Et si votre petite voix intérieure était votre meilleure alliée professionnelle ?
19 févr. 2025
6min
Entendre une petite voix dans sa tête est bien plus répandu qu’on ne le pense. C’est même un sujet étudié scientifiquement sous le nom d’endophasie. Et puisque cette voix nous accompagne partout, elle est forcément aussi présente au travail. Mais de quoi s’agit-il concrètement et à quoi nous sert-elle… notamment au bureau ? Éléments de réponse avec Hélène Lœvenbruck, chercheuse au CNRS spécialiste de l’endophasie.
Mot de passe oublié ? Cliquez sur ce bouton pour recevoir le code de réinitialisation par SMS. « Ok, le voici : 4632. Quarante-six trente-deux. Quarante-six, trente-deux. Quatre, six, trois, deux. Quarante-six-trente-deux. » Vous avez l’impression de passer votre temps à retenir des codes de récupération ? C’est normal, personne n’y échappe. Ce qui l’est aussi, c’est que lorsque vous avez une série de chiffres à retenir comme un code, un placement dans le train ou l’avion, un numéro de téléphone, etc. une petite voix se déclenche dans votre tête de façon intérieurement audible et vous aide à les répéter. Cette « petite voix », comme on l’appelle couramment, n’est pas un privilège réservé à Jeanne d’arc, mais bien une réalité prouvée scientifiquement dénommée endophasie. Une voix intérieure qui se manifeste dans nombre de situations, variables selon les personnes, et pour bien d’autres raisons que la simple rétention d’une suite de chiffres donc. La Directrice de recherche au CNRS Hélène Lœvenbruck le sait bien, puisqu’elle a publié en 2022 un livre sur l’endophasie, intitulé Le mystère des voix intérieures (éditions Denoël) dans lequel elle la définit comme étant la « production intériorisée de langage, sans articulation ni émission de sons* ».
Tous concernés ?
En fait, l’endophasie est un sujet d’étude scientifique ancien, les premiers travaux ayant commencé en 1892 grâce au médecin-philosophe français Georges Saint-Paul. Mais il regorge encore de bien des mystères, notamment en raison de la difficulté d’étudier un phénomène souvent inconscient et/ou involontaire. Voici néanmoins ce que peut nous en dire Hélène Lœvenbruck pour l’appréhender avec plus de précision : « L’endophasie peut se manifester sous plusieurs formes, pas uniquement par la petite voix, précise la chercheuse. Elle peut être un monologue intérieur, mais aussi un dialogue entre deux voix distinctes. Elle peut être délibérée, comme dans notre exemple de mémorisation, ou arriver sans crier gare, pour nous rappeler qu’on avait un rendez-vous, nous raisonner ou nous motiver avant un événement important… Elle peut aussi se manifester de manière moins audible, sous forme d’idée condensée, du sens pur, sans sensation de voix. »
Le concept est donc un peu plus complexe qu’à première vue. Entre la pensée, le langage et la conscience, difficile de bien situer l’endophasie, qui serait à la fois distincte et à la croisée de toutes ces notions. Cependant, ce qui est frappant en se penchant sur les études, c’est la proportion d’individus qui produisent du langage intérieur. « Il est difficile de le chiffrer précisément, indique Hélène Lœvenbruck, mais nous estimons qu’une grande majorité de la population est concernée par l’endophasie et qu’une petite part utilise très peu le langage intérieur », affirme la chercheuse.
La « petite voix », un partenaire de travail
Si la petite voix est entendue par la majorité d’entre nous dans la vie de tous les jours, il est alors logique qu’elle soit aussi embarquée au bureau. Par exemple, quand vous calculez de tête un petit budget ou que vous vous répétez mentalement des informations à retenir, c’est elle qui permet à votre cerveau d’être efficace. « Elle est également très présente en résolution de problèmes, pour nous aider à verbaliser les étapes de la réflexion jusqu’à trouver une solution », ajoute Hélène Lœvenbruck. L’endophasie nous aide aussi dans les prises de décisions, qu’elles soient opérationnelles ou managériales. « C’est souvent en se parlant mentalement qu’on réussit à lister puis peser les pour et les contre. » Elle est donc omniprésente au travail, aussi bien pour nous aider à réaliser de petites tâches que pour prendre du recul sur une problématique plus vaste.
Si l’endophasie nous aide à retenir une information du passé et à prendre des décisions dans le présent, elle sait aussi nous préparer à un événement futur en s’y projetant. La veille d’un entretien d’embauche, c’est votre petite voix qui va vous répéter les questions probables du recruteur et dégainer vos meilleures réponses. Avant une réunion importante, c’est encore elle qui vous permet de vous entendre dérouler un discours qui claque auprès de vos collègues ou de vos clients. Un peu comme un comédien à l’approche de sa grande première sur les planches, le langage intérieur vous permet de créer une répétition générale dans votre tête pour que tout roule le jour J.
Cette capacité à simuler intérieurement des dialogues ne présente en revanche pas que des avantages. Notamment lorsqu’il s’agit d’une conversation déjà passée : un échange tendu au cours duquel on aurait aimé agir différemment, et voilà qu’on rejoue la séquence, encore et encore, en changeant nos réponses par ce que l’on aurait voulu envoyer à la face de notre interlocuteur avec une meilleure répartie. « Cela peut faire du bien, peut parfois améliorer nos interactions futures, mais ce n’est pas toujours constructif et ça détourne notre attention du moment présent en nous faisant ressasser inutilement un évènement qu’on ne pourra hélas pas changer », met en garde Hélène Lœvenbruck.
La « petite voix », alliée ou ennemie ?
La « petite voix » ne joue pas toujours un simple rôle d’appui cognitif, puisqu’elle peut aussi influer sur notre santé mentale ou notre bien-être émotionnel. « L’endophasie a une fonction cognitive qui nous aide à mieux penser, mais aussi méta-cognitive pour mieux “se” penser, se donner une conscience de soi et permettre l’auto-évaluation, l’auto-critique ou l’auto-encouragement », analyse la spécialiste du CNRS. Parfois, en effet, il arrive que notre langage intérieur se transforme en rumination d’une idée négative. On entend alors en boucle une remarque déplacée d’un collègue, on se parle à soi-même en se dévalorisant, on verbalise son syndrome de l’imposteur…
Mais ce n’est pas la petite voix qui est à la source du problème, car l’endophasie amplifie souvent un état mental déjà existant. « Chacun a le pouvoir de gérer l’endophasie de façon négative ou positive, rassure Hélène Lœvenbruck. Lorsqu’on est fatigué, triste, la petite voix peut devenir ressassante, ruminante et aggraver cet état, ce qui nous fait entrer dans un cercle vicieux potentiellement délétère pour le bien-être psychologique. La rumination est un précurseur de troubles psychologiques importants tels que la dépression ou l’anxiété. Mais parfois, elle peut au contraire nous aider à sortir de cette spirale négative, en nous disant que ce n’est pas grave, qu’il faut passer à autre chose. » Écoutez donc votre langage intérieur quand il vous rappelle que votre collègue n’en est pas à sa première remarque toxique, que vous avez énormément de qualités et compétences professionnelles qui justifient votre poste, et que vous n’êtes absolument pas une imposture.
Dans certains cas bien précis, les études démontrent que l’endophasie peut être un précieux allié. Chez les sportifs de haut niveau, par exemple, il a été démontré que l’endophasie permettait d’améliorer les performances à bien des égards. « En se parlant intérieurement, les sportifs peuvent prévisualiser leur performance, par répétition verbale des gestes et des actions qu’ils vont réaliser pendant la course, le duel ou le match. » Toujours chez les sportifs, d’autres études montrent que l’endurance et la motivation sont aussi impactées positivement par la petite voix car elle permet de « se focaliser sur la performance à accomplir et de réduire les signaux du cerveau qui demandent au corps de s’arrêter lorsqu’il éprouve une fatigue intense. » La petite voix pourrait donc aussi être un soutien de poids dans vos accomplissements professionnels, en vous permettant de recentrer votre attention sur une tâche importante ou de renforcer votre motivation et votre résilience dans les périodes les plus intenses.
Tendez l’oreille
Cela veut-il dire que nous devrions laisser plus de place à notre langage interne ? « C’est une bonne question, je pense que cela dépend beaucoup des personnes, avance Hélène Lœvenbruck. Certaines n’en ont pas besoin, car elles arrivent à organiser leur pensée différemment ou l’écoutent déjà suffisamment. Mais pour d’autres, qui ont du mal à se concentrer ou dont les pensées sont souvent interrompues, il peut y avoir un intérêt à renouer davantage avec l’endophasie. » Alors, au vu de ce qu’elle peut nous apporter dans de nombreuses situations de travail, de la préparation mentale à la prise de décision en passant par les tâches cognitives classiques, et même si elle se manifeste le plus souvent naturellement, serait-il possible de cultiver sa petite voix ? La chercheuse du CNRS nous partage quelques techniques : « *Se parler à voix haute peut aider à organiser sa pensée et à renforcer son endophasie, suggère-t-elle. Évidemment, on ne peut pas se parler à voix haute dans tous les contextes, mais on peut chuchoter ou sub-articuler dans l’open space pour garder cette mobilisation du langage. » Écrire serait également bénéfique et permettrait en plus de canaliser son langage intérieur. « Tenir un journal intime ou écrire ses réflexions est une bonne manière de recadrer sa petite voix sur le positif lorsqu’elle ressasse des pensées nocives*. »
Qu’elle soit un outil cognitif, un soutien moral ou une source de cafard, la petite voix est présente chez la plupart d’entre nous, à la maison comme au bureau, et semble être un outil primordial pour l’organisation efficace de nos pensées. Le dernier conseil d’Hélène Lœvenbruck est donc d’éviter les distractions qui l’empêcheraient de s’exprimer lorsqu’elles sont trop nombreuses. Et à vrai dire, ce n’est pas si simple à l’heure des réseaux sociaux (y compris professionnels), des réunionites aiguës et des notifications Slack. « Il y a une tendance à remplir constamment notre univers mental, remarque la chercheuse. Ce n’est pas mauvais en soi car cela nous permet d’apprendre plein de choses. » Effectivement, nous sommes submergés d’informations plus ou moins intéressantes, pendant nos heures de travail mais aussi sur notre temps libre. Le problème, c’est que cela ne laisse plus beaucoup de place à notre « petite voix ». « Cela peut nous empêcher d’avoir des moments importants de dialogue interne, de vagabondage mental, où l’endophasie non-intentionnelle intervient et pourrait nous aider à mûrir des réflexions professionnelles importantes », poursuit l’experte. C’est d’autant plus dommage que notre « petite voix » non-intentionnelle et le vagabondage mental participent grandement au développement de notre créativité. Peut-être qu’il faudrait arrêter de nourrir son cerveau en permanence et « s’accorder des moments sans aucune lecture, aucune vidéo, aucun mail » ? Autrement dit, faire silence mentalement et tourner ses oreilles vers l’intérieur pour mieux écouter et pourquoi pas dialoguer avec cette fameuse voix intérieure.
Article écrit par Alexandre Nessler, édité par Aurélie Cerfond, photographie par Thomas Decamps
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