Leur idole a inspiré leur choix de carrière, ils racontent

22 mars 2021

10min

Leur idole a inspiré leur choix de carrière, ils racontent
auteur.e.s
Thomas Decamps

Photographe chez Welcome to the Jungle

Elise Assibat

Journaliste - Welcome to the Jungle

Dans ce nouveau monde où l’incertitude règne en maître, trouver sa voie n’a jamais été aussi délicat. Pourtant, et même sans notice, il existe toujours autant de manières de faire que de parcours différents. On peut assouvir une passion qui nous trottait dans la tête enfant, poursuivre un objectif après de longues études ou encore se tromper plusieurs fois avant de trouver le chemin qui nous convient. Parfois aussi, on peut compter sur d’autres pour nous inspirer, nous entraîner dans une voie inconnue, un peu comme si la vie nous tendait des perches pour nous faciliter la tâche. Et si on regardait du côté de ceux qui nous entourent, ou encore de ceux que l’on admire, pour tracer notre route ? Portraits de ceux pour qui le hasard a bien fait les choses.

« Il m’a montré que c’était possible d’en faire mon métier et ça, ça m’a rendu fou »

Quentin & le rock de Julian Casablancas - Hiver 2006

Quentin a 29 ans, il est musicien, chanteur, et surtout passionné de rock depuis toujours, ou plutôt depuis ce jour où il entend pour la première fois Break on through des Doors dans le jardin de ses voisins à 14 ans. À cet instant, son monde a commencé à graviter autour de la musique. À commencer par sa bande de potes, avec qui il monte son tout premier groupe en classe de première, les Kysyl, dont il devient le chanteur attitré. « À ce moment-là, on était un peu les seuls à écouter du rock, tout le monde pensait que c’était mort… Il n’y avait que du vintage qui résonnait dans nos écouteurs », se souvient Quentin. Jusqu’au jour où la bande découvre à la radio un groupe new-yorkais, The Strokes, qui sort son troisième album : First Impressions of Earth. À tout juste 15 ans, la vie de Quentin bascule tandis que Julian Casablancas, le chanteur des Strokes, s’invite dans son intimité. « On s’est tous pris une grande claque dans la gueule parce qu’il a montré à tout le monde que le rock continuait de vivre, et surtout que les jeunes de notre âge pouvaient en faire et même du très, très bon. » Quentin et ses copains développent une passion pour lui, et les répétitions de leur groupe s’enchaînent à mesure que les Strokes se font connaître.

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« Je pense que les Strokes ont vraiment représenté, la possibilité de faire exactement la musique qu’on aimait. On s’est énormément identifié à eux. Julian Casablancas disait “merde” à tout le monde, il m’a montré que c’était possible d’en faire mon métier et ça, ça m’a rendu fou. » Quentin a beau avoir 15 ans, il sait qu’il ne fera que ce qui le fait vibrer, et rien n’a jamais été aussi fort que de répéter avec ses meilleurs potes en écoutant les albums du groupe New-yorkais en boucle. « J’ai très vite su que ce que je ressentais en jouant, je voulais le ressentir toute ma vie. » Chose promise, chose due, Quentin poursuit son rêve et expérimente l’adrénaline de la scène en faisant de sa musique le travail d’une vie. Sans salle pour accueillir ses shows depuis maintenant un an, il continue de créer, dans son appartement du 17ème arrondissement de Paris. Et s’il lui arrive désormais de se tourner vers de nouveaux horizons musicaux, impossible d’oublier le déclic qu’a été pour lui The Strokes. « Aujourd’hui encore, je reste toujours à l’affût de la sortie d’un nouvel album. Et avec les membres de Kysyl, qui sont restés ma bande de potes de toujours, on a passé toutes les dernières vacances de Noël à tout réécouter en boucle dès que leur nouveau single est sorti. »

« C’est le premier à avoir vu en moi une comédienne »

Anne & les cours de théâtre de son beau-frère - Automne 1978

Anne a vingt-trois ans quand elle intègre le Conservatoire National Supérieur d’Arts dramatique en 1986, et n’a depuis, jamais cessé de jouer la comédie. Pourtant, rien ne la prédestinait à cette vocation. Enfant, elle vit dans un coin reculé en Vendée et devient pensionnaire à l’âge de 10 ans. Adolescente, elle ne supporte plus l’enfermement imposé par l’internat et menace de s’en aller. Face aux affronts de sa fille, la maman d’Anne lui propose un deal : si elle est assidue à l’école, elle pourra passer le concours du Conservatoire de Nantes, un moyen pour elle de prendre l’air deux fois par semaine. Déjà, le théâtre l’intéresse. Passionnée par la sulfureuse actrice Lauren Bacall depuis toute petite, l’envie de monter sur scène lui était déjà venu quelques années plus tôt, motivée par le mari de sa grande sœur. Ce dernier, professeur de théâtre à La Roche-sur-Yon proposait à Anne d’assister à ses cours dans un coin de la salle, lorsqu’elle venait leur rendre visite pendant les vacances scolaires. Là-bas, elle y avait découvert les textes, l’intensité des personnages. « Le théâtre, c’était une culture aux antipodes de celle de ma famille. Mon beau-frère m’a ouvert les portes de cet univers inconnu. Peu à peu, je me suis familiarisée aux histoires des personnages, et leur destin représentaient à mes yeux quelque chose de plus grand que mon quotidien dans lequel je me sentais un peu à l’étroit. »

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Alors quand vient ce deal maternel, c’est ce même beau-frère qui l’aidera à préparer le concours en la faisant répéter ses scènes. Il n’est alors plus seulement celui qui ouvre les portes d’un rêve un peu lointain, mais devient celui qui le concrétise à ses yeux. « C’est le premier à avoir vu en moi une comédienne. C’est aussi le premier à qui j’ai formulé ce désir de faire de la comédie mon métier… » Une aide précieuse qui lui permet d’intégrer ce premier conservatoire. Le début d’une nouvelle vie qui commence, pour rapidement se poursuivre dans les couloirs de l’institution parisienne. Au même moment, sa sœur divorce de son mari, les relations se compliquent, et ce dernier sort brutalement de sa vie. Vingt-cinq ans de silence radio où les pièces s’enchaînent pour Anne, les tournages aussi. Un jour le passé refait surface : un ami lui apprend, tout à fait par hasard, avoir été l’élève de son ancien beau-frère. Et ce dernier ne tarit pas d’éloges à son sujet. Émue, Anne le recontacte pour la première fois et promet de venir lui rendre visite à Nantes. Un samedi après-midi d’été, les voilà qui se retrouvent tous deux autour d’un déjeuner. Au fil de la discussion, il lui avoue n’avoir jamais cessé de suivre sa carrière, et même mieux, qu’il peut lui citer absolument toutes les œuvres dans lesquelles elle a joué. L’émotion est forte et la journée, de celles dont on se souvient toute sa vie. À sa mort, quelques années plus tard, ses neveux l’appellent pour lui annoncer la nouvelle et lui confient combien leurs retrouvailles avaient été importantes pour leur père, et que, d’avoir su qu’il avait été à l’origine de sa vocation, sans doute l’une de ses plus grandes fiertés.

« J’ai tout de suite été séduit par la modernité de l’homme, par des idées qui me paraissaient presque révolutionnaires à l’époque »

Yannick & la victoire de Valéry Giscard d’Estaing - Printemps 1974

Yannick a 16 ans lorsqu’il tombe dans le chaudron de la politique. Aujourd’hui âgé de 62 ans, il enchaîne son quatrième mandat comme député de la Mayenne. Il se souvient pourtant du bouleversement qui a changé sa vie, comme si c’était hier. Déjà fidèle au JT de 20h, il est est encore au collège quand il apprend que le président Pompidou est décédé. Bien qu’encore petit, Yannick comprend l’enjeu et s’intéresse de très près à la campagne présidentielle qui s’ensuit. Et si l’ancien Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, attise sa curiosité, c’est rapidement le candidat Valéry Giscard d’Estaing qui suscite en lui beaucoup d’émotions. « J’ai tout de suite été séduit par la modernité de l’homme, par des idées qui me paraissaient presque révolutionnaires à l’époque. On entendait parler d’avortement, d’économie libérée, d’identité européenne… Des mots qui ne parlent pas forcément à tout monde à 16 ans, mais qui me plaisaient déjà. » Yannick ne perd pas de temps et s’engage activement dans la campagne présidentielle du deuxième tour, alors qu’il est interne au Lycée de la Baule au printemps 1974. Il ne loupe aucun meeting et va même jusqu’à sécher les cours pour s’y rendre. « Je pense que c’est vraiment à ce moment-là que je me suis inscrit dans la lignée de Giscard et plus largement, dans le monde politique. Parce qu’une énergie incroyable m’habitait. » Quand arrive enfin le jour de la victoire, Yannick la célèbre avec euphorie et continue de s’engager dans la vie politique en militant, en parallèle de sa scolarité. Il crée même le mouvement des jeunes giscardiens de la Baule. « On avait beau ne plus être en campagne, je collais des affiches et on se retrouvait avec une bande de copains des nuits entières pour parler politique. »

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À la fin de ses études, il devient responsable du parti que soutenait Giscard dans sa ville et gravit peu à peu les échelons de la vie politique, jusqu’à devenir directeur du cabinet du maire de Laval puis député. En 2014, pour le quarantième anniversaire de l’élection de Giscard à l’Élysée, Yannick en profite pour lancer une invitation à l’ancien président. Il prend sa plus belle plume et, sans grand espoir, lui écrit une lettre pour lui expliquer ce que sa présence représenterait à ses yeux. Contre toute attente, Giscard lui répond par l’affirmative et se rend dans la circonscription de Yannick, en Mayenne. Le député profite de cette drôle de parenthèse pour lui exprimer toute sa gratitude et le remercier d’avoir joué un rôle aussi déterminant dans sa vie. « Il a complètement façonné l’homme que je suis devenu aujourd’hui, à la fois l’homme politique et l’élu que je suis. Je lui dois beaucoup. Certains se forgent à partir d’exemples et d’expériences des autres pour se construire, d’autres non. Moi j’en ai ressenti le besoin. Ce jour-là j’ai eu le sentiment de boucler la boucle. »

« C’est comme si j’avais hérité de l’instinct de mon père, ça m’a conforté dans cette voie »

Aurélien & les chantiers de son père - Été 2011

Aurélien n’a pas encore trente ans, il est architecte dans une agence depuis près de trois ans. Il s’apprête d’ailleurs à la quitter pour créer son propre cabinet. S’il se sent aujourd’hui comme un poisson dans l’eau sur ses chantiers, sa vocation a mis un peu de temps à naître. Le bac en poche, il s’inscrit d’abord en médecine, sans grande conviction. Il perd rapidement le peu de motivation qu’il avait et décroche. Son père, inquiet, l’interroge sur ce qu’il aimerait faire et, faute d’idée, Aurélien lui demande de choisir à sa place. C’est décidé : l’étudiant fera un stage dans un cabinet d’architecture. Un coup de pouce du destin réfléchi parce qu’en réalité le choix du père d’Aurélien n’a rien d’anodin : « Je pense qu’il a projeté en moi un truc qu’il aurait adoré faire. Je dis toujours que, mon père, était un architecte raté parce qu’il aurait été très bon là-dedans, il a passé sa vie à faire des travaux. » Un peu par hasard, ce dernier hérite d’un immeuble complètement délabré alors qu’Aurélien est encore petit, et décide de le rénover pour en faire sa maison. S’ensuivent trois années de longs travaux durant lesquelles Aurélien et ses frères vivent dans le chantier. Il a 11 ans et pour lui, rien ne semble plus naturel que de voir son père régner en maître des lieux dans cet immeuble où tout est à refaire. « Il a toujours été bricoleur, j’ai souvent entendu parler du premier appart qu’il a acheté et entièrement retapé. » Un véritable passionné donc, qui donne encore son avis à Aurélien dès que celui-ci entame un nouveau chantier.

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Le “stage de la dernière chance” se passe tellement bien qu’Aurélien se met en tête de préparer le concours d’une école d’architecture. « J’avais tout à apprendre ! Quand je suis arrivé là-bas je ne savais rien faire, je ne connaissais aucun logiciel, j’étais nul en dessin… C’est un peu étrange à expliquer, mais c’est comme si j’avais hérité de l’instinct de mon père, ça m’a conforté dans cette voie » Pour celui qui décrit toute sa scolarité comme une dégringolade et un combat acharné, les planètes s’alignent enfin : « Tout est devenu hyper facile, j’étais bien là-bas. J’ai même un souvenir assez précis de la fin de la première année, quand j’ai dû m’inscrire pour l’année suivante. J’étais dans le couloir de l’école, c’était l’été, il faisait chaud et je me suis dit “ ça y est je suis chez moi

« Ma mère nous a toujours inculqué à ma sœur et moi ce message assez fort, qu’elle et moi on pouvait faire ce qu’on voulait »

Margaux & l’engagement de sa mère - Hiver 2015

Margaux a 28 ans et se décrit comme une jeune femme « aux multiples casquettes ». Entre la direction d’un cabinet de conseil pour favoriser l’égalité homme-femme dans le monde professionnel qu’elle a créé avec sa soeur, sa vie de professeure d’histoire des femmes, et ses études qu’elle a repris en septembre dernier en sexologie et santé sexuelle, Margaux n’a pas de temps à perdre.

La bascule se fait en 2015, où tout juste diplômée d’une école de commerce, elle part travailler à Londre en tant que chasseuse de têtes. À la City, ’elle réalise qu’elle est bien moins payée que ses collègues hommes à travail égal (voire supérieur). Cet événement marque une prise de conscience chez Margaux qui n’avait auparavant jamais ressenti cette inégalité. C’est inacceptable. Élevée par une mère bienveillante avec des convictions fortes, qui lui a notamment transmis l’idée qu’il n’existait non pas un seul idéal de réussite mais plusieurs milliers, Margaux, fait face à une réalité bien différente et réalise qu’elle a un rôle à jouer pour faire évoluer les choses. « J’ai grandi dans la perspective que rien n’était impossible, que j’étais reine de ma vie et de mes choix. C’est cette ambition qui m’importe le plus. »

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Et pour cause, enfant, sa mère ne lui a jamais rien interdit sous prétexte qu’elle était née fille. « J’ai un épisode assez marquant en tête : j’étais en maternelle et un jour, je suis convoquée à la fin de la journée avec ma mère par ma maîtresse de l’époque car elle s’étonnait que ma mère m’habille avec des pantalons de garçon. En sortant de ce drôle de rendez-vous, ma mère m’a pris entre quatre yeux et m’a dit : “Écoute Margaux, les pantalons de fille et les pantalons de garçons, n’existent pas. Un pantalon est un pantalon.” Et aussi longtemps que je me souvienne, ma mère nous n’a cessé de répéter à ma sœur et moi ce message assez fort, que nous pouvions faire absolument ce que nous voulions. » Voilà sans doute ce qui explique l’intensité du choc de Margaux à Londres. La jeune femme décide finalement de créer un réseau de femmes pour lutter contre l’inégalité salariale. Celui-ci réunit jusqu’à 1200 membres dans la capitale du Royaume-Uni. Elle décide finalement de rentrer en France pour aider et accompagner les femmes au sein même des entreprises. Sa vocation est désormais toute tracée, et c’est aux côtés de sa sœur qu’elle crée ce cabinet. Aujourd’hui, Margaux continue de perpétrer un peu chaque jour cette façon de voir les choses que sa mère lui a transmise et aimerait tant bien que mal réussir à mettre en avant toutes ces femmes de l’ombre que l’on ne voit pas encore assez à son goût. Les femmes de ménage, les caissières, les infirmières, les sages-femmes… Celles qui se donnent corps et âme pour faire en sorte que la vie de tous les jours soit un peu plus douce. Grâce à sa mère, elle sait qu’un jour elle y parviendra, car après tout, qu’est-ce qui l’en empêche ?

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Photo by WTTJ