« En recherche d'emploi, la peur d'être "solo" n'est jamais un bon guide »
12 oct. 2021
7min
Consultante et influenceuse RH spécialiste en marque employeur et création d’identité professionnelle
Ne pas avoir de job pendant un certain temps, beaucoup de professionnels sont passés par là. À première vue, pas très agréable. Cette période chamboule notre esprit et réveille une chose bien précise : la peur d’être solo et de ne pas trouver chaussure à son pied. Pour ne pas finir seul·e avec ses chats, on redouble d’efforts, mais cela nous pousse-t-il à faire de bons ou de mauvais choix ?
Quand la peur s’installe avant l’heure…
« Roseline, je veux que tu m’aides à décrocher un emploi pour la semaine pro ! » C’était en 2020 et cette chercheuse d’emploi, Sophie, voyait en moi une magicienne… Or je suis une RH qui fait de l’accompagnement professionnel. Mon truc : donner des clefs pour trouver le job qui nous correspond. La peur d’être solo avait tout simplement pris le contrôle de son esprit et parlait à sa place. En effet, en 4 semaines, elle n’avait reçu aucune promesse d’embauche, alors forcément, elle stressait, s’inquiétait, doutait d’elle même. « Vais-je retrouver un job un jour ? », se répétait-elle. En d’autres termes, « Vais-je retrouver l’amour un jour ? »
Car, difficile de ne pas faire le rapprochement avec la recherche amoureuse et la peur du célibat de longue durée… On imagine son/sa partenaire idéal(e), on le/la recherche au détour d’une discussion ou sur les plateformes en ligne, on sélectionne plusieurs prétendant·es, etc. Et là, chouette, on obtient quelques rencards, on va pouvoir sortir le grand jeu de la séduction. Mais finalement, on s’emmerde à chaque rendez-vous, le temps passe, le prince charmant – ou la princesse charmante – n’a toujours pas toqué à notre porte, pire il/elle nous a ghosté. Recherche d’emploi ou recherche amoureuse : on vit les mêmes joies, et les mêmes peines. Des peines qui, passés les 45 ans, s’intensifient. On sait notamment que le chômage de longue durée touche 38% des personnes de plus de 50 ans (selon l’Observatoire des inégalités analysant l’enquête Emploi 2018 de l’INSEE) et que pour ces derniers, la durée pour retrouver un emploi est plus longue : 23,7 mois en moyenne, soit 2 ans, contre 9,1 mois pour les 15 à 29 ans.
J’ai moi-même déjà ressenti cette peur d’être solo. C’était en 2014, fraîchement arrivée sur le marché de l’emploi, j’avais de chouettes diplômes en poche mais pas beaucoup d’expérience, ni beaucoup de réseau et de réussites pro à mettre en avant d’ailleurs… Après un énième refus, je me suis mise à douter de mon potentiel de séduction et, par la même occasion, de mon avenir. Je me voyais déjà dans quelques années, dans une version de moi dégradée, celle d’une Roseline en recherche d’emploi depuis 10 ans, seule, avec ses diplômes et ses rêves vieillissants…
C’est sain de douter, de se questionner sur son avenir quand les choses ne se passent pas comme on le souhaite, c’est d’ailleurs ce que j’ai expliqué à cette chercheuse d’emploi. Et c’est normal de vouloir vivre une nouvelle relation professionnelle là, maintenant, tout de suite ! Mais ma casquette de RH m’oblige à rappeler ceci : la durée de référence pour trouver un emploi est de 6 à 8 mois. Vous cherchez un job depuis 6 mois ? Ne paniquez pas ! À ce titre, seuls 62% des jeunes diplômés BAC+5 en 2019 avaient déjà obtenu un emploi 6 mois après l’obtention de leur diplôme, contre 74% des diplômés de 2018 selon le Baromètre APEC 2021 de l’insertion des jeunes diplômés. Et cela ne va pas en s’améliorant. Autrement dit, les recherches d’emploi « éclair » qui ne durent que quelques jours ou semaines, ça n’existe plus.
Et puis, vouloir à tout prix fuir le « célibat » professionnel, c’est tentant. Parce que, oui, c’est sympa de bosser sur des projets en équipe, de recevoir un « bravo » de la part de son manager de temps à autre, de s’entraider en team building, de prendre des pauses café pour refaire le monde avec ses collègues. La chaleur humaine du groupe, ça manque à la longue. Mais sachez que cette peur de rester solo peut vous guider vers de mauvais chemins… Alors attention à vous !
Quand la solitude nous pousse à prendre de mauvaises décisions
Erreur n°1 : miser sur la quantité, et non la qualité
« Roseline, je dois avoir au moins 5 entretiens par semaine, non ? »
Revenons à Sophie. CV actualisé, lettre de motivation finalisée, pitch en tête, ça y est, elle était fin prête pour un marathon d’entretiens d’embauche. Elle n’attendait que mon feu vert pour enchaîner les rendez-vous “galants”, telle un(e) célibataire enchaînant les dates Tinder et Meetic. Sauf que, comme en amour, la peur d’être solo nous pousse à viser la quantité plutôt que la qualité. C’est, selon moi, l’une des 6 choses qui nuisent le plus à une recherche d’emploi.
En réalité, pour réussir, il est important de freiner la cadence, de limiter l’envoi de candidatures et de réguler le nombre d’entretiens afin de se concentrer sur chacune de ses rencontres professionnelles. En visant la qualité, on prend du temps pour personnaliser au maximum ses candidatures et ainsi, on s’évite la “dating fatigue”. L’auteure Judith Duportail qui étudie l’amour 2.0 parle d’« ascenseur émotionnel » quand on oscille « entre espoir, date, projection, ghosting et déception ». Et à la lecture de son ouvrage Dating fatigue : amours et solitudes dans les années (20)20, j’ai (à nouveau) fais le lien avec la recherche d’emploi. La peur de rester solo crée de l’hyper-rencontre, qui crée de l’hyper-stress puis de l’hyper-lassitude et enfin de l’hyper-épuisement. Au passage, notre santé physique et mentale en prend forcément un coup, et bien souvent notre confiance en soi en ressort en miettes. Or un chercheur d’emploi/un candidat à l’amour qui a confiance en lui, a nettement plus de chances de séduire un·e recruteur·euse/prétendant·e !
Erreur n°2 : Revoir ses critères à la baisse
« Ok, je ralentis, mais j’accepte la 1ère offre d’embauche que je décroche. » En temps de crise sanitaire, la recherche d’emploi pouvait être un enfer, ça, Sophie en était consciente. Pas question, donc, de « faire la fine bouche » pour reprendre son expression fétiche. Sa stratégie : accepter le 1er job venu, quelles que soient les conditions : même en dessous de ses compétences, en dessous de son précédent salaire, en dessous de ses aspirations professionnelles…. Bref, “en dessous” de tout. La peur d’être solo nous incite à revoir nos critères à la baisse pour augmenter nos chances de trouver, mais c’est une erreur.
Savez-vous qu’un choix « à la baisse » peut gravement impacter votre carrière ? En fait, il peut bloquer votre mobilité. Votre carrière stagne, elle ne connaît pas l’ascension que vous êtes censée avoir. Ce serait dommage de finir comme un gamer professionnel qui galère à passer au niveau 3 d’un jeu vidéo, non ? Car ce n’est pas bon ni pour vous, ni bon pour l’entreprise. Les employeurs ont besoin d’avoir les bonnes compétences (travailleurs) aux bons endroits (emplois) et surtout, de pouvoir se projeter. N’oubliez pas que certains préféreront recruter un·e inconnu·e à un poste à responsabilité plutôt que quelqu’un qui est resté·e plusieurs années à un poste juste en-deçà de ses compétences, surtout s’il·elle méritait mieux depuis le début.
Erreur n°3 : S’embarquer dans la précarité sur le long terme
« Pas grave, je pourrais toujours démissionner et sauter sur un autre emploi ! » J’ai alors commencé à croire que Sophie aimait l’acrobatie. Je n’ai jamais sauté d’une relation à une autre, au travail comme on le fait en amour. Enfin non, je ne suis pas honnête, c’est vrai que je suis passée de CDD en CDD à une période de ma vie. Le CDI ne venant pas toquer à ma porte, je me suis réfugiée dans des relations éphémères de 6 mois. Certaines m’enrichissaient, d’autres me saoulaient tellement que j’espérais, chaque dimanche soir, tomber malade pour ne pas me pointer le lendemain matin. Triste, non ? Mais depuis, j’ai dit stop.
Beaucoup de salariés restent là où ils sont, faute de trouver mieux : coincés dans un job qu’ils n’aiment pas, ils encaissent. Et c’est tout à leur honneur ! Mais c’est loin de faire leur bonheur. Ça me rappelle une autre chercheuse d’emploi BAC+5 qui a accepté un CDD qui était loin de la faire rêver « juste pour quelques mois ». 3 ans après, elle enchaîne encore les jobs en CDD : ok le salaire tombe, mais la stabilité et l’épanouissement ne sont pas toujours au rendez-vous…
C’est un fait, la peur d’être solo peut facilement nous embarquer dans la précarité, vers plus de CDD, de missions courtes, d’intérim, de temps partiel. Selon l’Enquête Emploi, chômage, revenus du travail de l’INSEE et de la DARES, c’est près d’1,5 million de travailleurs qui faisaient des allers-retours incessants entre l’emploi et le chômage en 2020. Si c’est un choix mûrement réfléchi pour certains, ce n’est pas le cas de la grande majorité, qui aspirent à une vie plus stable.
Et puis, en amour, une personne qui a pour fâcheuse habitude d’enchaîner les relations courtes, ça vous attire, vous ? Moi non, j’aurais trop peur que cette personne ne veuille pas créer quelque chose dans la durée. De la même manière, une recruteuse ou un recruteur peut ne pas non plus être tenté(e). La morale de cette histoire : à force de se sous-estimer, on peut se tirer une balle dans le pied. À ne pas être exigeant, on baisse notre niveau de désirabilité. On finit par être moins attractif(ve) sur le marché de l’emploi. Être chômeur de longue durée, ça n’est pas “sexy” mais enchaîner les CDD, ça ne l’est pas non plus. Bref, si vous ne vous donnez pas de la valeur, votre profil perd de sa valeur, et vous devenez un salarié bon marché. Ouch, uppercut. Pourquoi ? Parce que votre employabilité, votre capacité à conserver un emploi ou à en trouver un autre, joue sur votre désirabilité. Ce n’est pas juste mais c’est le cas. Alors, si vous avez des doutes au moment d’accepter au nouveau boulot, je vous conseille plutôt de prendre votre temps et en attendant “le bon”, de jouer sur d’autres aspects :
Voici quelques idées pour augmenter votre niveau de désirabilité :
- Suivre de nouvelles formations pour actualiser vos connaissances et savoir-faire
- Développer de nouvelles soft skills, comme la créativité ou l’endurance face au stress
- Agrandir son réseau en ligne (LinkedIn par exemple) et hors-ligne (afterworks avec des confrères et consoeurs)
- S’investir dans un projet extra-professionnel : bénévolat, militantisme écologique, blogging, etc.
- Se faire accompagner par un coach ou un mentor, qui vous guidera durant votre recherche
Les 3 points à retenir :
- Pas de course aux entretiens ! Préservez votre santé et votre confiance en misant avant tout sur la qualité.
- Prenez soin de vos critères, gardez-les tels qu’ils sont, afin que votre carrière évolue comme il se doit. Vous le valez bien !
- Il vaut mieux être solo que mal accompagné(e) ! Les contrats précaires à répétition - s’ils sont subis - vous rendront moins désirables aux yeux des recruteurs. On peut batifoler mais seulement si on en a vraiment envie.
En amour comme au travail, personne ne veut rester solo trop longtemps. Après la liberté retrouvée, vient souvent l’angoisse de la durée. Tous les professionnels que j’ai rencontrés ont déjà ressenti cette peur à un moment donné de leur vie, moi y compris. Mais la peur d’être solo ne devrait jamais être notre boussole car elle nous pousse à prendre des jobs par défaut et à faire des choix précipités. Et si nous décidions de ne plus être guidés par nos peurs ? Et si nous faisions confiance à 100% à nos envies ? Écoutons notre intuition, elle nous aidera à faire les bons choix, ceux que l’on ne regrettera pas !
Article dité par Eléa Foucher-Créteau et Paulina Jonquères d’Oriola
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