Recrutement : 5 bonnes raisons de bannir les tests de personnalité
13 avr. 2021
5min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
Il y a tout juste un siècle, en 1921, le psychanalyste Carl Jung publiait sa théorie des types psychologiques (Psychologische Typen) et présentait la distinction entre l’introversion et l’extraversion. En un siècle, ces concepts ainsi que les typologies de personnalités psychologiques qui en sont inspirées sont devenus si populaires qu’une gigantesque industrie des tests de personnalité s’est développée. Les psychologues conçoivent des tests pour les entreprises. Et les médias imaginent quotidiennement toutes sortes de questionnaires (« Quel personnage de Harry Potter es-tu ? ») pour inviter les internautes à cliquer sur leurs contenus.
Le vocabulaire de la psychologie, autrefois réservé à une petite élite de chercheur·euse·s éclairé·e·s s’immisce aujourd’hui dans la culture populaire, les séries, les médias, et toutes les activités du développement personnel. On pourrait se réjouir du fait que l’invitation à se connaître soi-même trouve toujours plus d’adeptes. Les tests les plus populaires, comme le test Myers-Briggs, inspiré des théories jungiennes, sont très appréciés par ces individus en quête d’une meilleure compréhension d’eux/elles-mêmes.
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Mais l’utilisation des concepts de la psychologie dans la vie professionnelle vire souvent au charlatanisme. Cela ne serait pas bien grave si cela restait un inoffensif outil de divertissement (comme la lecture d’un horoscope hebdomadaire dans un magazine féminin) ou un moyen parmi d’autres d’explorer sa personnalité. Hélas, ces outils sont régulièrement utilisés par des employeur·e·s dans le processus de recrutement. Or les tests de personnalité deviennent alors des outils dangereux et discriminatoires qui reproduisent des biais et déterminent la réussite professionnelle des individus.
Les tests de personnalité, en particulier le test Myers-Briggs, connaissent même une croissance plus forte en période de pandémie. Privé·e·s de certains échanges en « présentiel », les recruteur·euse·s se tournent vers ces outils avec la louable intention de mieux faire leur travail. Dans un contexte de chômage important, certaines entreprises espèrent filtrer les nombreuses candidatures en utilisant ces tests. Leur influence discriminatoire devient donc de plus en plus grande.
En mars 2021, la chaîne américaine HBO a diffusé un documentaire sur le sujet intitulé Persona: The Dark Truth Behind Personality Tests qui dénonce le caractère discriminatoire de ces tests dans le monde de l’entreprise. Le documentaire se base en partie sur un passionnant ouvrage de 2018, The Personality Brokers: The Strange History of Myers-Briggs and the Birth of Personality Testing, publié par une professeure à Oxford, Merve Emre, qui a mené un minutieux travail d’enquête sur l’histoire du test Myers-Briggs et l’influence démesurée (et discriminatoire) qu’il exerce aujourd’hui dans le monde du travail.
Ce documentaire et le livre de Emre, nous invitent à regarder autrement les tests de personnalité. Ce sont les produits d’une époque qui reproduisent des biais cognitifs et exercent une influence délétère dans le monde du recrutement. Combinés avec l’utilisation d’algorithmes, ils en sont venus à déterminer le destin professionnel des individus, décider de qui est « à sa place » et qui ne l’est pas. Ils auraient dû ne rester que des outils d’exploration et de développement personnels, à utiliser avec circonspection et mesure. Voici cinq grandes raisons de ne pas les utiliser dans le recrutement.
Les tests de personnalité ne sont pas faits pour le recrutement
Il est vrai que depuis le début des années 2000, de plus en plus d’entreprises les utilisent pour recruter des employé·e·s, en particulier dans les métiers de service client. Par exemple, la chaîne de supermarchés Kroger aux Etats-Unis les a longtemps utilisés pour le recrutement de ses vendeur·euse·s, mais après plusieurs procès, l’entreprise a été condamnée pour discrimination et a dû les abandonner. De nombreux travaux ont prouvé que les résultats de ces tests ne sont pas corrélés aux performances professionnelles : ils filtrent les candidat·e·s en fonction de caractéristiques qui n’ont que peu ou pas de rapport avec leur potentiel en tant qu’employé·e·s. C’est pourquoi la Myers-Briggs Company affirme avoir cessé de vendre ses produits aux entreprises qui l’utilisent pour le recrutement.
Les tests de personnalité véhiculent de nombreux biais de discrimination
« Les tests de personnalité sont, dans l’ensemble, construits pour être racistes, sexistes, classistes et exclure les personnes avec des handicaps », explique Lydia XZ Brown, défenseuse de la justice pour les personnes handicapées, dans le documentaire Persona. Les questionnaires sont en effet basés sur des normes conçues le plus souvent par ou pour des profils « standards » (d’hommes blancs hétérosexuels, en gros). Les situations de vie présentées dans ces tests et leurs partis pris sont le produit d’une époque et d’un contexte particuliers. Ils ne reflètent pas les points de vue de toutes les personnes « différentes ». Aux Etats-Unis, la Commission pour l’égalité des chances dans l’emploi (Equal Employment Opportunity Commission) a déterminé que les tests peuvent être discriminatoires à l’encontre des personnes ayant un trouble psychologique. Ils ont aussi été utilisés pour filtrer les personnes avec des antécédents de maladie mentale, ce qui est illégal dans de nombreux pays.
Notre culture favorise les extravertis, et cela n’a rien à voir avec le travail
Les recruteur·euse·s ont tendance (comme le reste de la société) à privilégier certains profils plutôt que d’autres, quelle que soit la nature du travail en question. Ainsi, comme l’explique Susan Cain dans son livre à succès, Quiet, publié en France sous le titre La force des discrets, le monde des affaires et de la culture appartiennent aux extravertis et à ceux/celles qui parlent haut. « L’homme idéal est sociable, a le goût du risque, sait travailler en équipe. Le discret, le timide est presque suspect, son caractère n’est pas adapté à notre monde. » Dans son livre, elle mène l’enquête de l’histoire de cette domination. Comment est-on passé, se demande-t-elle, d’une « culture de caractère » à une « culture de personnalité » ? Depuis quelques années, les idées de Cain sont plus populaires. À certains égards, la période de pandémie offre une certaine revanche aux introvertis : on dit que le télétravail met davantage en lumière les managers introvertis. Mais cela n’efface pas (encore) la domination des extravertis.
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Les candidat·e·s manipulent les tests de personnalité
Ils/elles ne sont pas fous/folles : à partir du moment où les tests de personnalité sont utilisés pour filtrer les candidat·e·s au recrutement, il existe une incitation à ne pas y répondre avec sincérité. Si les résultats affectent leurs chances d’avoir un travail, alors ils/elles mentent pour se présenter à l’employeur/employeuse sous un jour qu’ils/elles imaginent plus favorable. Ainsi, par exemple, comme l’explique Susan Cain, de nombreux/nombreuses introverti·e·s ont pris l’habitude de se faire passer pour ce qu’ils/elles ne sont pas réellement. Les recruteurs/recruteuses qui les utilisent ont beau dire qu’ils/elles rendent service aux candidat·e·s en les éliminant (« s’ils/elles ne sont pas fait·e·s pour le poste, ils/elles seront malheureux/malheureuses au travail »), cela ne marche pas dans un contexte de pénurie d’emplois. Or dans certains métiers, secteurs ou zones géographiques, les emplois sont trop rares.
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Apparier un type de personnalité à un type de poste, cela repose sur une vision industrielle du travail aujourd’hui dépassée
Dans le test Myers-Briggs (MBTI), chacune des 16 catégories correspond à un « profil » qui peut être compris comme un type de poste (« l’architecte », « l’artiste »…). Mais opérer cette adéquation entre une personnalité et un poste, c’est penser le poste de manière rigide et se priver de toute capacité à innover. Un poste évolue avec la personnalité de celui / celle qui l’occupe. Des profils différents apportent d’autres manières de faire et de penser qui permettent l’innovation. La vision déterministe et « essentialiste » de la personnalité correspond non seulement à une définition étriquée du travail, mais elle est aussi incompatible avec l’idée même d’innovation.
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