5 bonnes raisons de recruter des candidats militants
24 mars 2021
8min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
Pendant longtemps l’activité politique et militante des individus est restée bien séparée de leur vie professionnelle. On pouvait distribuer des tracts politiques sur les marchés le dimanche et être un·e bon·ne employé·e sans histoire le lundi, sans que ses deux activités n’interfèrent jamais entre elles. Certes, il y avait bien les syndicalistes dont l’activité militante pouvait avoir lieu sur le lieu de travail. Mais le plus souvent, on ne mêlait guère travail et militantisme.
Puis la révolution numérique est passée par là et a largement changé la donne. L’activité militante des individus est devenue plus visible et revendiquée sur les réseaux sociaux. Les entreprises sont parfois sommées de prendre parti sur des sujets de société sur lesquels elles auraient autrefois préféré ne pas se prononcer. Leur « marque employeur » doit rayonner en ligne et ce sont les employé·e·s eux/elles-mêmes qui y contribuent directement, brouillant ainsi la frontière entre la communication corporate et le militantisme des individus.
Le militantisme a changé de place et de nature dans la vie des gens. Il était autrefois plus souvent politique ou syndical (affiliation à un parti ou syndicat, avec ses réunions politiques/syndicales et sa distribution de tracts sur les marchés). Il correspond aujourd’hui plutôt à des « mouvements » qu’à des partis. Féminisme, environnementalisme, veganisme… prennent des formes plus diverses et apportent aux militant·e·s une identité plurielle qui touche plusieurs dimensions de leur vie, dont la construction de leur communauté (virtuelle et physique) et leur réputation.
Le travail et l’activité militante vont parfois jusqu’à se confondre. De nombreux/nombreuses (souvent jeunes) candidat·e·s rêvent de travailler pour une entreprise militante (B-Corp, « mission », etc.). Ces entreprises qui font du militantisme, environnemental notamment, un élément d’activisme reçoivent davantage de candidatures.
Dans un monde plus polarisé politiquement, la neutralité des marques devient plus difficile. À cet égard, les années de présidence de Donald Trump ont marqué un tournant historique : par exemple, de nombreuses entreprises de la tech ont clairement communiqué leur soutien au mouvement Black Lives Matter et leur volonté de jouer un rôle actif en tant que recruteur (l’histoire dira si ces messages seront suivis par des actions et des résultats en termes de diversité et d’inclusion dans les ressources humaines).
Voici 5 raisons de recruter aujourd’hui des candidat·e·s militant·e·s dans votre entreprise :
Les salarié·e·s militant·e·s sont plus engagé·e·s au travail
Les salarié·e·s sont plus susceptibles de rester engagé·e·s et de vouloir rester dans l’entreprise s’ils/elles ont l’impression que leur travail a un sens et que l’entreprise incarne des valeurs auxquelles ils/elles peuvent s’identifier. Plusieurs études montrent que cela serait encore plus vrai (et revendiqué) parmi les millennials et les membres de la génération Z.
Par exemple, une enquête Deloitte de 2019 souvent citée (“The Deloitte Global Millennial Survey 2019 Societal discord and technological transformation create a “generation disrupted”) révèle qu’une personne sur deux parmi les millennials et la génération Z aspirent à avoir un impact positif sur la société ou leur communauté. Plus d’un tiers des personnes interrogées pour cette étude estiment que les entreprises doivent se concentrer sur l’amélioration de la société ou de l’environnement. Les sondé·e·s sont d’ailleurs globalement très critiques car ils/elles pensent que la plupart des entreprises n’atteignent pas ces objectifs.
On pointe régulièrement un degré de désillusion important parmi les jeunes candidat·e·s en ce qui concerne l’impact des entreprises sur la société et la planète. De ce point de vue, les jeunes sont d’ailleurs rejoints par d’autres classes d’âge, comme le montraient déjà les sondages concernant les bullshit jobs effectués après la publication des travaux de David Graeber. Déjà en 2015, une enquête YouGov a révélé que 37 % des Britanniques estiment que leurs emplois « n’apportent aucune contribution significative au monde ». Dans d’autres pays, des sondages similaires dans les années qui ont suivi ont produit des résultats proches.
- Lire aussi : Bullshit Jobs, la théorie de David Graeber
Comme l’écrivait Graeber dans son ouvrage, « le manque de but et de sens constitue parmi les salariés la principale source de préoccupation et de souffrance ». Ce n’est pas pour rien que le monde des ressources humaines s’est emparé de ces sujets. Les conclusions souvent tirées, à l’image de celles mises en avant dans l’enquête publiée par Deloitte, c’est qu’il faut que les entreprises produisent un meilleur impact sociétal, et qu’elles s’appuient sur les travailleurs / travailleuses qui œuvrent déjà dans ce sens. Voici quelques-uns des éléments de conclusion de cette enquête : « Les millennials et les membres de la génération Z font preuve d’une plus grande loyauté envers les employeurs qui s’attaquent avec audace aux problèmes qui les touchent le plus, comme la protection de l’environnement et le chômage. (…) En tant que consommateurs, ils sont enclins à dépenser leurs revenus pour des produits et des services de marques qui leur parlent. »
On recommande donc aux employeurs les trois choses suivantes :
- « Demandez aux salarié·e·s comment ils/elles peuvent mieux réaliser leurs ambitions ;
Aidez-les à se préparer à l’avenir en leur offrant une formation et des outils qui leur permettront de réussir.
Adoptez des positions visibles et revendiquées qui assument la responsabilité d’un impact sociétal positif. »
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Les salarié·e·s militant·e·s vous aideront à mieux recruter demain
La réputation d’une entreprise est essentielle pour sa capacité à recruter. Selon une étude de Randstad, 86% des candidat·e·s (en poste ou pas) n’envisagent pas de travailler pour une entreprise qui a une réputation déplorable auprès de ses collaborateurs/collaboratrices. De plus, les candidatures sont nettement plus qualifiées quand la réputation est présumée « bonne » (50% en plus selon cette même étude).
Or indépendamment des actions de communication de l’entreprise, la marque employeur dépend avant tout de la manière dont les salarié·e·s en poste perçoivent l’entreprise et de leur volonté de « vendre » cette entreprise auprès de leurs pair·e·s. C’est une démarche bien plus souvent ascendante que descendante. Comme on peut le lire dans un Talent Trends Report de LinkedIn : « Mettez-moi en relation avec des gens qui connaissent les choses de l’intérieur – il vaut mieux prendre ses informations à la source », a déclaré une personne. Une autre a ajouté : « Je voudrais entendre les arguments positifs et négatifs de la bouche des membres du personnel qui sont de vrais professionnels – pas le discours enjoliveur du PDG ou du marketing. De vrais gens. Des postes réels. »
L’implication des salarié·e·s militant·e·s joue un rôle essentiel pour attirer des candidat·e·s au recrutement vers une organisation. On entend partout que l’engagement sociétal et environnemental est ce qui attire le plus les candidat·e·s. Mais au-delà des labels (comme B Corp) ou des beaux discours, ce qui les convainc le plus de la réalité de cet engagement, ce sont les salarié·e·s déjà présent·e·s dans l’entreprise. Des militant·e·s écologistes impliqué·e·s et engagé·e·s, cela aura toujours plus de poids pour la réputation environnementale d’une entreprise que tous les messages corporate à destination des futur·e·s candidat·e·s !
Ce qu’ont compris des entreprises comme Patagonia (ou Ben & Jerry’s) qui se sont emparées d’un label comme B Corp, c’est que l’activisme créé un niveau d’enthousiasme et d’attractivité incomparablement supérieur. À défaut de plaire à tout le monde (toute forme d’activisme polarise nécessairement une partie de la société), on plaît beaucoup plus à certaines personnes convaincues. Personne ne séduit davantage un·e candidat·e militant·e qu’un·e salarié·e militant·e : les féministes attireront davantage les féministes (toujours plus nombreuses parmi les jeunes générations) et les écologistes attireront davantage les écologistes (également de plus en plus nombreux/nombreuses).
Le militantisme requiert des compétences qui ont de l’avenir
Le militantisme, qu’il soit féministe ou environnementaliste par exemple, est une activité prenante pour laquelle il est nécessaire de développer des compétences précises : évangéliser les autres, manipuler les symboles, développer des communautés grâce aux réseaux sociaux, créer des articles, podcasts ou vidéos avec talent, avoir un sens aigu de l’image et du storytelling, cultiver sa capacité à collaborer avec les autres dans une action militante, prendre la parole en public, développer une grande adaptabilité dans un contexte d’incertitude. Or toutes ces compétences correspondent aux soft skills les plus recherchées à l’avenir !
Un·e militant·e efficace sait bien communiquer ses plans et ses idées, devant un large public ou tout simplement en parlant à quelqu’un dans la rue. Il/elle communique avec ferveur avec des personnes qui ne font pas nécessairement partie de son cercle et de son univers proche. Pour se faire, il/elle doit apprendre à expliquer des idées, à poser des questions, à mettre en œuvre la méthode socratique pour mieux convaincre les autres, à utiliser un cadre narratif adéquat, à être pédagogue et à donner aux autres une bonne image d’eux/elles-mêmes. De plus, une bonne communication repose parfois davantage sur l’écoute que sur la parole. Toutes ces qualités jouent aussi un rôle important chez un·e bon manager ou un·e bon·ne commercial·e !
Enfin, les militant·e·s de talent se doivent d’être créatifs / créatives, d’imaginer des stratégies et tactiques d’action directe dans un contexte mouvant et incertain. Pour cela, ils/elles développent un large éventail de tactiques qu’ils/elles enrichissent quand c’est nécessaire. Militer, c’est souvent improviser, rebondir sur l’actualité, réagir aux événements, voire les façonner ! Et si une action militante bien menée avait plus de valeur sur un CV qu’un diplôme ?
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L’union du travail et du militantisme peut devenir une force
Soutenu·e·s dans une activité militante qui leur donne du sens, les salarié·e·s se sentent plus valorisé·e·s et reconnu·e·s au travail. Ils/elles se sentient autorisé·e·s à exister sans avoir à se déguiser pour ressembler à ce qu’ils/elles ne sont pas, sans avoir à être schizophrènes. Ils/elles appréhendent souvent leur activité militante comme un vrai travail et aimeraient inversement que leur travail soit aligné avec leur militantisme.
Par conséquent, le travail et le militantisme peuvent se mélanger. Et de ce mélange peut naître une force, celle de pouvoir mettre la force militante au service de l’activité de l’entreprise !
Pour cela, il faut trois choses :
- Que l’organisation du travail laisse suffisamment d’autonomie et de flexibilité aux individus pour qu’ils/elles puissent faire coexister harmonieusement travail et militantisme (et pour qu’ils/elles y trouvent des synergies vertueuses) ;
- Que la mission n’entre pas en conflit avec celle de l’action militante ;
- Que l’activité militante et les compétences qu’elle permet de développer soient valorisées dans l’entreprise.
Par exemple, cette activité militante peut être valorisée comme une activité complémentaire grâce au mécénat de compétence, qui permet aux collaborateurs/collaboratrices d’une entreprise d’aider une association ou une entreprise sociale pendant leurs heures de travail (activité pro bono). Cela peut s’avérer plus efficace que n’importe quelle action RSE et programme de formation réunis !
Les militant·e·s vous aideront à tenir et dépasser vos engagements
Cette année de pandémie aura été une année d’activisme intense : du mouvement Black Lives Matteraprès le meutre de George Floyd aux États-Unis au mouvement féministe contre les violences policières faites aux femmes suite à l’assassinat de Sarah Everard au Royaume-Uni, en passant par la dénonciation des inégalités face à l’emploi, les exemples ne manquent pas.
La pandémie aura à la fois mis en évidence et aggravé les inégalités raciales, sociales et économiques et poussé les militant·e·s à descendre dans la rue pour réclamer justice contre la violence, le sexisme, le racisme, l’exploitation… La période aura aussi exacerbé un sentiment de vacuité et de perte de sens chez certain·e·s salarié·e·s en télétravail. Dans un contexte de souffrance accrue et de santé mentale en déclin, le bullshit des messages creux et d’une organisation du travail basée sur le présentéisme est de moins en moins toléré.
Les militant·e·s n’acceptent pas l’hypocrisie et le mensonge concernant les causes qui leur tiennent à cœur. Un·e féministe à qui on a tenu des discours convaincants sur les objectifs de diversité et d’inclusion viendra demander des comptes après un certain temps. De même, un·e militant·e engagé·e dans la lutte contre le réchauffement climatique ne pourra se contenter de messages de green washing. Rapidement, ces militant·e·s partiront, se désengageront voire se retourneront contre l’entreprise s’il y a un décalage évident entre le discours et la réalité.
C’est ce qui s’est passé récemment dans la société Chronodrive, où une employée qui se bat pour lutter contre le sexisme dans son entreprise a été sanctionnée pour un tweet critique vis-à-vis des promesses environnementales de son employeur. Comme on peut le lire dans cet article de Capital : « En réponse à un autre tweet de Chronodrive qui mettait en avant son côté écologique pour “répondre à vos besoins et limiter le surachat”, mais également le fait d’”emballer les fruits et légumes bio avec un contenant biodégradable, recyclable et écologique”, Rozenn Lévêque avait répondu : “Ça va les mitos. Je travaille à Chronodrive, je ne vous dis même pas combien d’aliments on nous force à jeter simplement parce que l’emballage est un peu abîmé. Et on ne peut même pas les récupérer sinon on est accusé de vol. Très écolo Chronodrive dis donc”. »
Cette cinquième raison de recruter des candidat·e·s est donc à double tranchant : là où il n’y a dans l’entreprise que activism washing (par exemple, woke washing) pour seulement améliorer la marque employeur, le risque, c’est que les salarié·e·s militant·e·s se retournent contre l’entreprise, la dénoncent sur les réseaux sociaux, et deviennent rapidement démotivé·e·s si les résultats ne sont pas au rendez-vous. Les salarié·e·s les plus militant·e·s peuvent alors contaminer les autres dans l’entreprise en mettant en lumière le mensonge, le bullshit et la perte de sens. Ne les recrutez pas si vous ne voyez en eux/elles qu’un moyen de séduire à peu de frais des « jeunes » réputé·e·s plus féministes et plus écolos. Faites-le uniquement si vous croyez en ce qu’ils/elles font !
Inspirez-vous davantage sur : Laetitia Vitaud
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