Shaker : Jusqu'où repenser l'expérience candidat ?
20 juil. 2018
6min
À l’heure actuelle, 60% des candidats rapportent avoir déjà eu une mauvaise expérience de recrutement, que ce soit à cause d’un manque de réponse, de réactivité, de considération, ou une mauvaise compréhension de l’entreprise ou des ses besoins. Sujet important, clé pour l’image de marque et le bien-être des candidats, il est aujourd’hui primordial de se pencher dessus.
Lors de notre évènement Shaker du 18 juillet 2018 nos deux invités nous ont livré leurs retours d’expérience sur le sujet :
Daniel Grunebaum, Chief Talent Officer chez Wemanity un cabinet de conseil disruptif qui accompagne les entreprises dans leur transformation agile.
Jean Pralong, psychologue, professeur et chercheur en gestion des ressources humaines, actuellement titulaire de la chaire intelligence RH et RSE à l’IGS.
L’expérience candidat, pilier de la marque employeur
« La marque employeur emploie les codes du marketing depuis la crise des années 1990. », raconte Jean Pralong. À cette époque, une nouvelle mission est attribuée aux ressources humaines : trouver des talents et les garder. Pour cela, elles s’inspirent et embauchent, dans leur secteur, des gens du domaine du marketing, dont l’objectif est de fidéliser les consommateurs. De nombreux marketeurs sont d’ailleurs issus du secteur de la grande distribution, où la communication est tournée vers une prise de décision rapide et peu impliquante, pensée pour provoquer de l’infidélité envers les autres marques. Appliqués à l’univers du recrutement, les codes, souvent mensongers, de la publicité, sont employés pour provoquer un acte de candidature sans vraiment se soucier de la suite. Résultat : on crée chez les candidats des comportements de doute et d’infidélité.
« La marque employeur emploie les codes du marketing depuis la crise des années 1990. » Jean Pralong, psychologue, professeur et chercheur en gestion des ressources humaines
Faire preuve de transparence
Pour s’éloigner de cette tendance, Jean Pralong propose de considérer le processus de recrutement comme l’appartement témoin de l’entreprise. « Le recruteur doit être lui-même et donner à voir ce qu’est la réalité de l’entreprise et de son contrat social. Les PME s’en sortent souvent assez bien car, n’ayant pas les moyens de payer des marketers qui enjolivent les choses, elles restent simples et relativement sincères. »
Pour Daniel Grunebaum, le maître mot est la transparence. « Ça fait partie de notre ADN chez Wemanity : dès que le candidat passe notre porte, on lui donne une roadmap de l’entreprise. Je demande à mes équipes de ne pas raconter des histoires et de ne pas vendre de rêve là où il n’y en a pas. On a pivoté trois fois ces cinq dernières années et on ne s’en cache pas. » Selon lui, la versatilité des générations Y et Z, dont se méfient tant les recruteurs, n’est pas intrinsèque mais une conséquence du manque d’honnêteté dont ces derniers font preuve à leur égard. Des employés heureux peuvent rester des années dans leur entreprise, et c’est pourquoi la transparence est l’un des piliers de la réussite de l’expérience candidat et doit démarrer dès le début.
« Je demande à mes équipes de ne pas raconter des histoires et de ne pas vendre de rêve là où il n’y en a pas. On a pivoté trois fois ces cinq dernières années et on ne s’en cache pas. » - Daniel Grunebaum, Chief Talent Officer chez Wemanity
Repenser l’offre d’emploi
L’offre d’emploi est aujourd’hui utilisée comme un outil de captation massive de CVs. La métaphore de la pêche au chalut vient à l’esprit de Jean Pralong : les recruteurs lancent un filet au fond de la mer, sont heureux de découvrir la grosse quantité de poissons qui remonte, et espèrent qu’ils auront peut être attrapé un dauphin au passage. « Les CVs, rappelle Daniel Grunebaum, viennent alimenter une base de données que l’entreprise peut valoriser si elle se fait racheter. Mais au-delà de valoriser l’entreprise, a-t-on valorisé le candidat ? » Non, car l’importance des volumes de candidatures reçues empêche bien souvent les recruteurs de répondre à tout le monde.
Pour limiter ces volumes, les RH doivent tout d’abord cesser de raisonner en termes de metrics (souvent inatteignables) et d’arroser tous les jobboards de la toile. La description plus précise du poste favorise par ailleurs l’auto-élimination, permettant d’attirer des candidats plus pertinents et moins nombreux.
Daniel Grunebaum propose également d’abandonner le format écrit traditionnel de l’offre d’emploi pour passer à un format vidéo, capable de faire parler les collaborateurs qui vivent l’entreprise au quotidien et donc d’être plus transparent, et d’arrêter les mails de réponse automatique. Jean Pralong le rejoint sur ce point : « Il serait souhaitable que les candidats soient accueillis personnellement dès le premier mail. Ils sont dans une posture de scepticisme donc l’entreprise part avec quelques points de retard dès le début. Pour les rattraper, elle doit être soigneuse. »
Faire rédiger ces mails par un être humain est aussi bénéfique pour l’entreprise : elle se démarque de la concurrence et défend son image, même auprès des candidats rejetés, ce qui est particulièrement important si l’on considère que ces derniers pourront aussi être un jour de potentiels clients.
« Il serait souhaitable que les candidats soient accueillis personnellement dès le premier mail. » Jean Pralong, pyschologue, professeur et chercheur en gestion des Ressources Humaines
Mettre le candidat au coeur du processus
Le processus de recrutement de Wemanity, qui ne comprend jamais plus de trois entretiens, a été pensé avec pour objectif de valoriser le candidat et de rééquilibrer la relation recruteur-candidat. Le premier entretien se passe debout et différents types de jeux sont proposés. « On efface les positions de force et on se raconte nos histoires respectives au travers d’une situation un peu plus sympa », explique Daniel Grunebaum.
Pour la deuxième étape, une validation technique, ce sont les consultants qui se déplacent vers le candidat, en lui donnant rendez-vous dans un café proche de chez lui par exemple, afin qu’il ne perde pas son temps dans les transports et comprenne qu’il a de l’importance aux yeux de l’entreprise. Ne pas négliger la ponctualité qui est une preuve de respect envers le candidat. « Si tout peut se faire dans la journée c’est tant mieux, ajoute Daniel Grunebaum. Les processus à rallonge qui durent trois semaines c’est aberrant ! » Le recruteur et le candidat choisissent ensuite une date pour se donner un retour, en fonction des contraintes de chacun. Le but étant que le candidat soit sûr de son choix à 200% afin de minimiser le turnover.
« On efface les positions de force et on se raconte nos histoires respectives au travers d’une situation un peu plus sympa. » Daniel Grunebaum, Chief Talent Officer chez Wemanity
Autre clé pour valoriser le candidat : le feedback. À la fin de chaque entretien, un ROTI (return on time invested) est effectué par le recruteur et le candidat pour donner une note sur 5 à l’autre partie et expliquer son évaluation. Ce feedback immédiat permet au candidat de grandir et de comprendre pourquoi il a été retenu ou non. Une semaine plus tard, le recruteur envoie également une enquête de satisfaction afin d’améliorer l’expérience candidat.
Si le candidat n’est pas recruté, cela peut tout de même valoir la peine de continuer à entretenir une relation avec lui. « Il y a 10-15 ans, les recruteurs créaient des relations pérennes avec les candidats, ils géraient et animaient un réseau de personnes intéressantes à garder autour d’eux. On aurait peut être intérêt à se réapproprier cette façon de faire. », suggère Jean Pralong.
Choisir “le bon” candidat
La première question à se poser, d’après Jean Pralong est : pour combien de temps recrute-t-on cette personne ? Si c’est un contrat éphémère, l’entreprise n’aura pas le temps de la façonner pour qu’elle adhère à ses valeurs et codes, contrairement à un contrat durable. Il est donc nécessaire d’évaluer à la fois son potentiel d’adaptabilité et ses compétences, et pondérer leur importance en fonction de la durée d’embauche. « Il faut toutefois renoncer à savoir qui est vraiment le candidat. On ne pourra le voir que lorsqu’on l’aura mis à son poste de travail. », souligne Jean Pralong.
De son côté Daniel Grunebaum utilise un outil simple pour cerner le candidat : il lui raconte son histoire et ses motivations pour établir une relation de confiance avec son interlocuteur et que celui-ci se sente suffisamment à l’aise pour parler de lui-même. « Le recrutement n’est pas une science exacte mais pour minimiser le risque de se tromper, il faut se lâcher et prendre des risques. », décrète-t-il. Il croit par ailleurs qu’il est impératif que le candidat rencontre les gens avec lesquels il va potentiellement travailler, alors qu’une rencontre avec la hiérarchie n’est pas forcément nécessaire.
Réussir son onboarding
L’offre ayant été pourvue, il est temps de passer à la phase d’onboarding « un moment clé » pour Daniel Grunebaum. Chez Wemanity, un budget conséquent est alloué à cette phase et tout le monde s’arrête de travailler pendant une journée afin de se dédier à la nouvelle promotion. Le but étant que les gens apprennent à se connaître à travers des jeux, des repas. « On se doit d’être exigeants vis à vis de l’onboarding car le nouvel employé arrive généralement avec beaucoup de stress et que c’est la première impression qu’on va lui donner en tant que membre de l’entreprise. », conclut-il.
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