Offres d'emploi sans salaire indiqué : comment postuler sans perdre son temps ?

19 avr. 2021

6min

Offres d'emploi sans salaire indiqué : comment postuler sans perdre son temps ?
auteur.e
Gabrielle de Loynes

Rédacteur & Photographe

Elle fait partie du top trois des motivations pour aller travailler et c’est pourtant la grande oubliée des offres d’emploi. Expériences, compétences, missions, attentes de l’entreprise, tout ce qui fait le poste est largement détaillé, mais pour ce qui est de la rémunération, dans la plupart de cas, il faudra repasser. Jusqu’à l’entretien, le sujet est tabou, omis, banni. Le salaire est « Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom ».

Une simple recherche sur le Net et on s’aperçoit que les offres indiquant une fourchette de rémunération sont minoritaires, voire inexistantes. Pourquoi ? Est-ce une stratégie du recruteur pour débaucher au meilleur prix ? Ou une manière de chasser à couvert sans dévoiler la politique salariale de l’entreprise ? Déroutante, cette pratique conduit bien trop souvent le candidat à postuler à une offre d’emploi qui ne lui correspond pas et donc à faire fausse route. Alors comment éviter cette perte de temps ? Et que retenir de cette pratique ? Discussion sans langue de bois avec Marie-Agnès Deharveng, ancienne chasseuse de tête chez Michael Page, aujourd’hui Talent Manager chez Early Metrics.

Offre d’emploi à trous : le salaire tabou ?

En France, la majorité des offres d’emploi vous font l’effet d’un texte à trous. Arrivé à la ligne « rémunération », généralement deux choix s’offrent à vous : soit, c’est le vide intersidéral avec la mention lapidaire « salaire non communiqué », soit vous devez faire face à une formule creuse telle que « rémunération attractive », « salaire à négocier », « rémunération selon le profil/ l’expérience ». Le suspens est entier, à vous de faire preuve d’imagination pour combler les blancs.

Cette pratique étonnante ne date pourtant pas d’hier. Depuis fort longtemps, en France, le salaire est tabou. Qu’il s’agisse d’une discussion informelle entre amis ou collègues, ou d’un premier contact avec un recruteur, on ne parle pas (ou peu) d’argent. Une omerta que l’on doit notamment à notre culture chrétienne et philosophique. C’est une « spécificité française », remarque Marie-Agnès Deharveng, pour qui les « américains sont bien plus décomplexés ». Alors que nos voisins anglo-saxons ne s’embarrassent pas avec le sujet, annonçant d’emblée la rémunération sur les offres d’emploi, la France et, plus largement, les pays latins rechignent à lever le voile sur ce salaire que l’on ne saurait voir. Si l’on note une timide progression des offres d’emploi à fourchette de salaires, la grande majorité des annonces demeure muette sur la question de la rémunération.

Pas de salaire : pourquoi les recruteurs font ce choix ?

Au-delà de la pudeur, lorsqu’on se place du côté du recruteur, il faut reconnaître que l’annonce officielle d’un salaire n’a rien d’évident. Et pour cause, au sein d’une entreprise les écarts de salaires peuvent être conséquents, y compris entre collaborateurs occupant un poste équivalent. Afficher publiquement une fourchette de salaires dans une offre d’emploi reviendrait ainsi à ouvrir la boîte de Pandore…

Masquer un manque de transparence des politiques salariales au sein d’une entreprise, mettre en concurrence des profils, garder le champ libre pour négocier, “profiter” de la tendance des candidats à se sous-estimer… « Toutes ces motivations peuvent inciter un recruteur à flouter la rémunération sur une offre d’emploi, explique Marie-Agnès Deharveng. Alors que les cabinets de recrutement pratiquent systématiquement la politique de la fourchette de salaires pour attirer le plus grand nombre de talents, les entreprises restent très minoritaires à le faire, en particulier les grosses entreprises, à l’historique plus long et aux écarts de salaires importants. »

Bien peu nombreuses sont les entreprises qui se lancent dans le vaste chantier de la transparence salariale. Un pari qu’a récemment relevé la start-up Shine, la néo-banque dédiée aux indépendants, qui a pour philosophie de mentionner sur ses offres d’emploi une fourchette de salaires et de communiquer publiquement sa grille salariale sur son site Internet. Une politique de transparence que Marie-Agnès Deharveng a également conservé de son passage chez Michael Page : « Être transparent sur la rémunération dès l’offre d’emploi, en mentionnant une fourchette de salaires, cela permet de s’assurer que les candidatures que l’on va recevoir sont dans les clous en termes de mobilité, de rémunération et de disponibilités, justifie-t-elle. Plus on détaille une offre, plus on a de chance de recevoir des candidats ciblés en entretien. Pour le candidat, comme pour le recruteur, c’est un gain de temps ! »

Déroutant, rageant, perte de temps…

En tant que candidat, on a beau faire l’effort de se mettre à la place du recruteur, la politique de la case vide face à la rémunération a tendance à nous agacer. « Je comprends que cela soit déroutant, reconnaît la Marie-Agnès Deharveng. Cela peut engendrer une énorme perte de temps. On postule à une offre d’emploi, on se rend en entretien et, au bout du compte, on s’aperçoit que l’entreprise n’est pas du tout alignée avec le marché. Parfois il y a un gap énorme entre la politique salariale et les grilles de salaires habituelles ! Si on candidate à l’aveugle et qu’on est, sans le savoir, en dehors des clous – prétentions salariales trop élevées – c’est frustrant car, à mesure des entretiens, on se motive et on risque de subir une importante déception à la fin. »

À combien d’offres d’emploi avez-vous répondu, pensant qu’on vous annoncerait un salaire décent ? N’avez-vous jamais été dépité en apprenant la rémunération réellement proposée ? « Pour les candidats, reprend la DRH, c’est rassurant d’avoir accès à une fourchette de salaires pour savoir si l’on peut se positionner. Cette fourchette est fournie à titre indicatif, elle n’est pas figée. Cela ne doit pas empêcher les candidats qui ont des prétentions salariales plus élevées de postuler car, on ne refuse pas un candidat sur sa seule rémunération, on va toujours chercher le bon équilibre entre expérience, compétences et rémunération. »

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Rémunération : comment se faire une idée avant de postuler ?

Il existe tout de même quelques moyens d’estimer le salaire correspondant à un type de poste. Si l’offre d’emploi reste muette à ce sujet, elle fournit par ailleurs quelques indices qui devraient vous mettre sur la piste…

1. Glaner des indices quand c’est possible…

D’abord, « les informations les plus importantes figurent toujours sur l’offre d’emploi, observe Marie-Agnès Deharveng. On y retrouve les aptitudes recherchées, les attentes de l’entreprise, les compétences et l’expérience requises. Tout cela donne des indices. Par exemple, il est évident qu’un junior ne bénéficiera pas du même salaire qu’un senior. » Toutes ces données mises bout à bout doivent vous permettre d’identifier le profil recherché. Ensuite, vous pouvez vous reporter aux grilles de salaires correspondant au poste offert. De nombreux cabinets de recrutement en proposent chaque année. « Aussi, complète la DRH, il est possible de se rendre sur le site Glassdoor qui fournit parfois des informations sur les salaires pratiqués dans une entreprise donnée. » Enfin, demandez-vous s’il s’agit d’une petite ou d’une grosse structure, leurs budgets seront probablement différents. Et qu’en est-il des avantages proposés ? Certaines entreprises proposent un package (mutuelle, tickets restaurant, chèques vacances, télétravail, primes). Très attractif, ce type d’avantages est généralement annoncé dès l’offre d’emploi. S’ils n’y figurent pas, c’est probablement que vous pouvez les oublier… Mais on ne sait jamais !

2. Savoir fixer sa propre valeur

Si malgré votre enquête, vous n’avez toujours pas idée de la fourchette de salaires proposée, inversez la problématique. « Le mieux, c’est de savoir ce que vous valez sur le marché, affirme Marie-Agnès Deharveng. Postulez en gardant en tête une fourchette de salaires préétablie en dessous de laquelle vous ne pourrez pas descendre. L’entretien de recrutement est encore considéré à tort comme un rendez-vous où l’entreprise a le dessus, or ce n’est pas le cas. Il s’agit seulement de faire connaissance, d’exprimer chacun ses attentes et de voir si cela correspond. Parmi les attentes du candidat, il y a forcément des attentes salariales. Tout n’est qu’une question de mesure. »

3. Oser poser la question à l’issue de l’entretien

Allez-y en douceur. Passer un coup de téléphone au recruteur avant de postuler pour connaître le salaire proposé « c’est touchy », met en garde la DRH, voire même « clairement déconseillé ». Il y a un temps pour tout. « Je n’aime pas qu’on me pose d’emblée la question du salaire au début de l’entretien, reconnaît-elle, cela n’a pas d’intérêt car le recrutement se fonde d’abord sur les attentes respectives de chacun, sur les compétences recherchées et l’expérience. Tout cela conditionne le salaire proposé. Et le recruteur est souvent prêt à le faire évoluer selon que le talent qui se présente dispose d’une véritable expertise ou d’une expérience particulière. » Finalement, ce salaire dont nous sommes tant à l’affût, ne serait qu’indicatif… Et quand l’entreprise croise un incroyable talent, n’est-elle pas prête à y mettre le prix pour se l’offrir ?

À un moment donné, la question de la rémunération finit bien par revenir sur le tapis. Qu’elle soit annoncée dans l’offre d’emploi ou tenue secrète, Marie-Agnès Deharveng la pose systématiquement à l’issue du premier entretien. « Concrètement, je demande au candidat quelle est sa rémunération actuelle et celle souhaitée, détaille-t-elle. Cela permet à chacun de savoir si on est dans les clous. » Et si le recruteur reste muet comme une carpe, étouffant le sujet de la rémunération jusqu’au bout ? C’est qu’il est temps de lui délier la langue ! « Vous pouvez parfaitement l’interroger, insiste la DRH. Dites-lui que vous êtes très intéressé·e par ce poste mais que vous souhaitez savoir si vous êtes alignés sur la rémunération. Donnez-lui votre rémunération actuelle et souhaitée et voyez s’il décide d’avancer en connaissance de cause. »

Tout compte fait, il semble que chacun ait à gagner à se montrer plus transparent. Annoncer un salaire médiocre en bout de piste c’est, pour le recruteur, prendre le risque « de perdre un bon candidat, ou de décrédibiliser son entreprise et sa marque employeur, alerte la DRH. Le candidat, quant à lui, reste sur sa fin. Tôt ou tard, il finira par s’apercevoir que son salaire est en dessous du marché et il ressentira une grande frustration. » Alors, autant la jouer franc jeu, poser cartes sur table dès le début et montrer ses atouts. Car, au fond, personne n’est dupe et, à vouloir trop bluffer, le recruteur risque de voir plus d’un talent lui échapper…

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