Quelle politique de cooptation pour favoriser la diversité ?
10 nov. 2020
6min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
En matière de recrutement, la cooptation s’est imposée comme une source privilégiée de candidat.e.s pour les entreprises. Non seulement le recrutement est alors moins coûteux, mais il est aussi souvent bien meilleur. Quand un.e salarié.e recommande un.e membre de son réseau personnel ou professionnel à son employeur, la recommandation est pertinente car il/elle connaît bien le poste à pourvoir, l’entreprise et sa culture. C’est pour cela que de nombreuses solutions se développent pour aider les entreprises à aller plus loin en matière de cooptation.
Cependant, la cooptation est hélas souvent un frein à la diversité en entreprise, les salarié.e.s ayant naturellement tendance à recommander essentiellement des personnes qui leur ressemblent : des ami.e.s rencontré.e.s sur les bancs des mêmes écoles, des ancien.ne.s collègues dont on partage les affinités ou encore des cousin.e.s germain.e.s qui ont les mêmes racines qu’eux/elles.
À bien des égards, le développement de la cooptation contribue dans certains univers à une plus forte homogénéité sociologique des salarié.e.s. Qui se ressemble s’assemble. Par exemple, les ingénieurs hommes ont tendance à recommander majoritairement d’autres hommes plutôt que des femmes, contribuant ainsi à renforcer la « Bro Culture » du monde de la Tech. C’est dans les entreprises de la Silicon Valley qui ont le plus développé la cooptation que la diversité est la plus faible.
Faut-il se priver totalement des avantages de la cooptation au non de la diversité ? Pas forcément. Une meilleure compréhension du phénomène et certaines politiques spécifiques peuvent permettre de favoriser la diversité tout en profitant de certains effets positifs de la cooptation…
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Attention à « l’armée de clones »
Depuis quelques années, les critiques se font entendre davantage concernant l’absence de diversité dans les entreprises numériques ou le monde de la finance. Et on pointe du doigt le rôle délétère de la cooptation dans le phénomène des « armées de clones » : « malheureusement, un employé à qui on demande de recommander quelqu’un de son réseau pour un poste donné va toujours recommander quelqu’un qui a le même capital social, les mêmes goûts, habitudes vestimentaires, diplômes, etc. »
Malgré des millions de dollars investis dans des programmes visant à augmenter la diversité, les entreprises comme Google arrivent péniblement à un taux de 30% de femmes dans leurs équipes d’ingénieur.e.s. Souvent, la proportion est même bien inférieure. On soulève aussi la relative absence des Afro-Américains dans ces entreprises technologiques. Pour les recruteur.e.s, le problème est « un problème de pipeline » dont patissent toutes les entreprises. Mais le problème est aussi un problème d’effet boule de neige.
Un rapport publié par PayScale en 2017 a montré que les systèmes de cooptation profitent majoritairement aux hommes blancs. Aux Etats-Unis, les hommes blancs ont 12% plus de chances d’être cooptés que toute autre catégorie de la population. 53 000 personnes ont été sondées pour cette étude. On a demandé à chacun s’il/elle avait obtenu son poste par cooptation. Un peu plus d’un tiers des sondé.e.s a répondu que oui — ce qui montre bien la force de la cooptation. Parmi ces personnes qui ont dit avoir été cooptées, 41% l’ont été via un.e ami.e ou membre de la famille, et 32% via un contact professionnel. L’étude a également révélé que les femmes de couleur étaient celles qui étaient les moins représentées — seulement 13% des cooptations, ce qui fait que ces personnes ont 35% moins de chances d’être cooptées qu’un homme blanc.
Les études américaines disposent de statistiques sur la couleur de peau qui n’existent pas dans un pays comme la France, où, faute de pouvoir appréhender cette forme de diversité, on doit se contenter des ratios femmes/hommes et de quelques statistiques sur l’origine sociale (ou bien le lieu d’habitation). Mais même avec les outils existants, on pourrait constater des phénomènes comparables si l’on menait une étude du même type en France : la cooptation n’aide pas la diversité.
Il existe plusieurs explications à ce phénomène : les femmes ont plus de mal que les hommes à développer et entretenir des réseaux professionnels ; les femmes issues des minorités ont moins de soutien dans les entreprises. Comme les individus ont tendance à recommander des personnes qui leur ressemblent, les entreprises qui ont peu de diversité au départ ont peu de chances d’augmenter leur diversité par la suite.
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Comment contrecarrer les effets négatifs de la cooptation
Au cours des dernières années, certaines entreprises ont obtenu quelques résultats positifs en matière de diversité en mettant leurs salarié.e.s à contribution. En voici trois exemples : Pinterest, Intel et LinkedIn.
Pinterest a mis ses salarié.e.s au défi de recommander des personnes qui ne leur ressemblent pas. Dans un article publié sur LinkedIn, Abby Maldonado, responsable RH chez Pinterest, explique : « chez Pinterest, nous n’offrons pas de prime comme les autres entreprises, et nous développons d’autres moyens de sourcer les candidat.e.s. Mais nous voudrions que la cooptation contribue aussi à la diversité. C’est pourquoi avec notre programme Inclusion Labs, nous mettons nos employé.e.s au défi d’augmenter la diversité des équipes. » L’objectif affiché de Pinterest était d’obtenir 10 fois plus de recommandations de candidat.e.s de groupes minoritaires, et 2 fois plus de femmes. Et cela a marché : on a enregistré une hausse de 24% des recommandations de candidates femmes, et le pourcentage de candidat.e.s recommandé.e.s qui n’étaient pas des hommes blancs a été multiplié par 55, explique Abby Maldonado dans l’article mentionné plus haut.
Pour Intel, la solution envisagée a été de créer un système incitatif différent des autres. Les primes offertes aux salarié.e.s pour la cooptation récompensent la diversité. En 2015, Intel s’est engagée à augmenter le nombre de femmes et de candidat.e.s minoritaires d’au moins 14% avant 2020. L’un des moyens d’y parvenir a consisté simplement à récompenser davantage les employé.e.s recommandant des femmes (ou d’autres personnes issues de catégories minoritaires). En cas de recrutement réussi, la prime a été doublée.
Ces politiques semblent avoir plutôt bien fonctionné car le pourcentage des embauches faites parmi les groupes sous-représentés est passé de 32% en 2014 à 41% en 2015. Même au plus haut niveau de la hiérarchie, les embauches de femmes ont augmenté en 2015 (33% de femmes embauchées contre 19% en 2014). En 2017, Intel a annoncé que les objectifs seraient atteints avant 2020. Par ailleurs, un rapport annuel sur la diversité et l’inclusion fait la transparence sur les chiffres et permet de partager clairement les objectifs et les résultats avec les salarié.e.s et le grand public.Enfin, LinkedIn a créé des événements ouverts, à partir de 2017, les open mic nights, pour augmenter la diversité dans son recrutement. Des soirées relax — bière, pizza, poésie et musique — donnent aux candidat.e.s l’occasion de s’imprégner de la culture LinkedIn et de parler de manière informelle à des recruteurs/recruteuses. Pour ces soirées, LinkedIn a mis à contribution les réseaux d’employé.e.s noir.e.s et latinos, en leur demandant expressément d’inviter des personnes de leurs réseaux. Lors des trois premières soirées seulement, LinkedIn a obtenu 350 nouveaux prospects, qui ont débouché sur 10 embauches. Le rapport annuel de LinkedIn de 2019 met en avant des progrès en matière de diversité : « Au niveau mondial, nous avons fait des progrès dans la représentation des femmes aux postes de direction et aux postes techniques. Elles représentent aujourd’hui près de 41 % des dirigeants de notre entreprise. Cela représente une augmentation de 17 % au cours des trois dernières années et de 56 % au cours des cinq dernières. Les femmes occupent plus de 22 % de nos postes techniques et nous avons constaté une augmentation de 11 % des femmes occupant des postes techniques au cours des trois dernières années et de 16 % au cours des cinq dernières années. Les femmes occupent 55 % de nos rôles non techniques. »
Une politique primordiale aujourd’hui
La période de crise que nous traversons a tendance à exacerber les inégalités de revenus et les inégalités face à l’emploi entre femmes et hommes, ou entre différentes catégories de population. Face à la gravité de la crise économique, de nombreuses entreprises risquent de faire passer les objectifs de diversité et d’inclusion au second plan. Cela serait une erreur car la diversité est un véritable facteur de performance.
Les équipes plus diverses savent mieux résoudre les problèmes, sont plus innovantes et plus performantes, comme le démontre le récent rapport McKinsey intitulé Diversity Wins (2020) : « la relation entre la diversité au sein des équipes de direction et la probabilité de meilleure performance financière s’est renforcée au fil du temps. » Il est donc de plus en plus important de développer des politiques plus favorables à la diversité et à l’inclusion.
La cooptation reste souvent incontournable en entreprise car c’est un moyen d’obtenir des candidat.e.s qualifié.e.s qui seront plus engagé.e.s et resteront plus longtemps. Mais au risque de voir la diversité des équipes se réduire, la cooptation ne doit pas être le seul moyen de recrutement. Il est important de varier les canaux de recrutement et de se fixer des objectifs clairs et ambitieux en matière de diversité. Enfin, il est possible de mettre la cooptation au service de la diversité, en mettant en place les systèmes incitatifs adéquats et en associant les salarié.e.s aux objectifs de diversité.
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