Empathie et management : mais de quoi parle-t-on au juste ?
17 janv. 2022
4min
DRH, ex-DG de SNCF Transilien, conférencière, professeure à Science-Po, autrice, cofondatrice de 10h32
HUMANS AT WORK - La carrière d’un·e DRH ou/et d’un·e dirigeant·e est jalonnée d’histoires et de rencontres avec des collaborateur·rices. Notre experte du Lab Bénédicte Tilloy en sait quelque chose. Au cours de sa carrière, elle a recruté, managé et collaboré avec quelques milliers de salarié·es dans des écosystèmes divers et variés. Dans cette série, elle revient sur les rencontres les plus marquantes de sa vie pro, ce qu’elles lui ont appris sur elle, les autres et le monde de l’entreprise.
Lorsque Victor, mon adjoint, est décédé de ce qu’on appelle pudiquement « une longue maladie », j’ai pris la parole lors de ses obsèques. Devant un cercle familial, en petit comité, j’ai raconté leur père, leur frère, leur fils, dans l’exercice de ses fonctions. Beaucoup de ses proches m’ont dit l’avoir découvert à travers mes mots. Un taiseux, compétent et engagé, dont le cancer a fini par avoir raison des dernières forces, et à qui il m’arrive de confier mes doutes à voix haute encore aujourd’hui.
À l’époque, j’ai consolé des chagrins d’amour, conseillé des parents un peu dépassés par des adolescents compliqués et à mon tour j’ai reçu des fleurs et du soutien lors d’événements personnels douloureux. Lorsque l’entreprise a été affectée par des accidents graves, j’ai vécu avec mes collègues des moments de grande intensité émotionnelle. Pourtant, un tel comportement n’était pas encouragé. Bien au contraire : lorsque j’ai démarré ma carrière il y a des années, il était recommandé de laisser ses problèmes personnels au vestiaire et de cloisonner. La vie au travail devait rester étanche. Comme on n’imaginait pas le général de Gaulle raconter ses problèmes de couple, on ne pensait pas non plus nécessaire - voire pas raisonnable - de raconter au bureau les choses de sa vie personnelle. Les chef·fes n’avaient pas à le savoir, et les collaborateurs·rices se fichaient bien que les patrons ne soient pas dans leur assiette, à la maison.
Heureusement, cette époque est révolue. Aujourd’hui, un·e manager empathique, c’est la base. Si la personne que nous sommes n’habite pas la fonction que nous exerçons, nos relations avec les autres se résument à des transactions. Comment susciter l’engagement si on n’est pas capable de comprendre le point de vue de ses collaborateurs·rices, ni d’éprouver les sentiments et les émotions de celles et ceux qu’on sollicite ?
Empathie vs intrusion
Pour autant, j’en conviens, trouver la juste limite entre empathie et intrusion peut être un casse-tête. C’est d’ailleurs à cela qu’on distingue un·e manager réellement empathique de ceux/celles - nombreux·ses aujourd’hui - qui usent de cette bienveillance surjouée, dont on parle le plus souvent pour se moquer : à sa capacité à marcher sur ce fil, tel un équilibriste, sans franchir la ligne sacrée de l’intime. Personne n’a envie de voir son jardin secret foulé au pied par son/sa manager. Chacun·e est libre d’en fixer les limites. Certain·es vous donnent parfois des détails gênants, notamment sur leurs aventures amoureuses, d’autres s’émeuvent de questions qu’ils/elles trouvent éventuellement intrusives. Les limites de l’intime leur appartiennent : au/à la manager de faire preuve de tact et de mesure, autrement dit d’intelligence relationnelle.
Comment la trouver cette juste mesure alors ? Déjà, en partant du principe qu’être empathique, ce n’est pas être un bisounours. C’est évidemment plus facile d’être empathique quand tout va bien. Mais c’est encore plus nécessaire lorsqu’on est amené à prendre des décisions dont on sait à l’avance qu’elles risquent d’être impopulaires. Recadrer un·e collaborateur·rice, mettre fin à une collaboration, fermer un établissement : toutes ces décisions peuvent avoir des conséquences lourdes. L’empathie permet de comprendre en quoi elles affectent particulièrement une personne, un collectif, voire parfois toute une région. Sans renoncer à les mettre en œuvre, avoir connaissance de leur répercussion auprès de chacun·e permet de ne pas esquiver ses responsabilités.
Victor et Caroline, ou l’adversité partagée
Je me souviens de Caroline que son mari venait de quitter et dont les jumeaux étaient régulièrement malades. Elle était souvent en retard et ses résultats en étaient affectés. La possibilité d’en parler ouvertement et les souplesses d’agenda que je lui ai permises pendant une période particulièrement compliquée pour elle ont, sans doute, contribué à la fois à réduire sa charge mentale et à maintenir sa mobilisation. Une fois sortie d’affaire, son engagement n’en a été que plus important.
D’ailleurs l’empathie managériale ne sert pas qu’aux collaborateurs·rices. Ils/elles ne sont pas seul·es à avoir des problèmes personnels ! Pouvoir s’ouvrir à son équipe des problèmes auxquels on est soi-même confronté est précieux. Dans la limite d’une certaine retenue, ne pensez pas que cela vous affaiblit. La vulnérabilité est une force, elle donne de l’épaisseur à un·e manager. Les collaborateurs·rices préfèrent les authentiques à ceux/celles qui “prennent sur eux/elles” et offrent une image lisse en toutes circonstances. L’adversité partagée est le ciment de la confiance des équipes.
La morale RH de l’histoire : recrutez des empathiques
Ces personnes ont un talent pour développer les relations, résoudre les conflits, convaincre, négocier, conduire le changement… Des qualités qu’on trouve le plus souvent chez ceux/celles qui ont des expériences de vie non linéaires, qui s’impliquent dans des associations, qui interagissent avec les autres sur les réseaux sociaux. Lors d’un recrutement, un bon moyen pour les repérer est de se centrer sur la personne du/de la candidat.e plus que sur ses compétences techniques.
Voici un exercice éclairant à faire faire à un·e futur·e manager : demandez-lui de lister ses attentes vis-à-vis de son proche chef, puis proposez-lui à son tour de s’autoévaluer sur chacune. Le debriefing vous apportera beaucoup d’informations intéressantes sur ses qualités d’empathie : en général, la première chose citée est la capacité d’écoute !
Donnez l’occasion aux collaborateurs·rices de rencontrer leur futur·e manager avant de décider de son recrutement et recueillez leur feedback ! Plus facile, mais pas inutile, demandez à d’autres personnes de l’entreprise, moins directement concernées, d’évaluer son aptitude relationnelle, en dehors de sa zone de confort technique.
Évidemment, cherchez à [développer l’empathie](https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/manager-equipe-crise) de tous ceux/celles qu’on appelle aujourd’hui les talents et ne considérez d’ailleurs comme tels que ceux qui en sont un minimum dotés.
Il n’y a rien de plus terrible que de voir accéder à un poste à responsabilité managériale une personne dont tout le monde connaît la raideur et l’absence d’écoute.
Il y a des signes qui ne trompent pas. Victor, je l’avais choisi comme adjoint après l’avoir vu écouter des contrôleurs de train en colère. C’était certes un taiseux, mais il savait écouter. Et c’était à l’époque ce dont les hommes et les femmes des trains avaient le plus besoin. C’est grâce à sa capacité de se mettre à leur place, que nous avons ensemble transformé leur métier.
Article édité par Héloïse de Montety
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