Enquête : dans certains pays, les femmes gagneraient plus que les hommes...
05 févr. 2019
6min
Freelance @ Communication numérique
Au mois de novembre 2018, l’Organisation Mondiale du Travail (OIT) a publié son rapport annuel dédié aux salaires dans le monde. Sans surprise, il en ressort une inégalité femme-homme flagrante en ce qui concerne la rémunération. Ainsi, la différence de salaire mondiale entre les genres est de 20% à l’avantage des hommes. En revanche, certaines conclusions du rapport nous ont interpellés : il existerait des pays où les femmes seraient mieux rémunérées que les hommes… L’OIT met ainsi en avant les Philippines, où les femmes gagneraient en moyenne 10,3% de plus que les hommes, mais aussi le Panama, la Tunisie, l’Équateur et l’Albanie. Ces États semblent avoir peu en commun, hormis le fait qu’ils ne sont pas de grandes puissances mondiales, et cet écart de salaire en faveur de leurs citoyennes… Écart d’autant plus étonnant qu’ils n’ont pas l’air de faire de l’égalité entre les sexes leur priorité, les droits des femmes y étant relativement limités (avortement sous condition, congés maternité peu avantageux et congés paternité quasi-inexistants, violences faites aux femmes…). Ont-ils vraiment réussi à créer une société qui favorise les femmes, alors que même les pays nordiques, connus pour leurs politiques égalitaristes, ont échoué à éradiquer cette différence salariale ? Existe-t-il réellement des pays où les femmes seraient plus privilégiées que les hommes ? On s’est plongé dans cette étude, pour essayer de trouver des réponses à ces questions.
Des sociétés où les femmes sont encouragées à travailler
Comment expliquer que cette petite poignée de pays, le Panama, la Tunisie, l’Équateur et l’Albanie donc, se dégage du lot ? Notons déjà que dans tous ces pays, les femmes sont bien plus diplômées que les hommes : aux Philippines, 40% des femmes actives sont allées à l’université, contre seulement 30% pour la population active masculine, elles sont plus de 32% au Panama, soit le double de leurs homologues masculins, 47% en Equateur contre seulement 30% des hommes, presque 60% en Albanie pour moitié moins d’hommes et enfin elles sont 31% en Tunisie contre 16% pour les hommes actifs. Mais ces différences de niveau d’éducation se retrouvent aussi dans de nombreux pays, comme en France, sans qu’elles aient pu enrayer l’inégalité salariale.
À ce haut niveau scolaire s’ajoute un environnement favorable à l’épanouissement professionnel des femmes : ainsi, en 2017 aux Philippines, 40% des femmes occupent un poste à responsabilités, et le pays a été classé 10ème par le World Economic Forum dans leur étude sur la parité dans le monde (soit une place devant la France, 11ème). Notons que tous les pays dont nous parlons se classent dans le premier tiers du classement (l’Albanie arrive 38e, l’Équateur est 42e et le Panama juste après, à la 43e place), exceptée la Tunisie, qui arrive elle à la 112e place.
Elles sont aussi bien présentes dans la sphère politique. Les Philippines sont le premier État asiatique à avoir eu une femme présidente, Corazon Aquino élue en 1986, expérience renouvelée en 2001 avec Gloria Macapagal-Arroyo, qui resta à la tête du pays jusqu’en 2010. Au Panama, Mireya Morosco a été élue présidente en 1999 et Isabel de Saint-Malo est vice-présidente depuis 2014. Les femmes représentent 38% des députés en Equateur, 31% en Tunisie et 28% en Albanie. Si la parité est loin d’être atteinte, les femmes de ces pays réussissent quand même à s’imposer dans le monde de l’entreprise comme celui de la politique.
Des mères de famille qui font carrière
Comme on le sait, c’est souvent le premier enfant qui détermine les inégalités de salaire entre hommes et femmes. Tandis que les pères continuent de travailler, les mères prennent un congé maternité, mettent leur carrière sur pause et reprennent parfois le travail à temps partiel. Alors, comment ces femmes évitent-elles que l’arrivée de leur enfant se transforme en sacrifice professionnel ? Elles ne se reposent en tous cas pas sur les crèches et maternelles publiques, quasi-inexistantes, ni sur les institutions privées hors-de-prix (au Panama, l’inscription seule peut se chiffrer à 8 000 dollars !). Et non, ce ne sont malheureusement pas les pères qui prennent le relais : les mères qui travaillent engagent des nounous, dont les salaires défient toute compétitivité. C’est la solution privilégiée par les femmes cadres aux Philippines : « Sans les domestiques, j’aurais dû arrêter de travailler », confie Sony Gavilia, superviseure au Ministère de l’Emploi au journal La Croix. Les Philippines sont d’ailleurs l’un des seuls pays au monde où les femmes qui travaillent ne sont pas pénalisées par la naissance d’un enfant, comme le démontre l’étude l’OIT : les femmes reprennent leur travail très rapidement après avoir donné naissance. On retrouve ce recours aux domestiques en Équateur et au Panama. En Tunisie, les femmes représentent 60% des travailleurs domestiques. La liberté de la femme passe parfois par l’exploitation d’autres femmes, plus pauvres.
« Sans les domestiques, j’aurais dû arrêter de travailler » - Sony Gavilia, superviseure au Ministère de l’Emploi au journal La Croix
Des pays où les droits des femmes restent limités
D’abord, il est nécessaire de convenir que même si la différence de salaire est en faveur des femmes, la situation de ces dernières dans les pays concernés est loin d’être idéale. Les violences faites aux femmes sont telles en Amérique Latine, que le Panama et l’Equateur - entre autres pays de la zone - ont intégré la notion de “féminicide” à leur code pénal, soit “le meurtre d’une femme en raison de sa condition féminine”. Sur le continent, 2 254 femmes en ont été victimes en 2017. En Tunisie, 30% des femmes disent avoir été victimes de violences physiques selon une enquête menée en 2010. Si l’avortement y est légal depuis 1973 (avant même la France), et gratuit, ce n’est pas le cas aux Philippines, en Equateur ou au Panama. Complètement illégal aux Philippines, il y est autorisé sous conditions en Equateur et au Panama. Et en Albanie, l’avortement est légal certes, mais conduit les mères à y avoir recours quand le bébé est une fille, les femmes n’étant pas les bienvenues dans la société. Le pays a en plus la triste réputation de plaque tournante du trafic d’êtres humains, et notamment de femmes, contraintes à la prostitution.
Un réel avantage salarial pour les femmes ou de la poudre aux yeux ?
Enfin, une question se pose : gagnent-elles vraiment plus que les hommes ? Il est important de noter que le premier chiffre retenu dans l’étude de l’OIT est le taux de différence salariale brut. Un taux qui, comme expliqué dans l’étude elle-même, n’est peut-être pas la meilleure donnée pour mesurer les inégalités salariales entre les genres. Les chercheurs expliquent que la différence salariale brute, qu’ils qualifient aussi de “non-pondérée” peut s’expliquer par des facteurs multiples, qui ne sont pas pris en compte dans le calcul : le niveau scolaire, une plus forte représentation des femmes dans les secteurs à bas salaire ou dans les emplois à temps partiel, en plus de la discrimination salariale femmes-hommes pure et dure. L’OIT propose une alternative : étudier les différences de salaire au cas par cas, en fonction des âges, des niveaux d’étude, du nombre d’heures de travail, afin de pouvoir finalement comparer ce qui est comparable. Et c’est là que tout bascule : avec ce nouveau taux, appelé taux de différence salariale pondéré, pratiquement tous les pays concernés par un écart salarial bénéficiant aux femmes, se retrouvent avec une différence salariale en faveur… des hommes ! En Équateur et au Panama, les hommes gagnent en fait 10% de plus que les femmes. Une différence qui s’élève à 11% en Albanie, et à 15% aux Philippines !
La Tunisie, l’exception des exceptions ?
Pour celles et ceux qui suivent, vous aurez noté que la Tunisie est le seul pays qui conserve une différence salariale en faveur des femmes avec le taux pondéré : celles-ci gagneraient en moyenne 5% de plus que les hommes. Alors, les Tunisiennes gagnent-elles plus que leurs homologues masculins ? Pas vraiment. Il n’y a en fait que 30% des Tunisiennes en âge de travailler qui travaillent officiellement (contre plus de 78% des hommes) ! Dans les autres pays concernés, le taux de femmes qui travaillent tourne autour de 50%, ce qui permet de recueillir bien plus de données. La Tunisie subit donc de plein fouet le “small sample bias effect” : les chercheurs expliquent que si la quantité de données étudiées est réduite, les résultats peuvent être faussés car des cas exceptionnels peuvent prendre une importance non-représentative. Ils ajoutent que dans certains pays, il n’y aucune représentation des femmes dans les catégories des plus bas salaires, mais qu’elles sont bien présentes dans la catégorie des plus hauts revenus. Cette différence de 5% est donc complètement artificielle : le travail des femmes issues des classes populaires n’est pas pris en compte. Non, les femmes tunisiennes ne gagnent pas plus que les Tunisiens.
Le travail invisible des femmes des classes populaires
Le travail non-déclaré est donc bel et bien responsable de ce retournement de situation. Non moins de 50% des travailleurs (et travailleuses) seraient concernés dans le monde, et donc non-comptabilisés dans ces calculs. Et les femmes des classes populaires sont les premières touchées : celles-ci, du fait de leur faible niveau d’étude, se retrouvent exclues du marché du travail officiel. Elles évoluent en tant que domestiques non déclarées, aident leur mari agriculteur, exercent des activités à faible revenus mais à leur propre compte, ou s’occupent de leur maison et de leur famille. Les femmes qui travaillent officiellement sont les plus éduquées et/ou celles qui peuvent investir dans un mode de garde, et ce sont leurs salaires qui sont comptabilisés dans le taux de différence salariale brut en faveur des femmes : tandis que les revenus de tous les hommes (classes populaires et classes supérieures) sont comptabilisés, seuls les hauts revenus des femmes sont pris en compte, ce qui fausse le calcul de cette différence salariale.
Il est donc improbable qu’il existe ne serait-ce qu’un pays dans le monde où l’égalité salariale entre les genres soit acquise, et encore moins une différence en faveur des femmes. Si on peut compter sur quelques bons élèves comme la Belgique, la Hollande ou la Suède, qui réussissent à réduire ces différences de salaire, un chiffre qui illustre mieux la réalité est peut-être celui-ci : 2186, soit l’année où l’égalité salariale entre les genres serait enfin atteinte, si on se base sur le rythme de l’évolution de ces dernières années…
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Photo by WTTJ*
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