Recevoir son salaire en cryptomonnaies : et si c’était pour demain ?
20 févr. 2019
5min
Percevoir son salaire en Bitcoin ? Une évolution qui a déjà cours ailleurs dans le monde, mais que la loi française ne semble pas prête à assimiler… Cela dit, compte tenu de l’absence de cadre juridique pour les cryptomonnaies, serait-il vraiment souhaitable d’être payé(e) sous cette forme ?
Crypto-quoi ?
Les cryptomonnaies sont des monnaies créées et gérées par des individus, indépendamment des autorités de régulation traditionnelles que sont les banques centrales. Elles s’appuient sur des transactions peer-to-peer, c’est-à-dire directement d’un ordinateur à un autre, sécurisées grâce à une technologie de pointe, en l’occurrence la blockchain qui permet de crypter et empêcher toute modification d’une donnée. La cryptomonnaie la plus connue est sans doute le Bitcoin, créé et popularisé dans le sillage de la crise financière de 2009, afin que les citoyens ne soient plus victimes des fragilités du système bancaire. Entre-temps, il s’en est développé des dizaines d’autres, telles que l’Ethereum, le Ripple ou le Tether.
L’extrême volatilité des cryptomonnaies et l’absence de réglementation font régulièrement débat : le Bitcoin, qui valait près de 2 000 euros en juillet 2017, a vu sa valeur multipliée par 8 en cinq mois… avant de dégringoler régulièrement tout au long de l’année 2018 pour atteindre les 3 000 euros aujourd’hui. Malgré cette très forte volatilité, un salarié qui aurait touché une prime de 2 000 euros en juillet 2017 détiendrait aujourd’hui 3 000 euros sans aucun effort, soit une plus-value de 50% en 18 mois : qui dit mieux ? Le risque est certes élevé, mais proportionnel à l’espérance de gains, raison pour laquelle les cryptomonnaies demeurent extrêmement populaires.
Recevoir un salaire en cryptomonnaies ? Une pratique qui existe déjà dans plusieurs pays
Les États-Unis, le Canada, l’Australie, l’Angleterre, l’Espagne, la Suède, le Japon, Singapour, la Finlande ou encore la Norvège reconnaissent le Bitcoin et certaines autres cyptomonnaies comme des moyens de paiement légaux , et il existe déjà quelques pays dans lesquels le paiement du salaire peut se faire en cryptomonnaie.
Japon
Le Japon est le premier pays au monde à avoir officiellement reconnu le Bitcoin comme une monnaie à part entière, au printemps 2017. Et depuis mars 2018, l’entreprise nippone GMO Internet permet à ses 4 000 salariés de recevoir une partie de leur salaire mensuel (l’équivalent de 800 euros maximum) en Bitcoins. L’expérience est liée à l’activité de l’entreprise - entre autres, une plateforme d’échange de cryptomonnaies - qui admet qu’à travers cette mesure elle « espère améliorer sa propre connaissance de la monnaie virtuelle en l’utilisant vraiment. »
Australie
En Australie, l’entreprise Bitedge verse l’intégralité du salaire en Bitcoins. Il s’agit certes d’une société de paris sportifs… en cryptomonnaies, mais aussi du pays probablement le plus avancé en termes de reconnaissance officielle des cryptomonnaies puisque, début 2018, les législateurs australiens ont commencé à les intégrer progressivement dans les différents aspects réglementaires. Mise en place d’un registre pour les échanges de monnaies digitales, publication de bonnes pratiques, chapitres dédiés dans la loi contre le blanchiment et le financement du terrorisme, périmètre fiscal… Un arsenal réglementaire a été mis en place afin de renforcer la confiance du citoyen australien dans ces monnaies et, peu à peu, leur donner un statut de monnaies classiques.
Costa Rica
Au Costa Rica, un an après avoir publié une directive qui ne reconnaissait pas les monnaies virtuelles comme partie intégrante de son système bancaire, la loi a autorisé les entreprises, mi-2018, à payer leurs employés en cryptomonnaie pour la portion supérieure au salaire minimum. La somme correspondant au salaire minimum doit bien, elle, être versée en monnaie fiduciaire. Ce revirement a plusieurs raisons : d’une part, un nombre croissant d’entreprises costaricaines, notamment dans le tourisme, acceptent ce mode de paiement et, d’autre part, le nombre d’emplois dans le secteur est en constante augmentation dans le pays.
En France les salariés sont prêts. La loi, pas tout à fait…
En France comme dans la quasi-totalité des pays du monde, les cryptomonnaies n’ont aucune valeur officielle. Sans aller aussi loin que la Chine, qui a banni des centaines de plateformes d’échange de cryptomonnaies depuis 2017 (mais envisage de créer sa propre cryptomonnaie nationale), la France ne semble pas encore prête à faire beaucoup de place à ces monnaies indépendantes et incontrôlables.
Paris peut se targuer d’héberger, à Station F, la start-up californienne Bitwage qui propose une solution internationale pour payer les freelances, prestataires et travailleurs à distance en utilisant le Bitcoin. Pour autant, il n’est pas question de payer ses salariés français de cette manière ! Notre Code du Travail stipule que le versement du salaire doit s’effectuer soit en monnaie fiduciaire, soit dans une monnaie ayant cours légal en France, ce qui exclut donc pour l’instant les cryptomonnaies, considérées comme des monnaies virtuelles et sans cours légal. Les textes précisent également que le salaire doit être payé en espèces, par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal. Il serait donc illégal de verser une rémunération vers un compte Bitcoin, qui n’est pas un compte bancaire au sens juridique… En clair, pour se faire payer en Bitcoin ou en ethereum, il va falloir attendre encore.
Pourtant, les Français sont prêts : 60% d’entre eux sont d’accord pour recevoir une partie de leur rémunération en cryptomonnaie, voire à aller négocier un tel mécanisme avec leur supérieur, d’après une étude réalisée par Qapa.fr et Paypite. La confiance dans cette monnaie dérégulée est, sans surprise, plus forte chez les plus jeunes, qui sont nés en pleine révolution digitale, puisqu’un tiers des 18-30 ans l’accepterait pour le versement d’une prime ou d’un bonus, contre 24% pour l’ensemble de la population.
Un salaire en Bitcoins… pour jouer à se faire peur !
Un engouement qui ne doit pas faire oublier que le fonctionnement des cryptomonnaies n’est encadré par aucune instance réglementaire… La Banque de France appelle régulièrement les utilisateurs français à la plus grande vigilance, tant les technologies associées sont complexes et peu ou pas maîtrisées par le grand public - cette opacité fait d’ailleurs des cryptomonnaies un espace très propice aux activités illégales. La principale vulnérabilité du système réside dans les cyberattaques sur les plateformes d’échange ; 64 millions de dollars dérobés à la plateforme NiceHash fin 2017 et encore 16 millions de dollars à Cryptopia en ce début d’année 2019. Au total ce serait plus de 800 millions d’euros qui auraient été ainsi volés en 2018. À ces piratages s’ajoutent les nombreuses arnaques montées autour des cryptomonnaies, principalement des levées de fonds pour des projets fictifs et des chaînes de Ponzi, dont les pertes pour les investisseurs floués sont estimées à 630 millions d’euros pour la seule année 2018.
Le risque de perte financière est d’autant plus élevé qu’il n’existe aucun recours en cas de préjudice. Les assureurs ne se bouculent pas pour prendre en charge un risque aussi mal défini. Alors, que se passe-t-il si la moitié de votre salaire, celui sur lequel vous avez contracté le crédit de votre appartement, part en fumée du jour au lendemain parce que le disque dur contenant vos clés de cryptage ne fonctionne plus, parce que vous vous êtes fait voler votre ordinateur ou parce que vous avez par mégarde perdu vos codes d’accès ?
Pourquoi se laisser tenter à être payé en monnaie virtuelle ?
Dans une époque de méfiance des “systèmes” (politiques, financiers, agroalimentaires, marchands), les cryptomonnaies sont la promesse, et même la concrétisation, d’une reprise en main de son argent. Elles suppriment par exemple les contrôles des changes aux frontières ou les interminables formulaires à remplir lorsqu’on émet un virement bancaire important.
L’acceptation croissante du Bitcoin comme moyen de paiement par des entreprises ayant pignon sur rue (Amazon, pour ne citer qu’elle) contribue également à normaliser les cryptomonnaies. Les volumes de Bitcoins échangés quotidiennement représentent 5 à 10 milliards de dollars. Dans une époque où le digital ne cesse d’innover et de remettre en cause les modèles établis, pourquoi pas la monnaie ?
Pour l’immense majorité des utilisateurs qui ne comprend pas précisément le fonctionnement des cryptomonnaies, le principal attrait est spéculatif. La possibilité de réaliser des gains extrêmement importants sans connaissances financières préalables, sans frais de gestion à payer, sans formalités administratives, pourrait démultiplier l’impact de la rémunération si elle est effectuée en cryptomonnaie.
58% des Français considèrent que les cryptomonnaies représentent le futur des transactions : il y a fort à parier que la Banque centrale européenne et la France finiront par légiférer sur le sujet. D’ailleurs, sans surprise, notre pays a déjà conçu un cadre fiscal pour les plus-values et les levées de fonds en cryptomonnaies. Mais le Bitcoin ou l’Ethrereum continueront, par nature, à présenter plus de risques que les monnaies traditionnelles. Alors ne misez pas toute votre rémunération dessus, gardez quand même un bas de laine garni de bons vieux billets !
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Photo by WTTJ
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