SOS Managers en détresse : « Le jour où j'ai succédé à un manager charismatique »
21 janv. 2025
6min
SOS MANAGERS EN DÉTRESSE - Quand vous avez été promu·e manager, vous étiez (avouez-le) loin d’imaginer ce que diriger une équipe impliquait vraiment. Car trouver le juste équilibre entre leadership, bienveillance et équité, entre autres choses, relève dans certaines situations du parcours du combattant. Dans cette série, l’auteur et conférencier Ludovic Girodon vous offre enfin les clés pour sortir la tête de l’eau face à vos problématiques du quotidien. Managers, suivez le guide !
Se retrouver propulsé à la tête d’une équipe après un manager charismatique, c’est un peu comme passer après une rockstar en concert : le public attend une autre performance légendaire… et la pression est énorme. Pourtant, cette transition n’a rien d’insurmontable. Comment s’affirmer après un prédécesseur emblématique ? Quelles sont les erreurs à éviter et les rituels salvateurs ? Décryptage.
« Il avait une aura » : succéder à un manager au fort pouvoir d’influence
« Quand je suis arrivée dans l’équipe, il ne se passait pas une réunion sans qu’on évoque Antoine, mon prédécesseur », se rappelle Camille (1), cheffe de projet dans une ESN. « Un visionnaire, un orateur brillant, un véritable mentor pour beaucoup. » Dès son premier jour, Camille sent le poids des comparaisons. « Antoine avait ce don pour captiver, tout le monde buvait ses paroles. Moi, je suis plus pragmatique et organisée, mais bien moins “inspirante”. Très vite, j’ai compris que mes collaborateurs doutaient de ma capacité à fédérer. » Les premiers mois sont marqués par des réunions où les collaborateurs gardent une distance froide, presque passive. « Ils venaient aux meetings, mais sans réelle implication. Je me suis sentie isolée. Ils faisaient leur travail, mais je ne ressentais aucune énergie collective. » Elle confie, malgré tout, avoir commis une erreur : « J’essayais de reproduire son style en pensant que ça allait les rassurer. J’ai tenté de lancer des discours motivants, mais ce n’était pas moi. Le résultat était… embarrassant. » Le déclic ? Le jour où un membre de l’équipe lâche lors d’une réunion : « Antoine, lui, aurait su quoi faire. »
L’œil de l’expert : « Quand on succède à un manager charismatique, il ne faut pas chercher à enfiler son costume, mais plutôt montrer comment on fonctionne et en quoi cela peut apporter quelque chose de différent et de complémentaire », conseille Ludovic Girodon. Pour l’expert, tout commence par la clarté et la transparence. Prendre le temps d’expliquer sa façon de travailler permet de désamorcer les comparaisons. « Ne pas hésiter à mettre les pieds dans le plat en disant : “Je succède à Jean-Michel. Il avait son style, j’ai le mien. On va avancer ensemble pour faire en sorte que les choses se passent au mieux.” » Dans le cas de Camille, être moins charismatique peut devenir un atout si cela s’accompagne de plus d’écoute et de délégation : « Un manager très influent peut parfois ne pas laisser assez de place aux autres. C’est là que le successeur peut apporter de la nouveauté en impliquant davantage son équipe dans les décisions et en valorisant leurs compétences. »
Camille aurait aussi pu tirer parti des failles laissées par son prédécesseur. Un leader naturel est parfois moins rigoureux dans la gestion des objectifs ou la planification. « Il y a toujours des choses que l’ancien manager faisait moins bien. Identifier ces failles permet d’y répondre et de poser sa patte. » Enfin, Ludovic recommande un exercice simple pour humaniser la transition : partager un mode d’emploi personnel. « Expliquez dès le début vos besoins fondamentaux et vos axes de progrès. Par exemple, “Je ne supporte pas les retards, mais si ça arrive, j’apprécie qu’on m’en parle directement.” Cela pose un cadre sain et renforce la confiance. »
« Son management informel faisait l’unanimité » : succéder à un manager populaire mais peu structuré
« Quand j’ai pris mes fonctions, j’avais déjà entendu parler de Julien. C’était le “manager sympa” par excellence : détendu, blagueur, jamais stressé. L’équipe l’adorait parce qu’il laissait beaucoup de liberté et intervenait peu », raconte Malik (1), Head of Communications dans une start-up. Au début, Malik tente de conserver cette dynamique en restant souple sur les horaires de réunions et en évitant de bousculer les habitudes. Mais il se rend vite compte que la désorganisation est un frein : les délais sont rarement respectés, des informations essentielles manquent et les réunions s’éternisent sans aboutir à des décisions concrètes.
« J’ai compris qu’il fallait poser des bases plus solides. Mais quand j’ai voulu mettre en place un process de suivi des projets, j’ai senti un vent de résistance : on m’a accusé d’être trop procédurier. » Pour l’équipe, le contraste est brutal. « Certains collaborateurs se sont plaints que je “cassais l’ambiance”. On me reprochait de tout contrôler alors que, dans mon esprit, je voulais simplement clarifier le cadre pour éviter le chaos. » Cette période est éprouvante pour Malik, qui sent que sa volonté d’organiser est perçue comme une forme de défiance.
L’oeil de l’expert : Ludovic Girodon pointe ici un écueil courant lorsqu’on succède à un manager peu organisé : « On veut souvent passer en force pour remettre de l’ordre, mais si l’équipe est habituée à beaucoup d’autonomie, elle peut percevoir cela comme une perte de liberté. » Pour Ludovic Girodon, la clé est de co-construire le nouveau cadre avec l’équipe pour éviter le rejet. « Quand on veut introduire plus de rigueur dans une équipe habituée à un fonctionnement informel, il faut partir des frustrations existantes. Par exemple, “Qu’est-ce qui vous ralentit aujourd’hui ? Quelles sont les choses qui vous agacent dans vos projets ?” Cela permet de montrer que la structure n’est pas une contrainte, mais un levier pour mieux travailler ensemble. »
Dans le cas de Malik, l’expert aurait conseillé de démarrer par des entretiens individuels pour recueillir les frustrations, puis de les traduire en améliorations concrètes. « Impliquer l’équipe dans la réflexion, c’est la meilleure manière de ne pas être perçu comme un manager autoritaire, mais comme quelqu’un qui améliore le quotidien collectif. » Ensuite, au lieu de balayer les habitudes sous prétexte de nouveauté, il est souvent judicieux de préserver certains rituels appréciés : « Si l’ancien manager organisait des pauses café d’équipe ou des feedbacks informels, il ne faut pas forcément les supprimer. Au contraire, s’appuyer sur ces moments peut renforcer l’adhésion aux changements. » Ludovic recommande aussi de ne pas tout changer en même temps. « Par exemple, commencez par formaliser un point clé, comme la gestion des priorités ou la durée des réunions, plutôt que de révolutionner tous les process d’un coup. » Enfin, il est essentiel de communiquer sur l’objectif des nouvelles règles. « Il ne s’agit pas d’imposer pour imposer. Expliquez en quoi ces ajustements vont faciliter la vie de l’équipe. Une fois que les collaborateurs comprennent le pourquoi, ils adhèrent beaucoup plus facilement. »
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« Tout le monde l’appelait par son prénom, moi par mon titre » : succéder à un manager proche de son équipe
« Quand j’ai pris la tête de l’équipe, tout le monde m’a accueilli avec le sourire, mais j’ai vite senti une distance. Avec mon prédécesseur, ils étaient comme une famille. Ils sortaient déjeuner ensemble tous les midis, partaient en week-end, et s’appelaient par des petits surnoms. Moi, j’étais “La cheffe”, celle qu’on vouvoyait. » – raconte Claire, directrice d’une équipe commerciale. Elle remplace alors un ancien manager qui était monté en grade après avoir dirigé l’équipe pendant plus de dix ans. Proche des collaborateurs, il avait suivi l’évolution de chacun et entretenait des relations personnelles fortes. « Il connaissait les anniversaires des enfants, envoyait des messages après les matchs de foot des gamins… Bref, il faisait partie de leur vie. Moi, je débarquais sans ce passé commun. »
Claire essaye alors de se rapprocher de l’équipe pour combler ce décalage. « J’ai organisé des déjeuners, proposé des activités de team building, mais ils restaient entre eux. Je voyais bien que je restais “la cheffe”, celle qui valide les contrats et donne des objectifs, mais pas celle avec qui on rigole autour d’un café. » Elle admet qu’elle a peut-être voulu se rapprocher trop vite : « Je pensais qu’il fallait créer du lien amical pour être acceptée. Mais au final, ça ressemblait davantage à une tentative forcée et je n’étais pas à l’aise avec ça. »
L’œil de l’expert : pour Ludovic Girodon, ce type de situation est fréquent lorsqu’un manager succède à un leader très proche de son équipe. « On se dit qu’il faut reproduire la complicité pour combler le vide. Mais si ce n’est pas naturel, ça peut être contre-productif : l’équipe sent quand ce n’est pas aligné avec votre personnalité. » L’expert rappelle que l’objectif n’est pas de copier la relation qu’avait le précédent manager, mais de trouver une posture juste et adaptée à ses propres valeurs : « Un manager doit être authentique. Si vous n’êtes pas du genre à partager vos week-ends ou à faire des blagues en réunion, ce n’est pas grave. Ce qui compte, c’est de montrer que vous êtes fiable et impliqué pour faire progresser l’équipe. » Selon lui, la confiance se construit par des actes concrets. Remplacer un manager très proche implique de poser dès le départ un cadre clair, sans chercher à effacer l’histoire. « Vous pouvez dire : “Je ne vais peut-être pas fonctionner de la même manière, mais voici comment je vais vous accompagner au quotidien.” Cela montre que vous respectez ce qu’il y avait avant, tout en affirmant votre propre style. »
Un point essentiel pour éviter les comparaisons est d’instaurer une forme d’équité. Quand certains collaborateurs sont particulièrement proches de l’ancien manager, il peut être tentant de prendre plus de recul ou, au contraire, de chercher à séduire ces anciens fidèles. Mais cela peut créer des malentendus : « Traitez tout le monde avec la même attention. Maintenez des points individuels réguliers avec chacun, montrez que vous êtes là pour tous, sans distinction. » Ludovic conseille aussi de miser sur des feedbacks personnalisés pour construire la relation : « Il y a des petites phrases qui marquent plus qu’une sortie d’équipe. Dire à un collaborateur : “Ton suivi client est remarquable, tu donnes envie de collaborer avec nous” peut avoir un impact énorme. C’est ce genre de reconnaissance qui tisse la confiance. »
Prendre la suite d’un manager adoré, c’est comme emménager dans une maison pleine de souvenirs : il faut du temps pour en faire son propre chez-soi. Mais avec de l’écoute, des gestes sincères et un cadre clair, on finit par y laisser sa propre empreinte. Celle qui, un jour, deviendra à son tour un repère pour l’équipe.
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(1) Les prénoms ont été modifiés
Article rédigé par Sarah Torné et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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