« Aujourd’hui, manager est devenu plus intéressant pour ceux qui aiment l’humain »

11 mars 2025

6min

« Aujourd’hui, manager est devenu plus intéressant pour ceux qui aiment l’humain »
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

Près de dix ans après le succès de sa première édition, Mon boss est nul, mais je le soigne (Éditions Marabout, 2017) revient dans un monde du travail davantage sous tension. Entre crises successives et désengagement des salariés, Gaël Chatelain-Berry plaide pour un management bienveillant. Illusion ou vraie solution ?

Longtemps perçu comme un management trop permissif, voire inefficace, le management bienveillant est souvent moqué. Pourtant, alors que 62 % des salariés se disent désengagés et que 37 % jugent leur travail insoutenable, selon l’enquête française sur les conditions de travail (DARES, 2019), la question de la qualité managériale n’a jamais été aussi cruciale. Faut-il voir dans le management bienveillant une réponse adaptée à ces défis ? Gaël Chatelain-Berry, pionnier du concept en France, nous livre son analyse et ses espoirs pour réparer les relations entre managers et managés.

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Qu’est-ce qu’un boss « nul » ? Autrement dit, quelles sont les caractéristiques de Bob, le manager type de votre livre ?

Gaël Chatelain-Berry : Il existe plusieurs facettes du mauvais manager, mais si je devais résumer, je dirais qu’un boss « nul » est celui qui suscite de l’angoisse à l’idée de le rencontrer, qui ne fait pas grandir ses équipes et qui les tire vers le bas plutôt que de les élever. Cela peut aller du manager toxique, pervers narcissique – qui relève plutôt de la thérapie – à des attitudes beaucoup plus banales, mais tout aussi nuisibles, comme celui qui ne dit jamais bonjour. Une statistique m’a toujours fasciné : parmi les premières sources de démotivation des salariés en France, on trouve le fait que leur manager ne leur adresse pas un simple « bonjour » le matin.

Quels sont les premiers signes d’un management toxique en entreprise ?

G. C.-B. : Le premier signe, c’est l’angoisse. Si un collaborateur stresse à l’idée d’interagir avec son manager, c’est mauvais signe. Ensuite, l’absence de reconnaissance et de feedback constructif, un climat de méfiance et un manque d’écoute sont des indicateurs clairs. Le management toxique ne se manifeste pas toujours par des comportements extrêmes ! Parfois, c’est simplement un manager qui ne s’intéresse pas à son équipe, qui impose sans expliquer, ou qui ne sait pas gérer ses émotions et les fait subir aux autres. Aussi, il est important de noter que nous sommes tous et toutes le toxique de quelqu’un : la toxicité en management peut être subjective et dépend du ressenti individuel. L’essentiel est de savoir verbaliser et ajuster son comportement en fonction des autres.

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Comment expliquer l’écart entre les nombreux discours sur la bienveillance, souvent plus affichés que vécus, et la réalité des salariés ?

G. C.-B. : Selon une étude réalisée par Cadremploi en juin 2019 auprès de 1 123 cadres français, la moitié d’entre eux déclarent avoir connu tout ou partie des symptômes du burn-out. Les causes sont multiples : un excès de pression professionnelle (63 %), une très lourde charge de travail (59 %), un manque de reconnaissance pour le travail accompli (54 %) ou encore du stress (53 %) … Ce constat a motivé la création du concept de management bienveillant, encore perçu avec scepticisme il y a dix ans.

Si les lignes sont en train de bouger, changer une culture managériale ancrée depuis des décennies est un processus long. Les entreprises centenaires et les managers, qui ont exercé durant 30 ans selon les anciens paradigmes, peinent à s’adapter. Le meilleur exemple est le culte du présentéisme très ancré en France : rester tard au bureau est encore perçu comme un signe d’implication. La pandémie a été un accélérateur de changement, mais il faudra encore une ou deux générations pour voir une transformation profonde.

Le vrai problème ne relève pas du fait que les managers sont « mauvais » par essence. C’est juste qu’on ne leur donne pas les clés pour réussir.

Comment définissez-vous le management bienveillant ?

G. C.-B. : Quand mon livre est sorti il y a dix ans, certains le qualifiaient de « bisounours » ! Or, ce n’est pas juste un concept à la mode, le management bienveillant repose sur trois piliers : d’abord, c’est écouter ses équipes, passer du temps avec elles et partager les décisions.

Le vrai problème ne relève pas du fait que les managers sont « mauvais » par essence. C’est juste qu’on ne leur donne pas les clés pour réussir. Le management est encore considéré comme une évolution naturelle de carrière plutôt que comme une véritable compétence. En France, on continue encore aujourd’hui à promouvoir les meilleurs techniciens ou techniciennes en pensant qu’ils feront forcément de bons managers. Pendant longtemps, ne pas être manager au bout de trois ans après un diplôme en école de commerce, c’était presque un échec sur le parcours !

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Un salarié a-t-il vraiment le pouvoir d’« améliorer » son manager, comme vous le suggérez dans votre ouvrage ?

G. C.-B. : Bien sûr, c’est ce que j’appelle « manager son manager ». Il ne s’agit pas de le manipuler, mais de l’aider à comprendre nos besoins et notre façon de fonctionner. Parfois, un manager toxique ne se rend pas compte de son impact. Lui faire des retours constructifs, proposer des solutions, verbaliser ce qui ne va pas : tout cela peut aider.

Mais en France, il y a un vrai problème culturel avec la hiérarchie : nous avons grandi avec la figure du maître, du professeur, puis du patron. Oser dire à son manager qu’il pourrait faire mieux, c’est difficile. Cela dit, les nouvelles générations ne s’en privent pas, et c’est tant mieux.

Le management bienveillant, n’est-ce pas un style de management réservé aux nouvelles générations justement ?

G. C.-B. : On entend souvent qu’il y aurait une rupture entre les attentes des jeunes et celles des plus anciens, mais je pense que ce n’est pas là que réside la véritable problématique. Si l’on remonte au siècle dernier, manager une équipe était simple : on appliquait les mêmes règles à tout le monde, point final. On ne se posait pas la question des émotions, ni des attentes individuelles.

Aujourd’hui, c’est tout l’inverse. C’est en cela que manager est devenu plus intéressant pour celles et ceux qui aiment l’humain. Il ne s’agit pas de savoir à quelle génération appartient une personne dans son équipe, mais de s’intéresser à elle, à ses attentes, à ce qui la motive. On trouvera forcément des jeunes de la Gen Z ultra motivés par l’argent, et à l’inverse, des personnes de la génération X qui privilégient leur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Arrêtons d’imaginer que tout le monde est motivé par la même chose.

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Le rôle du manager évolue naturellement : il doit consacrer encore plus de temps à l’humain et à l’émotionnel.

Dans un monde de plus en plus numérisé et globalisé, comment le management bienveillant peut-il évoluer ?

G. C.-B. : Je pense que le temps des émotions est enfin venu, car l’intelligence artificielle ne remplacera jamais l’intelligence émotionnelle. Tout dépend de la façon dont on utilise l’outil : l’IA n’est pas une menace en soi, mais un levier permettant de recentrer le management sur l’essentiel, comme les soft skills et l’intelligence émotionnelle. Demandez à ChatGPT de régler un conflit entre trois personnes : il pourra donner des grandes lignes, mais comprendre l’histoire de Pierre, Paul et Jacques, adapter son discours, choisir les bons mots pour chacun… l’IA ne pourra jamais le faire.

Le rôle du manager évolue donc naturellement : il doit consacrer encore plus de temps à l’humain et à l’émotionnel. L’IA, quant à elle, lui permet de gagner un temps précieux sur des tâches comme le reporting, qui prenaient autrefois des heures et qui peuvent désormais être réalisées en quelques minutes.

Comment déployer un management bienveillant de manière pérenne ?

G. C.-B. : Pour ancrer durablement un management bienveillant, les DRH devraient d’abord surveiller les taux de turn-over, équipe par équipe. On constate souvent que, parmi plusieurs groupes de travail similaires, certains affichent une grande stabilité, tandis que d’autres connaissent un turn-over alarmant. Ce type de disparité peut être un indicateur révélateur de dysfonctionnements managériaux.

Un autre levier efficace repose sur l’évaluation régulière du management par les équipes elles-mêmes. En France, la qualité du management est encore trop souvent validée à travers un entretien annuel entre le manager et son N+1. Il serait pertinent d’inclure des évaluations où les collaborateurs donnent leur avis sur leur manager. L’objectif n’est pas de sanctionner, mais d’identifier des axes d’amélioration et de proposer des formations adaptées.

Néanmoins, des freins subsistent : certains dirigeants restent réticents, redoutant l’apparition d’un climat de tensions. Pourtant, si demander l’avis des équipes sur leur management semble être une « boîte de Pandore », cela révèle surtout des problématiques humaines sous-jacentes qui méritent d’être adressées.

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Dans le contexte socio-économique actuel, le management bienveillant est-il un luxe ou un investissement nécessaire ?

G. C.-B. : Contrairement aux idées reçues, le management bienveillant n’est pas un « truc de gentils » : c’est une nécessité économique. Adam Smith ou encore les dirigeants Michelin avaient déjà démontré qu’un salarié en bonne santé était plus performant. Pourtant, en France, on valorise encore trop souvent l’ultra-présentéisme au détriment de l’efficacité. Pendant que la Suède vide ses bureaux à 17h, nos ministres organisent des réunions le samedi soir ! Cette vision est absurde et méconnaît l’histoire économique.

Le véritable changement serait de passer d’un paradigme du « travailler plus » à celui du « travailler mieux ». Il est temps de comprendre que la performance passe avant tout par l’humain.

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Article rédigé par Laure Girardot et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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