« L'âge compte, au travail comme à Matignon et à la Maison Blanche »
17 sept. 2024
6min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
De l’élection présidentielle américaine à la récente nomination du premier ministre français Michel Barnier, rarement l’actualité politique n’a autant prêté à mettre sur la table les sujets de l’âge et du vieillissement. Pour le meilleur ou pour le pire ?
Tout a débuté dans le cadre de l’élection présidentielle américaine de 2024, lorsque l’actuel président Joe Biden, 81 ans, et l’ancien président Donald Trump, 78 ans, sont devenus les candidats les plus âgés jamais présentés. Les discussions sont alors allées bon train sur le fait que les États-Unis devenaient une gérontocratie (une nation dirigée par des personnes âgées, ndlr), soulevant une question épineuse : y a-t-il un âge trop élevé pour diriger le pays, et si oui lequel ? Une préoccupation d’autant plus vive dans le cas de Biden, que ses dernières sorties publiques le laissaient apparaître comme « fragile et mentalement inapte ». Sa performance lors du débat contre Trump notamment avait exacerbé ces perceptions, conduisant à des appels au sein du parti démocrate pour qu’il se retire en faveur d’un candidat plus jeune, auxquels il s’est finalement plié.
Force est de constater qu’à partir du moment où Joe Biden a cédé sa place à sa vice-présidente, la dynamique de la course a radicalement changé. À 59 ans, Kamala Harris est soudain apparue comme une figure jeune, en contraste avec son prédécesseur. Ironie du sort, dans la plupart des contextes, une femme de cet âge serait confrontée à l’âgisme. Mais dans l’arène politique, Kamala Harris est désormais considérée comme l’enfant de la campagne, incarnant une nouvelle génération de dirigeants. De son côté, Donald Trump, seul quasi-octogénaire dans la course, a hérité du rôle du « vieux » candidat et de toute la surveillance qui en découle. Ainsi, l’élection a mis en lumière des questions essentielles sur l’âge, le leadership et le travail. Au travail, comment trouver l’équilibre entre l’indispensable lutte contre l’âgisme et l’inévitable prise en compte des impacts physiques et cognitifs de l’âge sur les performances, en particulier dans des postes à fort enjeu ?
La lutte contre l’âgisme a-t-elle fait de l’âge un tabou ?
Malgré les différentes lois sur la discrimination fondées sur l’âge dans l’emploi -l’ADEA aux États-Unis et l’article 1132-1 du Code du travail en France- qui interdisent la discrimination sur le lieu de travail des personnes âgées de 40 ans ou plus, l’âgisme reste l’une des formes les plus courantes et les plus insidieuses de discrimination. Entre le vieillissement de la main-d’œuvre et l’allongement de l’espérance de vie, prolonger notre vie professionnelle est pourtant devenu une nécessité économique. Malgré tout, de (trop) nombreux travailleurs seniors sont aujourd’hui encore victimes de préjugés, en étant considérés comme moins adaptables ou dynamiques que leurs homologues plus jeunes.
Une enquête de l’association américaine AARP dévoile ainsi que 90 % des adultes âgés de 50 ans ou plus reconnaissent que la discrimination fondée sur l’âge est fréquente sur le lieu de travail. Ce n’est guère mieux dans l’Hexagone où près d’un tiers des seniors estime avoir déjà été victime de discrimination, par le biais de stéréotypes, de moqueries ou un manque de reconnaissance. Qu’à cela ne tienne les travailleurs âgés cherchent à se donner les moyens de continuer à apporter une contribution significative aussi longtemps qu’ils le peuvent. Car la lutte contre l’âgisme ne consiste pas seulement à leur garantir un traitement équitable, mais aussi à reconnaître leur valeur et leur potentiel.
Toutefois, le vieillissement de la main-d’œuvre suscite des inquiétudes légitimes. Il a d’ailleurs contribué à faire de l’âge un sujet quelque peu tabou dans certains contextes, en particulier dans les discussions sur le leadership et le pouvoir. En évitant la discrimination fondée sur l’âge, on prend le risque de négliger les façons dont celui-ci peut influer sur les performances professionnelles. Il n’y a rien de mal à ce qu’une personne de 70 ans ou plus occupe une position de pouvoir importante, comme un premier ministre (nous en avons nous-mêmes l’exemple récent) ou un cadre supérieur dans une entreprise. L’âge seul n’empêche pas une personne d’être efficace ou sage dans son rôle.
Mais le problème se pose lorsque les personnes au pouvoir, en particulier les plus âgées, ne reflètent pas la diversité de la société qu’elles servent ou de l’organisation qu’elles supervisent. Plus encore, dans une entreprise, si les dirigeants n’apprécient pas ou ne comprennent pas les points de vue exprimés par les jeunes employés, ils risquent de rater des occasions d’atteindre de nouveaux publics, limitant ainsi la croissance et l’innovation. C’est la même dynamique au sein d’un gouvernement. Lorsque le leadership politique est détenu en grande majorité par des personnes âgées, il peut en résulter une coupure entre les décideurs politiques et les segments plus jeunes et plus diversifiés de la population. Un déséquilibre qui peut créer des angles morts, où les besoins et les intérêts d’autres groupes démographiques ne sont pas pleinement compris ou défendus.
La lutte contre l’âgisme ne doit donc pas nous empêcher d’aborder ouvertement ces questions. En réalité, nous avons besoin d’environnements où les discussions sur l’âge peuvent se dérouler de manière équitable et respectueuse pour le bien de toutes et tous.
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5 vérités sur le vieillissement de la main-d’œuvre qui ne doivent plus être taboues
1. L’âge n’est pas égalitaire
L’âge n’est pas vécu de manière égale : l’écart entre l’âge biologique et cognitif d’une personne et son âge chronologique varie considérablement d’un individu à l’autre. Et, selon la nature de leur travail, l’impact de cet écart peut également fluctuer en gravité. Les emplois épuisants sur le plan physique et émotionnel peuvent accélérer le vieillissement, tandis que les emplois offrant plus d’autonomie et de plaisir peuvent permettre aux individus de maintenir leur forme cognitive plus longtemps. Les personnes plus instruites connaissent souvent un processus de vieillissement plus lent que celles qui occupent des métiers plus exigeants ou moins gratifiants. L’éducation joue, en effet, un rôle crucial à cet égard, car elle est fortement corrélée à l’espérance de vie et au type d’emploi occupé. Les politiques relatives à l’âge au travail doivent donc tenir compte de ces disparités.
2. Le travail doit être adapté à l’âge
Avec l’âge, la capacité à occuper des métiers exigeants à temps plein diminue souvent, même en restant en forme et en bonne santé. Le triptyque traditionnel « éducation, travail et retraite » évolue vers une vie en plusieurs étapes où les transitions de carrière sont monnaie courante. Le travail doit être adapté à l’âge de l’individu pour tenir compte de ce nouveau changement. Pour la plupart, il n’est pas possible de conserver un emploi à temps plein pendant plus de 45 ans. Il convient donc de prévoir des modalités de travail plus souples et d’offrir aux travailleurs âgés la possibilité de se concentrer sur le mentorat et le transfert de connaissances. Des ajustements ergonomiques, tels que des bureaux réglables, des sièges de soutien et des outils conçus pour réduire les tensions, peuvent améliorer considérablement le confort et la productivité des travailleurs seniors.
3. Certains emplois requièrent des capacités physiques et cognitives qui déclinent naturellement avec l’âge
Par exemple, devons-nous nous sentir à l’aise avec des travailleurs âgés dans des emplois où des réflexes ou une vision déficients peuvent mettre des vies en danger, comme la conduite ou le pilotage ? Exiger des tests de condition physique pour certaines professions n’est pas une question d’âgisme, mais de sécurité. Cet argument peut s’étendre aux dirigeants politiques. La présidence, l’une des fonctions les plus exigeantes au monde, nécessite sans doute le même niveau d’examen. Lorsque Ronald Reagan a montré des signes d’Alzheimer au cours de son second mandat, la situation a mis en lumière les risques potentiels d’avoir un président âgé.
4. Les systèmes de retraite et de pension sont des institutions essentielles
Ils permettent aux retraités de s’engager dans des activités qui, bien qu’elles ne contribuent pas directement au PIB, sont inestimables pour le tissu social. Pour beaucoup, la retraite offre la possibilité de jouer un rôle crucial au sein de leur famille et de leur communauté, par exemple en s’occupant de leurs petits-enfants, en faisant du bénévolat pour des causes qui leur tiennent à cœur ou en s’adonnant à des activités créatives. Lorsqu’une personnalité publique comme Joe Biden décide de se présenter aux élections à l’âge de 81 ans, cela peut envoyer un message potentiellement problématique selon lequel les gens doivent ou peuvent continuer à travailler indéfiniment quel que soit leur âge. Un message qui risque d’affaiblir la reconnaissance culturelle de la retraite comme une phase vitale de la vie, où les individus peuvent se concentrer sur différentes formes de contribution qui enrichissent leur propre vie comme celle de ceux qui les entourent.
5. Le pouvoir est toujours détenu en grande majorité par des hommes blancs plus âgés
Alors que les hommes blancs ne représentent qu’environ 30 % de la population américaine, ils sont surreprésentés dans toutes les positions de pouvoir, occupant 85 % des postes de direction dans les entreprises et 62 % des fonctions gouvernementales élues. En France, le topo est assez similaire, et vient plus récemment s’illustrer avec la figure de Michel Barnier, nommé premier ministre contre toute attente par le président Emmanuel Macron. Passées les considérations sur son bord politique, c’est son âge qui a rapidement fait les gros titres des médias : 73 ans, qui font de lui « le plus vieux premier ministre de la Vè République », succédant au plus jeune, Gabriel Attal (34 ans). Un choix en partie critiqué tant il ne reflète pas la nécessité croissante pour les dirigeants d’être à l’image de leurs électeurs, au travail comme à Matignon.
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Article rédigé par Laëtitia Vitaud, traduit et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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