En parallèle, je partais réparer une clim dans la chambre d’un client mécontent, j’étais envoyé pour déboucher des toilettes… Sauf que je n’étais ni climatiseur, ni plombier, ni électricien et je ne comptais pas assumer ces missions durant deux ans. J’avais beau m’entendre très bien avec ma cheffe, elle a très mal reçu la nouvelle de mon départ : elle ne se rendait pas compte que mes missions étaient à côté de la plaque, et elle a fait la tête jusqu’à mon dernier jour. Dans le même temps, une autre de mes candidatures a été acceptée ailleurs, ce qui tombait très bien : j’ai pu mettre fin à ma période d’essai l’esprit serein. Ce n’était pas l’idéal pour une première expérience, mais j’ai appris à prendre les décisions dont j’avais besoin, et de préférence sans trop me mouiller : je ne quitte jamais un poste sans avoir un autre plan sous le coude.

« Ça sentait mauvais, donc j’ai prolongé ma période d’essai », Pauline, 31 ans, neuropsychologue spécialisée dans le développement de l’enfant

Après avoir quitté mon poste de psychologue en libéral je cherchais à intégrer une équipe pluridisciplinaire quand je suis tombée sur une annonce dans un centre d’action médico-sociale précoce pour enfants polyhandicapés qui recherchait une neuropsychologue. Le poste avait l’air sympa donc j’ai décidé de sortir de ma zone de confort et de me lancer, mais j’ai vite réalisé qu’il y avait de gros soucis d’entente entre l’équipe et la direction. Tout le monde souffrait et ruminait sans faire remonter ses plaintes, et ces non-dits se répercutaient sur l’ambiance dans les couloirs, qui était pesante. Après deux mois dans le centre, et comme ça sentait mauvais, j’ai demandé à prolonger ma période d’essai. Je n’avais pas encore eu le temps de vraiment prendre en charge les enfants, donc j’ai avancé cet argument. Spoiler alert : le climat interne ne s’est pas amélioré avec le temps. J’ai finalement appris que j’étais enceinte, ce qui a entériné ma décision : je ne voulais pas stresser mon bébé et je préférais arrêter malgré le bon salaire. Au moment de partir, j’ai été transparente sur les raisons de mon départ en espérant provoquer un déclic qui pourrait améliorer les conditions de travail de ceux qui restaient mais j’ignore si cela a changé la donne. Avec l’expérience, je vois les périodes d’essai vraiment différemment : c’est aussi un moyen pour moi de savoir si un poste me convient et si je veux me lancer dans cette aventure. Depuis que j’ai adopté cette vision, je trouve les débuts dans un nouveau poste beaucoup plus légers.

« C’est moi qui lui ai annoncé que ça n’allait pas le faire », Guillemette, 42 ans, responsable administrative

À 20 ans, j’ai été recrutée dans un supermarché pour faire du réassort dans les rayons. Ça a mal commencé dès le premier jour, lorsque la personne qui me recevait m’a lancé : « Je n’avais pas vu que vous aviez un piercing au nez, si j’avais remarqué ça sur votre CV je ne vous aurais pas embauchée ». J’ai accepté d’enlever mon piercing pour travailler, mais l’ambiance est restée exécrable : j’étais systématiquement surveillée et contrôlée, alors que j’avais un bon contact avec les clients et que je faisais bien mon travail. À l’issue de la période d’essai, ma supérieure était prête à signer mon CDD, mais c’est moi qui lui ai annoncé que ça n’allait pas le faire. Très stupéfaite, elle m’a demandé mes raisons, mais j’ai préféré rester vague plutôt que de la pointer du doigt. La période d’essai est un outil rassurant pour jauger un poste et un employeur, et c’est aussi un moyen de maintenir ses recherches d’emploi au cas où ce test ne s’avère pas concluant !

« Pendant plusieurs semaines, j’ai cumulé deux temps plein pour faire mon choix », Vincent(1), 40 ans, ingénieur informatique

Quelque temps avant le Covid, j’étais dans un passage à vide professionnel, cherchant du boulot un peu à droite et à gauche, lorsque j’ai trouvé deux postes intéressants : le premier dans une entreprise événementielle dans la tech et le second dans un bar à jeux. Le premier était plus stimulant et payait beaucoup plus, mais j’avais très envie de tenter l’expérience du bar à jeux, alors ne pouvant choisir, j’ai signé pour les deux postes. Pendant cette double période d’essai, j’ai cumulé des semaines à 80 heures : je passais mes journées dans la start-up avec des horaires de bureaux classiques, et les soirs et les week-ends j’enfilais ma casquette de barman. L’ambiance au bar était vraiment sympa mais sans surprise, le poste en start-up était le plus viable pour moi, et à la fin de ma période d’essai j’ai annoncé au patron du bar que je ne resterai pas. Il était déçu parce qu’il comptait bien me garder, mais il savait que je menais deux boulots de front et qu’il s’agissait d’un choix stratégique de ma part. C’est l’avantage d’être formé et d’avoir des compétences : on peut se permettre d’être plus regardant au moment de s’engager.

(1)Le prénom a été modifié.
Article rédigé par Pauline Allione et édité par Aurélie Cerffond ; photo de Thomas Decamps.

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