Retour au bureau : comment déjouer la fatigue physique et psychique ?
17 juin 2021
8min
Journaliste chez Welcome to the Jungle
Depuis le 9 juin, le télétravail, dans sa formule obligatoire à 100%, n’est plus d’actualité. Toutefois, sa version hybride mêlant présentiel et travail à distance, reste encouragée par le gouvernement. Mais sommes-nous réellement prêts à reprendre le chemin du bureau, au rythme des transports en commun, dans l’encadrement étroit d’une chaise et d’un bureau ? Ce nouveau chamboulement pourrait bien occasionner des fatigues tant physiques que psychologiques. Pour les prévenir, on fait le point avec un kinésithérapeute et une psychologue. Ne nous remerciez pas.
Soulager les troubles musculo-squelettiques
C’est un constat observé pendant la crise sanitaire et la généralisation du télétravail : « Les patients n’ont jamais été aussi nombreux à nous solliciter pour des douleurs de dos, témoigne Romain Brial, kinésithérapeute et cofondateur de Weasyo, une application de santé. Rien d’étonnant à cela, quand on sait que l’immobilité crée des tensions musculaires en bas et en haut du dos. » Sur le long terme, elle pourrait même favoriser l’apparition de troubles musculo-squelettiques. Et le retour en entreprise ne va pas mettre un terme à cette situation : pas toujours évident de se dégourdir les jambes quand on est assis derrière un bureau toute la journée. Ou de délaisser les escapades champêtres qui ponctuaient nos journées en télétravail du cuicui des petits oiseaux pour la bousculade de la ligne 13 aux heures de pointe.
Reprendre le rythme
Le retour au bureau, c’est comme la reprise du sport quand le corps est au repos depuis un moment, « Il faut respecter le principe de progression et commencer doucement. Vous pouvez bien sûr instaurer une petite routine, mais n’oubliez pas d’y aller pas à pas. » Mais selon Romain Brial, le retour au travail doit être une bonne occasion de se remettre en mouvement. Pour cela, « Vous pouvez par exemple profiter des beaux jours pour descendre une, voire deux stations de métro/bus plus tôt et marcher, ou même aller au bureau à vélo dans la limite du raisonnable. »
Au bureau, changer de position régulièrement
Pour atténuer les effets négatifs de la position assise, il est important de changer régulièrement de position, estime Romain Brial. Cela ne nécessite pas toujours de grands aménagements : « Il suffit de coller un petit coussin dans le creux de ses reins pendant quelques heures si on ne dispose pas d’une chaise ergonomique. » Le must serait encore d’investir dans des bureaux réglables pour alterner entre position assise et debout. « Ce n’est pas forcément très cher, et ça a un impact très salutaire sur la santé de notre dos. » Le ballon est aussi une bonne alternative pour bouger son bassin en travaillant. Toujours est-il que « cela doit rester progressif, car le corps a besoin de s’adapter à cette position. Si vous commencez par huit heures de ballon dès le premier jour, vous pourriez mal le tolérer. » Inutile toutefois d’être trop dogmatique, tempère Thomas Dupas, cofondateur de Weasyo et kinésithérapeute, « l’important reste d’alterner le plus possible les mouvements tout au long de la journée. »
Se lever de sa chaise toutes les heures
« L’idéal, c’est de bouger au moins cinq minutes toutes les heures ou deux heures maximum », poursuit le spécialiste. On peut par exemple profiter d’aller chercher un café pour faire quelques mouvements, « comme monter sur la pointe des pieds. De cette façon, on sollicite nos muscles et le sang circule mieux. »
Avoir un set-up parfait
Deux règles de base doivent être respectées en ce qui concerne l’aménagement de notre espace de travail : « L’écran de votre ordinateur doit toujours être à la hauteur des yeux et à une distance d’une longueur de bras », détaille l’expert. Et si on ne dispose pas d’un bureau à la bonne taille, ou d’un support adéquat ? « On peut très bien utiliser des livres pour gagner quelques centimètres. »
Faire des étirements
Au bureau, comme à la maison, il faut être à l’écoute de son corps le plus possible. « Au bureau, vous pouvez faire des rotations de bassin assez discrètement (vos collègues ne sont pas prêts à cette interprétation de Shakira) pour travailler sur le bas du dos, poursuit le spécialiste du corps. Et lorsque vous rentrez du travail, essayez de faire quelques étirements, cela soulage ceux qui souffrent du dos et pour les autres, cela protège des tensions. » Pour détendre les trapèzes, « sortez la poitrine et serrez les omoplates, cela permet de replacer la colonne vertébrale. C’est une position que l’on peut faire assis ou debout. »
Vous êtes stressé ? Vous avez donc de grandes chances de souffrir du dos. N’oubliez pas que corps et esprit sont liés, et levez le pied si besoin !
L’angoisse du retour est bien réelle
Si pour certains salariés le télétravail était synonyme d’une liberté retrouvée, pour d’autres en revanche, en rendant la frontière vie privée-vie pro extrêmement ténue et en contribuant à l’isolement, il était devenu insupportable. Ainsi, 74% des Français qui ont télétravaillé ne veulent pas revenir à du 100% en présentiel, comme c’était le cas avant la crise, d’après un sondage d’Opinion Way. « On retrouve la même configuration pour le retour du travail sur site, explique Mélissa Pangny, psychologue du travail. Certaines personnes sont très heureuses de pouvoir revenir au bureau, d’autres angoissent. » Pour éviter la virée en enfer, elle nous donne également des conseils pour déjouer la fatigue psychologique qui peut accompagner le retour au bureau.
Identifier ses angoisses
« En premier lieu, il est nécessaire de visualiser, de conscientiser votre retour en entreprise, explique la psychologue. Si, à cette évocation, une angoisse se manifeste, il faut pouvoir l’identifier pour travailler dessus. » Il n’est pas rare par exemple d’avoir développé un syndrome de la cabane (la peur de sortir de notre lieu de vie) pendant ces périodes de télétravail. Dans ce cas de figure, le mieux reste d’y aller progressivement, dans la mesure du possible. « Pour retrouver le plaisir de bouger de chez soi, si vous souffrez de ce trouble, je vous recommande de sortir de chez vous petit à petit mais de plus en plus, à votre rythme et d’aller de plus en plus loin sur plusieurs jours », ajoute Mélissa Pangny. Et ne pas hésiter à consulter un médecin si ces angoisses sont plus profondes.
Anticiper la reprise
Revenir au bureau implique pour beaucoup de revoir complètement son emploi du temps. Et cela peut être stressant. À quelle heure mettre son réveil ? Combien de temps a-t-on besoin pour se préparer ? Combien de temps dure le trajet ? « C’est un peu comme un retour de vacances ou la fin d’un long week-end, explique la psychologue. En termes de rituels, il est possible de mettre des actions en place pour mettre un terme à l’année écoulée, comme l’on clôture un week-end. Ça aide à se projeter dans la suite et à se mettre en condition psychologiquement. » La méthode est relativement simple : comme on peut entraîner les enfants deux jours avant la rentrée scolaire à se coucher plus tôt et à reprendre un rythme « normal », un salarié peut tout à fait se mettre en condition et s’imposer de nouveaux horaires. On peut également préparer la reprise en organisant ses premières journées de travail méthodiquement. Faire un planning tiré au cordeau - au moins pour la première semaine - vous permettra d’alléger en partie la charge mentale de votre travail et vous serez sans doute plus sereins en plaçant des repères dans ce nouvel environnement.
Ne pas s’enfermer dans sa bulle…
Après une coupure aussi longue, retrouver une dynamique de groupe au bureau n’est pas toujours évident. « Retrouver ses collègues, avoir plus de discussions, peut générer une forme d’anxiété. Pour autant, se mettre dans sa bulle n’est pas la solution », soutient Mélissa Pangny. Le plus important étant de « ne surtout pas reprendre son poste comme si rien ne s’était passé depuis un an, assure la psychologue. Mais communiquez sur vos besoins auprès de vos managers, qui doivent avoir un rôle essentiel à jouer et doivent donner l’impulsion pour resserrer les liens entre collègues. C’est normal d’être un peu perdu quand on n’a pas toutes les réponses ni de marge de manœuvre. À mon sens, un salarié doit pouvoir prendre le temps de faire un point avec son N+1 pour comprendre les évolutions d’organisation, de mission des uns et des autres… C’est un peu comme si vous étiez nouveau dans l’entreprise. »
…Mais se préserver de son environnement
Pour certains le retour au bureau c’est l’allégresse d’échapper à un voisin qui ne déroge jamais de sa playlist Michel Sardou, à un chantier qui débute pile sous votre fenêtre (comme par hasard !), à des enfants qui s’hurlent dessus. Mais pour d’autres, ce come-back revient à quitter son îlot de quiétude pour le charivari de l’open-space : le pianotage de clavier qui nous irrite les esgourdes, ce collègue - qui lui se croit encore à la maison - passant son temps à téléphoner de sa voix de stentor. Pas simple d’être efficace à son poste dans ces conditions. Heureusement, plusieurs techniques permettent de faire abstraction de son environnement. On peut commencer par en parler à son entourage pro et négocier un espace de tranquillité (essayez d’instaurer un roi du silence, éventuellement). Plus radical, se munir d’un casque anti bruit vous donnera certes l’apparence d’un chef de chantier, mais vous offrira la paix (Nb. fonctionne aussi avec des boules Quies). Bon à savoir, en focalisant son regard sur un objet en particulier ou en adoptant une série de lentes inspirations et expirations, on améliore sa capacité de concentration. Aimé Jacquet avait vu juste « muscle ta concentration Robert ! »
S’appuyer sur la médecine du travail
« On peut aussi faire le parallèle avec un retour après un long arrêt-maladie, ajoute la psychologue. La médecine du travail doit être incluse dans toutes les procédures de prévention et prendre soin des personnes qui reviennent après plusieurs mois voire plus d’un an en télétravail. En cas de grosses angoisses, il faut absolument prévenir sa·son responsable, ou la médecine du travail - qui en application du secret médical ne peut communiquer aucune information concernant un salarié - de ses peurs ou de son sentiment d’insécurité », pour que l’entreprise puisse l’entendre et anticiper des solutions adaptées à chaque situation. Il y a le fonctionnement de l’entreprise d’un côté et le fonctionnement de la personne de l’autre côté. Et « il faut trouver un compromis qui soit acceptable pour les deux parties ».
Un retour à effectuer de manière progressive
Enfin, pas d’inquiétude, rares sont ceux qui reprendront en 100% présentiel du jour au lendemain, « c’est trop brutal, les entreprises risquent de perdre des personnes en cours de route, défend Mélissa Pangny. Cela doit être préparé en amont par les salariés et les entreprises pour que le retour se fasse en douceur, d’abord un à deux jours par semaine par exemple. » Elisabeth Borne, la ministre du Travail, préconise quant à elle trois jours de présentiel. « Tout dépend depuis combien de temps la personne n’est pas revenue, certaines revenaient déjà sur site avant le 9 juin, d’autres sont en télétravail depuis plus d’un an, c’est presque au cas par cas et en fonction des métiers et des obligations de chacun », conclut la psychologue.
Pour la ministre du Travail, les employeurs ne pourront pas contraindre les salariés à revenir à ce rythme et s’exposent dans le cas contraire à l’inspection du travail. Le nouveau protocole mis en place par le ministère ne transige pas à ce sujet : c’est un dialogue interne entre directions, syndicats et salariés qui doit permettre de fixer le nombre de jours travaillés en présentiel et en télétravail. Le problème c’est qu’il n’a pas de valeur législative et demeure purement consultatif. Si les conditions de retour proposées par votre employeur vous posent problème, vous pouvez toujours adresser une demande individuelle de télétravail à laquelle votre employeur, s’il souhaite vous la refuser, devra avancer des arguments concrets. Cette demande qui peut s’effectuer par mail, lettre ou encore à l’oral, nécessite de votre part de vous assurer que votre emploi est bien télétravaillable et que vous disposez du matériel nécessaire, d’identifier le nombre de jours qui vous convient et surtout de préparer vous-même un solide argumentaire.
Parce qu’on a pris l’habitude d’organiser nos journées de télétravail selon notre propre rythme, ou parce qu’on se sent mieux chez soi, loin du tumulte des bureaux, des injonctions à sociabiliser ou à respecter les gestes barrières, la reprise du travail en présentiel peut être synonyme pour certains de fatigues et d’angoisses. Chassez le travail en présentiel et il revient au galop ? En trottinant sûrement. Pas la peine de cravacher au risque de finir fourbu comme un vieux cheval de course dès les premiers jours de reprise. Prendre le temps de bien préparer son retour - tant physiquement que psychologiquement - est essentiel pour éviter d’user les batteries trop rapidement et continuer à aborder son travail sereinement.
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Article édité par Eléa Foucher-Créteau
Photo par WTTJ
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